Notre capacité d’émerveillement déterminerait-elle le caractère fictionnelle ou réaliste d’une image ?
Acéra ou Le bal des sorcières (Jean Painlevé, Geneviève Hamon 1972)
Ces images de Jean Painlevé, à l’époque où elles ont été produites, ne pouvaient apparaître comme fiction malgré un commentaire à caractère lyrique et une taxynomie scientifique. Ce lyrisme était compris comme une célébration du merveilleux de la vie. Cependant, aujourd’hui, dans l’innocence de la découverte des images de Acéra ou Le bal des sorcières et de leur merveilleux, il est possible de s’interroger sur leur réalité notamment après avoir vu les Quarks créations de Maurice Benayoum (ci-dessous) et de Georges Latham, pour ne citer qu’eux. Certes, cette interrogation est anachronique, Painlevé a précédé de plus de vingt-cinq ans tous les créateurs de monde vivant virtuel autoreproducteur mais, nos découvertes se font rarement dans un ordre historique pour ne pas dire qu’elles sont an-historiques. L’histoire remettant, ultérieurement, les choses à leur place.
Avec le réalisme atteint par les techniques de synthèse d’images qui accèdent à un niveau équivalent à celui des images cinématographiques pour même reproduire leurs défauts, cette interrogation est d’autant plus nécessaire. Ainsi, dans la continuité du film sur les Acéra, les raccords entre les prises et leurs « erreurs » sont tout autant interprétables comme volontaires afin d’adjoindre l’esthétique documentariste à ce qui serait alors une fiction afin d’accroître sa crédibilité, voire sa véracité. Cependant, il est tout aussi crédible de les interpréter comme le résultat des contraintes du documentaire, ce qu’elles sont. « ...l’interprétation doit être relativisée par rapport à une culture, sans que cela entraîne le préjudice d’une thèse relativiste sur l’art : la localisation culturelle d’une œuvre fait partie des facteurs qui constituent son identité » (Danto, 1993, p.97 La transfiguration du banal).
D’où vient ce sentiment de fiction ?
Pour tous néophytes en biologie, ce sont ces images qui prêtent vie à l’Acéra, cet animal poétique exceptionnellement évoqué. En fait, tel un dieu, ces images prêtent vie à cet animal étrange qui, pareil aux Quarks, a un mode de reproduction qui nous semble bien étrange. Sans omettre un mode natatoire métaphore de la danse de ballet plutôt que compte-rendu de la natation d’un mollusque fantasmé rivé au sol par une coquille-boulet En effet, leurs corolles sont aisément perçues comme de classiques tutus et de pudiques voiles posés sur leur mode reproductif tout aussi étrange pour nous qui pratiquons l’acte sexuel au maximum, avec deux ou trois partenaires simultanés.
Comme nous le montre ces images, la question du contexte dans la compréhension et l’interprétation de celles-ci est une fois de plus essentielle. Ce film nous confirme l’importance de l’analyse de Arthur Danto dans La transfiguration du banal. Cependant, force est de constater que ce contexte est composé de deux éléments essentiels : le contexte sociopolitique de présentations de ces images (lieu d’exposition, pays, mise en scène...) ainsi que le contexte formé par le regard du spectateur lui-même. Et l’on s’accordera pour dire que deux personnes issues d’un même contexte et regardant simultanément ces mêmes images produiront un regard probablement différent.
L’image serait elle une croyance ?
Pour J-P Changeux « le cerveau projette, en permanence, sur le monde, de manière spontanée et endogène, des représentations mentales. » et se sont ces représentations mentales qui déterminent notre regard sur le monde. Elles font que nous voyons ce que nous voyons. « Voir, c’est déjà une opération créatrice qui demande un effort. » Matisse. Voir, c’est donc bien se raconter des histoires ! Et ces histoires là sont créatrices. Elles sont créatrices de notre manière de vivre. En voici une brève démonstration : « Demandez aux personnes autour de vous à qui leur fait penser cette Marianne (celle du timbre de 2013). Les uns évoqueront la vierge Marie, certains Falbala dans Astérix, d’autres une princesse Disney, d’autres encore une héroïne de manga. Aucune réponse ne sera la même, mais chacune sera “vraie”. Et c’est tant mieux. A chacun de s’approprier Marianne et de s’imaginer le personnage qui lui convient. C’est le but de toute œuvre d’art, aussi modeste soit-elle. » Olivier Ciappa [1]
Fiction ou réalité, peu importe ! Par leur capacité à (m’)émerveiller, à faire naître cette allégresse qui nous amène, parfois, à affirmer qu’une création est joyeusement belle, est allègre, nous pouvons affirmer que ce film constitue une œuvre d’art.