Regard sur l’image

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- Avatar (le film)

,  par Hervé BERNARD dit RVB

Avatar, c’est l’histoire de la belle princesse Neytiri qui rencontre le crapaud Jake Sully, mercenaire, ex-GI-paralysé au début du film, devenu, à la fin de l’histoire, un magnifique chasseur véloce, par la vertu de l’amour rédempteur d’une princesse Na’vi.

C’est aussi l’histoire des États-Unis d’aujourd’hui et d’une dette envers les amérindiens impossible à honorer. Dette d’autant plus insolvable que l’un des ressorts de la culture des États-Unis, fondée sur celle des Pilgrim Fathers, est la culpabilité. C’est l’un des sujets de ce film. Il est vrai que l’un des rôles de l’art est de nous aider à payer nos dettes envers le passé.

Cependant, ce film présente simultanément un propos beaucoup plus pernicieux. C’est l’histoire d’un monde, pareil au fantasme de nombreux idéologues, celui du mythe de la nature bienfaitrice, un monde d’avant le langage où tout les êtres vivants communiquent par télépathie ou par réseau (le réseau étant la version technogeek de la télépathie) dans une fusion avec la nature bienveillante malgré l’existence de quelques animaux dangereux pour les Na’vi. Selon cette tradition, il existerait une communication en-deça du verbe, une communication pure, issue d’une fusion entre les êtres vivants et la nature. Pourtant, sur Pandora, dans cette bonne nature, les animaux sont pilotés par des rênes psychologiques qui sont bien plus violentes que le licol ou le joug car elles ne laissent aucune place à la révolte. D’ailleurs, il est dit qu’une fois l’animal apairé à un Na’vi, cet animal obéira au Na’vi jusqu’à sa mort. Autrement plus violent que la domestication.

La vie sur Pandora correspond à un monde rousseauiste qui nous présente une nature où le langage est inutile. Un monde qui refuse la différence à l’intérieur de la communauté comme à l’extérieur. Certes le comportement de ces humains qui partent à la conquête de Pandora est intolérable par sa volonté de puissance destructrice. Cependant, ce monde pareil au Jardin d’Eden est en contradiction avec toutes les traditions de toutes les civilisations humaines, aussi proche de la nature soient-elles. De fait, dans toutes ces traditions, la création du monde est d’abord et avant tout un acte de séparation. En cela, le monde d’Avatar s’oppose à toutes les grandes traditions fondatrices des civilisations humaines. Elles débutent toutes par l’annonce de la séparation entre l’eau et la terre, le bas et le haut... Elles commencent toutes par discriminer, et si elles ne le font pas dès la naissance du monde, elles abordent cette thématique très rapidement.

Cette absence de discrimination se retrouve dans la structure du récit. Ainsi, d’une part, très peu de personnages ont un nom chez les terriens comme chez les Na’vi. Fusionnel dans les identités des personnages dont il est difficile de connaître les noms même en ayant vu le film deux fois. D’autre part, il ne faut pas oublier que dans un tel monde, aussi idyllique soit-il, l’opposition et la différence ne peuvent exister. Pas plus chez les Na’vi que chez les Terriens, les opposants ou ceux qui discutent simplement les propos des dirigeants n’ont le droit de cité (cette expression est employée à dessein). Même chez les animaux, l’opposition n’a pas voix au chapitre. En effet, si certains animaux s’opposent au héros au début du récit, ils se rallieront tous à lui dans la Victoire Finale. De fait, ceux qui l’attaque (contre qui il se bat) lors de sa première randonnée Pandorienne sont ceux qui l’aideront à la fin du film à retourner la situation et à remporter la victoire. De même, chez les Na’vi, c’est le pire ennemi de Jack qui deviendra son soutien, son bras droit. Ce retournement apparaît comme une évidence suite à la mise au pas de l’oiseau Toruk Macto par Jake Sully. Certes, vous allez me dire que c’est un ressort classique du western. Cependant, dans le western, le leader ne devient que rarement leader sans perdre quelques amis et/ou quelques fidèles soutiens qui meurent ou le trahissent. C’est le prix de ces ralliements.

Pour toutes ces raisons, nous nous demandons si la boîte de Pandore sur Pandora n’est pas ce soit-disant « état de nature ». Ce n’est peut-être pas le propos de Cameron cependant c’est l’un des sujets de ce film. D’un bout à l’autre d’Avatar, les terriens comme les Na’vis rejettent la différence entre eux. Ce rejet est tellement puissant qu’il est possible de s’interroger sur le prix de la survie de Jake Sully. Serait-ce la mort d’Augustine, la scientifique qui lui permet de survivre ? En voulant apporter la science à cette civilisation n’est-elle pas objectivement condamnée par cette culture qui souhaite rester dans l’état de nature cher à Jean-Jacques Rousseau ? Ne serait-t-elle pas Eve, la tentatrice ? On remarquera que Jake Sully n’apporte aucune connaissance scientifique ou artistique, son seul apport est sa capacité de commandement, son leadership. Certes ce commandement est légèrement bicéphale car il s’appuit un peu sur son ennemi, l’ex-prétendant de la princesse Na’vi. Et encore, il est possible de douter de ce leadership car cette capacité de commandement aurait-été inefficace sans sa prière à Mère Nature qui lui octroie la Victoire Finale contre les terriens par son appui stratégique. Voyant ce peuple « merveilleux » au bord de la défaite, elle décide d’exhausser la prière de Jake et envoie des milliers d’oiseaux à la charge contre les aéronefs ainsi que de nombreux monstres terrestres contre les forces humaines des terriens.

Au lendemain du tremblement de terre de Hawaï oser affirmer que la nature ne déchaîne sa puissance contre l’Homme que s’il le mérite est une vision bien manichéiste qui rejoint les propos de l’évangéliste américain Pat Robertson qui « qualifie le tremblement de terre de punition divine » [1]

Pour continuer sur le registre de l’actualité, il est difficle de ne pas opposer Avatar et Invictus. En effet, ce film, à travers Nelson Mandela montre l’importance et la puissance du langage pour désarmer celui qui cherche à vous détruire. Tout le contraire d’Avatar dans les buts comme dans les moyens.

(c) Hervé Bernard 2010