Il nous parle de de l’intime, de l’intime de la création, du ‘’bonhomme’’ dont on ignore comment il vivait son corps, ce corps massif et pourtant de petite taille, même pour son époque. Un grand homme ne peut pas avoir de petit corps ! Tel est la position de la SGDL [1], on pourrait même dire qu’elle en fait un cahier des charges. Ce cahier des charges, Rodin va longtemps courir après. Certes, pour Rodin, il est hors de question de trahir Balzac ou plutôt son corps. C’est-à-dire le réalisme. Et c’est dans ce réalisme que réside leur terrain commun.
Le paradoxe de cette sculpture, c’est que nous la regardons comme réaliste, ce qu’elle n’est pas. C’est un peu l’histoire des Paysans de Balzacc, une œuvre qui nous parle d’une campagne entrain de disparaître alors que La Terre de Zola, autre artiste réaliste, nous parle de la naissance de l’agriculture moderne, celle à l’origine de la catastrophe contemporaine. Ces deux œuvres ne sont donc que partiellement réalistes car elles font l’une et l’autre l’impasse sur un aspect de la réalité.
Il en est de même pour le Balzac de Rodin, celui-ci malgré une recherche documentaire allant jusqu’à faire fabriquer une nouvelle redingote par le tailleur de Balzac et à immortaliser un conducteur de fiacre ressemblant à Balzac mais qui ne sera jamais une sculpture réaliste.
Que manque-t-il au réalisme du Balzac de Rodin dans ses premières versions ? Plus que la taille, c’est la stature de cet auteur dans le paysage littéraire. En cela , malgré de mauvais argument, la SGDL pointe quelque chose d’essentiel : un monument à l’honneur d’une personnalité se doit non seulement ressembler à son modèle mais, il se doit aussi de nous parler de sa stature. Est-ce toujours du réalisme ?
Du XIXe au début du XXIe siècle, l’Occident a, directement ou indirectement, par son influence, peuplé les villes du monde entier de statues dédiées aux Grands Hommes et parfois aux Grandes Causes. Aujourd’hui, nous déboulonnons pour de fausses bonnes raisons. Est-ce qu’à l’image des membres de la SGDL, nous obtiendrons des résultats à l’aune du Balzac de Rodin ? C’est une autre question dont la réponse ne nous appartient pas.
Par contre, on peut s’interroger sur la mise en valeur de la robe de chambre de Balzac. Serait-elle une forme de déboulonnage de la statue de Balzac ? Déboulonnage parce que dans ses proportions, elle est plus réaliste que la statue finale, déboulonnage parce que malgré l’absence du corps, sa présence est surprenante. Déboulonnage du mythe du grand homme parce que Balzac a choisi pour se présenter au monde, cette robe de chambre plutôt que l’éternel costume trois pièces coutumier de l’époque. Choix étrange pour un dandy, auteur de plusieurs traités d’élégance qui affirme : « la toilette est réellement tout l’homme, l’homme avec le texte de son existence. » Cette robe de chambre est diamétralement opposée à l’élégance d’un Charles Baudelaire, autre dandy. Alors pourquoi une robe de chambre ? Certes elle dissimule partiellement le volume du personnage et lissant les reliefs, elle le ‘’grandit’’ optiquement. Cependant, cette réponse partielle ne dit pas pourquoi il choisit de montrer son intimité, de faire de cette intimité une extimité, une position à l’encontre du dandysme. L’autre paradoxe est qu’elle nous parle d’une intimité sur laquelle, sauf erreur, Balzac ne s’étendait pas beaucoup. Que dit-elle du corps et de l’habit pour cacher, pour mettre en valeur et de la fonctionnalité de l’habit ? Ces interrogations sont loin d’être secondaire aux yeux d’un dandy.
Déboulonnage nécessaire de cette statue de Balzac parce que le combat contre la SGDL et le romantisme de l’artiste maudit surjoué par la postérité étouffe l’œuvre de Rodin au même titre que Le Penseur.
Cette statue de la robe de chambre de Balzac montre l’importance du matériaux utilisé pour réaliser une sculpture, à sa manière, elle est un ancêtre de l’abstraction et pourtant c’est elle qui nous parle le mieux de la stature de l’homme qui la revêtait. Tel une photographie, elle révèle la présence de l’absence. Enfin, grâce aux tailleurs, c’est l’un des tout premier travail art-science ancêtre des objets virtuels avec le recours aux technologies des tailleurs de l’époque.
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