Ces deux peintures inspirées du tableau intitulé Portrait d’un homme [1] de Jan Van-Eyck [2] sont deux peintures qui posent avec acuité la question de la copie.
En effet, de par leur fidélité aux teintes et à la composition de l’original, elles ne peuvent renier leurs sources : Le portrait d’un homme de Jan Van-Eyck. Pourtant, si ces tableaux sont issus de la volonté de reproduire cette peinture, on peut dire que cette volonté a échoué. En effet, si l’on reconnaît la peinture du maître flamand, simultanément on ne peut constater que l’absence d’identité entre ces deux tableaux est l’original. Ce constat nous amène à nous interroger, cet échec est-il volontaire ? l’auteur, Marie-Thérèse Helo a t-elle consciemment choisi de dévier de son modèle ou bien cet écart est-il le fruit d’une incapacité ?
Le fait qu’elle choisisse de faire deux versions de ce tableau, quelqu’en soit le prétexte officiel ne nous éclaire pas sur cette question. Finalement, face à cette interrogation, la seule position que nous puissions adopter est de choisir un point de vue concernant ces deux peintures.
Pour ma part, dès ma première découverte, instinctivement, j’ai fait mon choix. Elles sont non seulement une réinterprétation riche de sens de l’original mais deux études sur la folie qui éclairent d’un jour nouveau la peinture de Van-Eyck. Dans l’original, le seul brin de folie réside dans la disposition du turban. Pourtant à bien regarder le portrait original, une interrogation surgit, ce portrait est-il celui d’un homme ou d’une femme ?
Comment Marie-Thérèse Helo a fait surgir ce sentiment de la folie ?
Dans le portrait n°1, Outre le mouvement du turban qui, bien qu’identique à celui de l’original, paraît encore plus dynamique ; le teint est blême, voire cireux ce qui rend les yeux encore plus exorbités. Cette association contribue à faire surgir ce questionnement sur la folie.
L’autre élément essentiel est le format, les deux tableaux de Marie-Thérèse Helo se rapprochent du carré optique alors que le tableau de Van-Eyck est un rectangle. Ce simple changement de format suffit à transformer les dynamiques en accentuant notamment le mouvement du turban. En cela, ce nouveau format contribue à l’installation de ce sentiment de folie. Il est, peut-être, aussi l’indice du refus d’exécuter une copie servile.
Au-delà de la réinterprétation du tableau de Van-Eyck, ces deux tableaux nous amène à nous reposer la question de la copie. Il se trouve que c’est la différence entre l’original et les deux copies qui provoque le surgissement de ce questionnement sur la signification de l’original. Et ce surgissement nous amène à reconnaître l’originalité de ces deux tableaux, un peu légèrement appelés copies au début de cet article. La différence est donc susceptible de se dissimuler, elle n’est pas toujours évidente.
Viens alors une autre question : hormis les produits issus de la production à la chaîne et encore, certaines cultures considèrent ces produits comme différents les uns des autres parce qu’ils ne sont pas de la même couleur ou ont un propriétaire différent... existent-ils des choses ou des personnes identiques à une autre. Interrogation qui nous ramène notamment à la question de l’individu, questionnement, qui à propos de ce tableau est fondamentale. En effet, Le turban rouge est considéré, par les historiens de l’art, comme le tableau fondateur du portrait occidental. On pourra donc remarquer combien ces deux copies, qui ne sont d’ailleurs pas identiques entre elles, nous rappellent que ce tableau appartient à un faisceau d’éléments tel l’invention de la perspective, à la base de l’élaboration de la conception de l’individu occidental.
Finalement, ces deux tableaux montrent que l’on peut simultanément adopter le point de vue de l’autre tout en conservant le sien. Il ne serait donc pas nécessaire de se renier pour se mettre à la place de l’autre. Une fois encore, l’image nous permet donc de sortir du manichéisme.
Quelles sont les limites entre une copie mal faite, une œuvre originale et un plagiat ?
© Hervé Bernard 2009-2010
L’original
Dans le prolongement de cet article voici un extrait d’un livre de Barbara Cassin qui confirme que cette question n’a pas toujours existé.
L’EXACTITUDE LITTÉRALE
« La fin des fins est donc l’extraction des citations. Or l’horreur est que la citation est inassignable. Comment faire pour poser les guillemets ? Les guillemets n’existent pas en grec, faute certes d’un imprimeur Guilaume (Guillaume, éponyme de « guillemets ») pour les y mettre ; mais, plus radicalement, à cause des mœurs antiques concernant la citation. La citation est en droit une appropriation, et la phrase citée – si l’on peut encore dire – est modifiable, coupable et suturable à merci pour que sa syntaxe, voire son sens, s’accordent au contexte qui impose son droit léonin. Toute la littérature grecque est palimpsestique, tout texte est un texte de textes, à commencer par le texte-origine prôné par Heidegger, le Poème de Parménide, qui reprend en son cœur, lorsqu’ il s’agit de décrire la sphère de l’Être, les mots même dont Homère se sert dans l’Odyssée pour décrire Ulysse passant au large des Sirènes ligoté à son mât [3]. « La main et son index doivent se trouver quelque part. Souvent une seule particule est une indication de citation cachée. Mais on doit certes d’abord s’être transposé dans la même sphère que celui qui discourt [4]e, 1809- 1810 trad. Christian Bemer, Paris, Le Cerf/Put 1987, P 9]]7 » : Schleiermacher souligne à quel point la citation relève alors, non d’une philologie positive, mais de l’histoire de l’art.
Diels choisit de poser les guillemets nominatim [5]) là où le nom apparaît. Mais, à y bien réfléchir, la seule certitude, locale, est inverse : là où le nom apparaît, les guillemets n’ont pas leur place. Nominatim : quand on lit « Théophraste dit que ... », « comme il semble à Théophraste » dans les Doxographi Groeci, ou « Thalès affirme que » dans les Fragments des Présocratiques, on sait que.ces quelques mots ne sont pas de Théophraste ni de Thalès à moins qu’ils n’aient eu de temps en temps une écriture à la César. Bref c’est Diels qui décide. La différence dans ses deux ouvrages entre caractères serrés el caractères moins serrés engage l’histoire de la philosophie toute entière, et son histoire. En caractères serrés, les erreurs, les interprétations tendancieuses, tardives, qui sont autant de gloses des citateurs. Par contre, les brusques irruptions de caractères moins serrés sont l’équivalent des guillemets et distinguent les citations. Le Diels des Doxographi l’avoue bien simplement : tout passage admirable (quanta est rerurn gravitas, ordinis concinnitas, iudicii sagacitas) sent illico Théophraste à plein nez (nec fieri potest quin illicoTheophrasti quasi quendm saporem sentias [6]. Ainsi, le seul critère de l’origine est l’excellence. Le seul critère de l’excellence, c’est le jugement de Diels. Et le jugement de Diels. C’est, qui, sait bien de choses en somme. »
Barbara Cassin dans Jacques Le Sophiste 2014
Voir aussi : - Ponce Pilate de Roger Caillois
- À propos de la copie, du plagiat, de la citation... et du Benshi