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- L’allégorie sacrée, 1490-1500, Bellini, musée des Offices, Florence

,  par Hervé BERNARD dit RVB

L’allégorie [1] sacrée
Ce tableau paraît-être un assemblage d’éléments hétéroclites (grotte, village, grange, terrasse raffinée…) ou encore d’un lieu sauvage : grotte ; d’un lieu de vie sociale : village et d’un lieu de la pensée élaborée : la terrasse. Cette dernière est en effet une mise en image de la mathématique. Ce dallage est, pour Bellini, l’opportunité d’exprimer toute la puissance naissante de la perspective qui a d’abord était une pensée mathématique et de l’optique pour devenir une vision artistique. De là à penser que le Paradis serait un lieu mathématique en opposition à la Pensée Sauvage. Anachronisme, certes, si l’on met des majuscules à ces deux derniers mots puisque cette expression naîtra au XXe siècle cependant, le Paradis est un monde ordonné par la pensée divine. Par ailleurs, la Cité, espace géométrique s’il en est, s’oppose justement au monde sauvage et indompté de la Nature dont la force irrationnelle reste encore, même de nos jours d’une puissance inquiétante. Ce qui nous fait associer cet espace rationnel au Paradis, c’est la présence de l’arbre de la Connaissance et de ses angelots dont l’un d’entre eux grimpe à l’arbre comme s’il allait y cueillir des fruits.


Ici, le lieu sauvage est illustré par cette grotte située à mi-chemin entre le premier plan et l’arrière-plan qui représente justement un village, serait-il le lieu du Purgatoire ? Si c’est le cas, il nous reste à assimiler la grotte à l’Enfer. Assimilation étayée par la présence d’une chèvre-centaure, animal des mythologies infernales.

À la droite du tableau, au premier plan se trouve Saint-Sébastien identifiable car bardé de flèches. L’autre personnage, selon de nombreuses interprétations, serait Job. Si la présence de Saint-Sébastien est indubitable compte-tenu de l’allusion à son martyr [il a été tué par une multitude de flèches], celle de Job nous parait moins pertinente. D’une part, Job n’est jamais représenté en jeune homme dans la force de l’âge, son iconographie, correspondant en cela au texte, est plutôt celle d’un vieillard ; hors, ici le personnage paraît avoir la trentaine. Une exception est toujours possible, cependant, en association avec l’âge évoqué, nous vient alors une idée et si ce personnage était le Christ. Dans ce cas, le Christ serait donc représenté deux fois, une fois enfant, au centre et une seconde fois dans la pleine force de l’âge. Nous remarquerons que le tapis au sol est découpé en quatre morceaux séparés et ajustés de sorte que les vides, nous allions dire les pleins et déliés, forment une croix.

En face, de l’autre côté de l’Arbre de la Connaissance, à l’extrême gauche du tableau, se trouve Sainte-Anne, la mère de la Vierge, la Vierge et Marie-Madeleine. L’homme sur l’extrême gauche portant un turban, deviendrait alors un des rois mages et le vieillard accoudé à la rambarde regardant les enfants-angelots entrain de jouer serait alors Saint-Joseph à moins qu’il ne soit Dieu lui-même ? Les angelots se transformant pour devenir le Christ et Jean le Baptiste, enfant jouant. La porte ouverte se transformerait alors en une allégorie de la Tentation : échapper à son destin, serait-il la tentation du Christ ? Les Évangiles l’affirment, sa position centrale dans le tableau nous le laisse penser. De là à dire, que c’est aussi la Tentation humaine. N’oublions pas que le Christ est Dieu qui se fait homme. A moins que cette porte ne symbolise autre chose, le risque ou la peur pour le Christ d’accepter sa mission, c’est-à-dire d’accepter de vivre pleinement sa vie d’homme, jusque dans l’expérience de la mort.

Pourquoi représenter à deux reprises le Christ dans la même peinture ? La réponse se trouve dans le titre du tableau : L’allégorie sacrée, ces deux moments la naissance et la crucifixion représenté par analogie : celle de la petite enfance et celle de la force de l’âge sont deux allégories de la vie du Christ. Quant au terme sacrée, il vient alors logiquement.

Cette lecture de L’allégorie sacrée nous montre que nous aurions un miroir droite-gauche avec comme axe de symétrie, l’Arbre de la Connaissance, or, selon l’Église, la Vierge avait la Connaissance (au sens de prescience) du sort qui attendait son enfant tout comme le Christ en eut très tôt la prescience. Cette arbre de la Connaissance est donc bien différent de celui du Paradis dont les fruits, une fois goûtés, ont provoqué la déchéance de l’homme. Ici, cet arbre de la Connaissance est un arbre de rédemption par la Croix comme le montre le dessin du tapis posé sur le sol.

Le fleuve séparant coupant horizontalement le tableau en deux est l’axe d’un autre miroir. En effet, ce fleuve sépare le Paradis de la Connaissance du Purgatoire. Nous remarquerons que le fleuve est coupé en deux par une île sur laquelle est placée un monde infernal. Ce fleuve serait-il le fleuve du temps ou celui de la connaissance mais, cette fois, celle qui a provoquée la déchéance de l’Homme et le fait entrer dans le cycle du temps en faisant de lui un mortel ?

L’allégorie sacrée serait donc constitué de deux miroirs :

- un miroir droite gauche avec comme point focal, l’Arbre de la Connaissance, mais, ici, il s’agirait d’une Connaissance Rédemptrice, celle-ci correspond à la description du rôle du Christ par les Évangiles qui affirment qu’Il est venu racheter les péchés de l’Humanité ;

- un miroir haut-bas avec, cette fois, comme point focal, non-plus la connaissance, mais l’ignorance du monde primitif, d’avant l’arrivée sur terre du Christ. Ces deux mondes étant séparés par le fleuve du temps. De là à dire que le Christ réintroduirait le temps dans la vie humaine en le sortant du cercle infernal de l’ignorance ? De là dire, qu’en miroir, un de plus, ce tableau aurait pu s’appeler : allégorie de l’humaine condition ?

© Hervé Bernard 2009

- Vierge à l’Enfant - Hommage à Bellini