Cette image est une relecture d’une Vierge à l’Enfant de Bellini, peintre vénitien à l’époque de l’apogée de la puissante république de Venise. En ce temps là, au XVe siècle, Venise était la première flotte du bassin méditerranéen. Cette puissance amène Venise à envoyer Bellini à Constantinople afin de réaliser le portrait de Mehmed II à moins que cette puissance n’amène Venise à répondre à la demande de Constantinople.
C’est pourquoi il me semble logique de placer cette peinture destinée à trôner au-dessus de l’autel sur un rivage susceptible d’être un autel dédié à l’Eau, mère de la vie terrestre.
Par ailleurs, de nombreux saints de l’Église Catholique sont construits sur l’histoire des divinités locales. L’eau et la maternité, dans ses différentes formes sont l’une d’entre elles. Tous, nous provenons d’un séjour aquatique dans l’utérus maternelle sans oublier les liens entre l’eau et la vie. Certains philosophes pensent que l’un des rôles de Marie, dans la théologie catholique, est de réintroduire la croyance dans les déesses de la fertilité ainsi que les déesses mères.
Bien entendu, la mer est aussi au centre du pouvoir vénitien.
Donner naissance à quelque chose est, simultanément, perdre quelque chose, c’est pourquoi des feuilles automnales sont échouées sur ce rivage sacré.
« Cette hétérogénéité à l’apparence ne vaut pas seulement pour le surnaturel mais également pour l’irréel, ordonné à l’idée de beauté même si la chose est moins évidente, beauté et apparence pouvant être facilement confondues. Les rapports de l’art à l’apparence sont donc plus complexes dans l’irréel que dans le surnaturel. Si, dans ce dernier, le sculpteur créé pour délivrer son modèle du monde l’apparence et le faire accéder à un monde à un monde de Vérité, l’art profane lui-même fonde en valeur l’apparence qu’il semble imiter. » [1]. Mais, il ne faut pas confondre les ordres : « l’admiration s’adresse à l’oeuvre indissociable, où le spectacle que le peintre semble imiter devient un tableau comme le corps devient un nu, et qui ne peut qu’exister que par l’art » [2], et c’est pourquoi Malraux, alors même qu’il étudie l’art de l’irréel, peut évoquer le pouvoir de l’artiste en des termes qui renvoient à la maîtrise des formes et annoncent l’intemporel. Tel est le pouvoir « de tirer de l’apparence, grâce à la création d’un système de formes cohérent et orienté, un monde qui succède au monde de Dieu [...] La déesse surgit dans l’atelier de Botticelli entre les Vierges inachevées, tandis que sonnent à toute volée les cloches florentines, c’est la déesse de l’art qui découvre son nom. » [3] La lutte contre l’apparence, née de l’art sacrée, s’étend à l’ensemble de l’histoire de l’art, traversant le monde de l’irréel et se révélant pleinement dans l’art moderne. C’est elle qui assure l’unité de l’art depuis Lascaux jusqu’à Manet, Picasso ou Malévitch, et c’est elle qui explique que l’art soit irréductible à l’esthétique. » [4]
« Si l’histoire de l’art est discontinue, c’est parce que la métamorphose interdit toute linéarité, le Musée Imaginaire étant arraché à la clôture par le caractère aléatoire de la métamorphose. L’aléatoire est l’inquiétude qui habite les oeuvres et fait que nulle loi de l’art ne se projette du passé sur l’avenir [5], et si notre époque est celle de l’aléatoire, c’est aussi parce qu’elle est celle de la métamorphose. On doit être sensible ici à la tension entre deux pôles : d’un côté, -du côté du Musée Imaginaire-, la maîtrise, la conquête, la volonté d’annexion ; de l’autre -du côté de la metamorphose-, l’inquiétude, la déprise, l’ouverture à l’aléatoire. Et par-delà même la notion de métamorphose, l’aléatoire est ouverture sur le devenir, au plus loin de toute maîtrise de quelque ordre que ce soit. » [6]
- L’allégorie sacrée, 1490-1500, Bellini, musée des Offices, Florence
- Bellini, Ferrara, deux peintres de la Renaissance à la cour de Mehmed II