Regard sur l’image

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- Don Giovanni, de Mozart ou L’Opéra des dupesMise en scène Yoshi Oïda

,  par Hervé BERNARD dit RVB

À travers sa mise en scène, comme le montre l’assassinat du Commandeur, Yoshi Oïda révèle l’un des sujets essentiels de cet opéra : l’image. En effet, l’assassinat du Commandeur et plus largement l’assassinat au théâtre est un sujet complexe à narrer [celui-ci ne bénéficie pas des effets spéciaux du cinéma]. Souvent traité dans les coulisses sous forme d’une scène en off afin d’éviter la théâtralité ou la grandiloquence, ici, Yoshi Oïda opte pour une réelle mise en scène d’une simplicité et d’une efficacité sans grandiloquence. En choisissant de jeter de la peinture rouge sur un cadre de porte obstrué par une feuille de papier que transperce le Commandeur mort, non seulement, il met en scène l’assassinat mais aussi l’éternel retour de ce cadavre qui envahira la scène tout au long de la seconde partie à la manière des Chaises de Ionesco. De fait, cette déchirure est simultanément une disparition-apparition du cadavre et donc une annonce de la problématique de la seconde partie de la pièce. En effet, en faisant réapparaître pour la première fois le cadavre du Commandeur, il pose déjà la question de son évacuation.

Plus largement, ce jeu de voile et de dévoilement est un outil de cette mise en scène. Ainsi, on le retrouve dans les scènes d’amour, à la fois dévoilée et cachée gardant leur force sans tomber dans le cliché ou dans la facilité d’être, là aussi, un simple bruitage issu des coulisses.

A travers cette mise en scène Yoshi Oïda dévoile les mécanismes de la séduction. Il montre comment cet opéra met en avant la soif de gloire et d’avancé sociale de chacun d’entre nous. Comment nous nous laissons non seulement prendre au miroir aux alouettes de la séduction financière pour ne pas dire bourgeoise ; séduction qui nous anime bien souvent autant que la séduction amoureuse. Cette soif de reconnaissance commune à chacun d’entre nous s’illustre à travers ce besoin d’être séduit, de posséder, dans tous les sens de ce dernier terme.

Nous découvrons un Don Giovanni se révélant un hypocrite qui fait image car il confond l’image et l’être. Ce que nous désignons par faire image, c’est ce jeu perpétuel de l’hypocrite qui mélange l’image qu’il donne à voir de lui et la réalité de son être. S’il tombe dans cette illusion, c’est par conviction, la conviction que l’image et le représenté ne font qu’un.

Comme souvent chez Yoshi, les costumes n’errent pas entre une contemporanéité et une fidélité historique sans sombrer dans l’hétéroclisme tout en évitant l’atemporalité. Ils sont bien au contraire de toutes les époques et traversent les siècles en illustrant l’universalité de cet opéra tout en nous donnant une image exacte de chacun des rôles. En costumant Don Giovani, Leporetto et ses autres serviteurs en personnages d’Orange Mécanique ou encore Don Octavio en dictateur d’opérette à la croisée de Franco et d’un Mussolini dans un uniforme qui nous rappelle le dictateur de Spirou dissimulé sous la pourpre cardinalice, il nous révèle la vacuité de ces personnages.

Quant à Dona Elvira son costume de veuve noire appartient aussi bien au XXe siècle qu’au Moyen-Âge. Le seul accessoire réellement contemporain de cette pièce est l’ordinateur de la camériste de Dona Elvira qui n’en perd pas pour autant son rôle secondaire. Certes Massetto et Zerlena sont vêtus en cow-boys d’opérette même si Zerlena est cependant mitonnée de bourgeoise du 19è siècle, costume qui illustre bien son désir de respectabilité. Et Massetto en bon cow-boy mitonné de maquereau reniflant l’argent et le pouvoir envoie Zerlina dans les bras de Don Giovanni.

Leporello est une image parfaite du rabatteur et montre la relation fusionnelle Don Giovanni-Leporello, tellement fusionnelle qu’ils sont le miroir l’un de l’autre. Leporello, le mimétique, prit dans la confusion de la fusion à tel point que de compromissions en compromissions, il finit par être totalement compromis. Ce Leporello là montre le prix de la fidélité à une crapule. Comment lui être fidèle sans que sa crapulerie rejaillisse sur vous ? Question qui nous repose la question éternelle des liens entre la fin et les moyens. De même, Leporello et Elvira sont en miroir l’un de l’autre, l’un est fidèle à son patron et se compromet, tandis que l’autre est fidèle à Don Giovanni sans se compromettre. En fait, pour cette dernière plutôt que d’une fidélité à Don Giovanni, il s’agit d’être fidèle à l’amour qu’elle a pour ce personnage et par rebond rester fidèle à elle-même malgré l’iniquité de ce dernier.

Les décors sont eux aussi à l’image des héros. Ainsi des capotes gonflées qui se dégonflent en volant tel des comètes dans le ciel illustrent la fugacité des conquêtes de Don Giovanni tandis que leur dénombrement impossible est simultanément illustré par la corde à linge portant une multitude de sous-vêtements féminins, l’immense grand-livre, au sens comptable, des conquêtes féminines tandis que l’image des capotes ballons revient, cette fois-ci suspendus au décor, illustrer le nombre de conquêtes impossible à dénombrer.

“Don Giovanni” aurait pu s’appeler “l’Opéra des Dupes” avec un Don Giovanni et un Leporello dupes d’eux-mêmes, c’est-à-dire de l’image qu’ils donnent d’eux-mêmes. Plus généralement, tous les personnages de cet opéra sont dupes de l’image qu’ils se donnent et qu’ils donnent aux autres à l’exception de Dona Elvire : la veuve noire seul être vivant conscient de ses contradictions qui se refuse pourtant d’être dupe de cette soi-disante liberté que prône Don Giovanni : pâle reflet d’une liberté plus proche d’une vulgaire licence. Liberté qui pavoise grâce à des petites culottes et des soutiens-gorge... Même Dona Anna est dupe d’elle-même. Quant à Don Giovanni, il n’oublie pas d’être dupe de son addiction.

Une fois de plus, Yoshi Oïda ne se contente pas d’une simple mise en scène et nous offre là une réelle illustration d’un texte, au sens fort de ce dernier terme.

© Hervé Bernard 2009