Peindre le souvenir ou la mémoire ?
Les peintures de Boris Zaborov se construisent autour d’une question : qu’est ce que la figuration ? Elles interrogent simultanément leur signification. Peintre figuratif, Boris Zaborov l’est au sens propre du terme. En effet, l’essentiel de son œuvre, à l’exception de quelques paysages, nous présente des figures. La plupart d’entre elles sont des figures anonymes qui nous ramènent aux figures de la mémoire des pogroms et des camps.
Paradoxalement, d’un point de vue stylistique, ces peintures matérialisent une hypothétique rencontre de l’icône et des autochromes (pour) évoque(r) les victimes des pogroms et de la Shoah. Cependant, tous ces visages effacées font écho à l’interdiction de la représentation humaine en résonance aux versets de la Bible hébraïque. De manière surprenantes, tous ces visages effacés évoquent la vera iconica, l’ancêtre de la photographie, première image acheiropoïète référencée. Une vera iconica en autochrome car ; omme la vera iconica, ces images nous renvoient à des personnages disparus représentés dans une gamme de couleurs en écho à celle de ces images produites avec de la fécule de pomme de terre. Ces références permanentes à la photographie élaborent une pensée de la peinture figurative interrogeant continuellement la réalité.
Cependant, ces figures sont simultanément abstraites, parce qu’extraites de leur contexte, même l’hommage à Irving Penn est une peinture abstraites car tirées hors de leur contexte. Bien avant de désigner le non-figuratif, l’étymologie du mot abstrait désigne une présentation hors-contexte. Abstraite parce que souvenir plutôt que mémoire. Même, les quelques femmes japonaises peintes sont tirées de leurs contextes. Abstraites, ces peintures, le sont aussi par le choix de leurs couleurs, que certains qualifieront de terreuses et qui sont pour sur dénuées de réalismes. Certes, ces couleurs terreuses et non terrestres, parce que sans joie, sont une référence aux conditions de vie de ces personnes victimes d’une longue persécution.
Bien entendu, ces visages effacés nous rappellent le statut de ces personnes anonymes effacées par l’histoire. Cette représentation est aussi un écho de la pensée hébraïque de l’image. Elles ne sont pas abstraites dans le sens où elles sont là pour conjurer l’oubli et la fugacité de la mémoire. Que nous remémore ces visages effacés et ces personnages dont le contexte n’est narré que par la vêture ? Cette vêture est une prise de voile mais, pas celui de la religion catholique : plutôt le voile de l’oubli.
Ce peintre ne nous parle pas de ses proches, la majorité de ces figures ne concernent que des anonymes. Ces toiles nous suggèrent qu’il est illusoire de vouloir protéger ses proches en les représentant face à l’implacable : « Tu es poussière et tu retourneras à la poussière ! » nous le rappelle. Comme nous le signale une robe ou ces visages émaciés qui font écho aux camps de concentration, l’histoire se situe entre les pogroms et les camps
Pascal Bonafoux, commissaire de l’exposition, dans le catalogue, parle de cette dissolution des visage comme d’une volonté de s’affranchir de la figure, au nom de cet effacement. Quant à moi, je parlerais plutôt d’une mise en exergue de la figure à travers son universalisme. Ici, seule, la vêture désigne l’individualité et ce n’est pas même certain, car cette vêture marque, plutôt, des classes sociales, en cela, elle a quelque chose d’ ‘’universel’’. Il ne s’agit pas de faire disparaître la représentation, toujours, pour reprendre les propos de Pascal Bonafoux, mais plutôt de représenter un certain universel : celui de la persécution. L’individu ici n’est là qu’au titre de représentant d’un groupe social, contexte social marqué par la vêture et non le vêtement, ici, il tient d’uniforme.

C’est par cette interrogation de la figuration que Boris Zaborov est réellement un peintre contemporain de la seconde moitié du XXe siècle, c’est cette interrogation de la figuration qui aboutit à la peinture au carré mais aussi dans les formats panoramiques inventés par la photographie qu’il retranscrit sa contemporanéité. Cet aplat carré, écho d’un format photographique, évoque aussi Malevitch. Une peinture plate marque de l’absence d’horizon dans ce monde où même les paysages n’ont pas de profondeur. Abandon retranscrit par la disparition du point de fuite.
Outre la palette chromatique, qui n’est pas un choix par défaut ou par ‘’paresse’’ comme le montre la palette chatoyante de certains costumes de théâtre, les formats, notamment proche du 16/9e panoramique confirme cette confrontation avec l’image photographique. Les poses de ces sujets confirment qu’il est bien un peintre contemporain et certains personnages, comme cette femme japonaise affirme cette modernité d’autant plus que cette peinture n’évoque ni l’humiliation ni l’érotisme. Pas plus que les autres nues présents dans l’exposition.
Les portraits au cheval de bois confirme l’hypothèse d’une peinture qui interroge la peinture. En effet, ils font écho au Portrait du Prince don Balthazar Carlos, de Velazquez. Cette peinture est bien là pour interroger la figuration et pour répondre à la question : qu’est-ce qu’une peinture ? Bien entendu, elles sont là pour se souvenir mais, ce n’est pas le sujet. Elles nous parlent de la perte de l’innocence, du poids de la solitude et de la relation peinture-photographie.

L’œuvre de Boris Zaborov semble parfois un palimpseste, elle nous fait croire à une peinture ‘’paisible’’ alors que c’est une peinture pour sauver sa peau malgré l’absence de Dieu. Ici, toute effervescence est contenue, voire interdite. Cette peinture se ‘’contente’’ d’être mezzo-vocco, aucun ton n’est plus haut que l’autre à l’exception de certains costumes de théâtre qui révèlent des talents de coloriste exceptionnel. C’est un murmure violent qui nous rappelle le caractère dérisoire des images face à certaines réalité. Il reste une chose, l’importance de la trace.
« ...Rien ne distingue les souvenirs des autres moments : ce n’est que plus tard qu’ils se font reconnaître, à leurs cicatrices. » [1]
© Hervé Bernard Rvb 2025
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