Prélude
Le dualisme est, selon le CNTRL, un système de croyance ou de pensée qui, dans un domaine déterminé, pose la coexistence de deux principes premiers, opposés et irréductibles. […] Caractère de ce qui comporte deux éléments disjoints, opposés et complémentaires.
Le manichéisme, selon, la même source, est une Doctrine religieuse conçue par Mani, fondée sur la coexistence et l’antagonisme de deux principes cosmiques égaux et éternels : le bien et le mal ; conception qui admet le dualisme antagoniste d’un principe du bien et d’un principe du mal.
À la lecture de ces deux définitions, on peut s’interroger sur la prédominance historique ou encore sur la préséance du dualisme par rapport au manichéisme si ce n’est que le second a vu son sens contenu au monde religieux et étendu au monde de l’instruction civique avec la laïcisation de la société tandis que le premier appartiendrait plutôt au domaine de la pensée.
Du dualisme au manichéisme, il n’y a qu’un pas bien souvent allègrement franchi. nous le sentons plus ou moins consciemment, choisir entre deux principes n’est pas vraiment choisir et comme l’affirme l’expression. Opter pour le pire ou le ‘’moins pire’’ est un choix par défaut. ‘’ Choisir entre Caribe et Scylla ’’ est un non choix. Autrement dit, faute de grive, on se contente de merle. Cet adage illustre à merveille une stratégie employée dans ce genre de circonstances. Nous avons alors tendance, pour valider notre choix, malgré ou à cause de cette alternative toute relative, à amplifier emphatiquement les qualités et les défauts de chaque partie de l’alternative pour conclure que Scylla et moins problématique que Caribe ou inversement.
Cette pratique de la dualité a, probablement, été un tremplin de la pensée occidentale pour se propulser dans des zones invisibles à d’autres systèmes de pensée (cf Ph Descola). Cependant, son amplification est devenu une absence de pensée et ce système a atteint ses limites. Limites mises en valeurs par les excès de nombreux discours politiques et économiques contemporains qui ne nous laissent aucun choix sans même parler de l’épisode de Covid 19 et ses remèdes qui nous ont été présentés comme sans alternative. Dans ce dernier cas, Scylla n’existe pas puisque l’absence de soins n’est pas une alternative.
I De l’origine de ce dualisme ?
La mise en forme de ce système de pensée est liée à la découverte de la “géométrie de l’espace” et l’invention de la symétrie. Cette symétrie s’est (ou a été) immédiatement construite sur notre corps car celui-ci est notre référent haptique dans l’espace. Quel est l’élément primeur, dans cette découverte, du corps ou de la géométrie ? C’est-elle faite en parallèle ? En fait, on peut imaginer que nous avons projeté dans l’espace la “géométrie” de notre corps.
Notre programmation mentale incorpore naturellement la symétrie, elle serait donc ‘’irréfléchie’’. L’invention de la gauche et la droite, du haut et du bas, du devant et du derrière sont la conséquence de cette perception haptique. Ce qui est à gauche d’un point de référence ne peut pas être simultanément à droite du même référent. De même que ce qui au-dessus ne peut simultanément être en-dessous. Ainsi, si je mets ma main droite à gauche de mon corps, celle-ci n’est plus à sa droite. Ce corps a donc construit une dichotomie de l’espace. Cette dichotomie nous la retrouvons dans notre cerveau biologiquement, avec ses deux hémisphères et dans notre mode de pensée, est-elle la conséquence de notre spatialisation ? Pour prolonger ce registre biologique on ajoutera le rythme circadien avec l’alternance jour-nuit ; l’ombre et la lumière ; la position debout ou couchée matérialisation des axes horizontaux et verticaux et de ce rythme. Ces axes sont, eux aussi, la matérialisation de ces positions car nous pensons d’abord avec le corps et donc dans l’espace. Le temps vient après.
Pourtant un objet ou certaines parties de notre corps peuvent-être simultanément en haut et à gauche et, comme évoqué précédemment, s’il s’agit de notre main droite, elle n’est plus à droite, puisque nous l’avons placé à gauche et en haut et pourtant, même à gauche, elle restera la main droite. Comment sortir de ce bilatéralisme binaire ? Ce manichéisme est-il une métaphore, le miroir, le portrait ou le reflet de notre bilatéralisme c’est-à-dire une image à moins qu’il ne soit une transposition imaginaire de ce bilatéralisme ? Comme nous venons de le démontrer, ce bilatéralisme haptique est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît.
L’intérieur et l’extérieur,
« Avec Aristote, l’espace n’est plus appréhendé comme ‘’matière’’. Aristote fait du réceptacle’’ (hypdekhomèné) de Platon, l’une des causes logiques de l’existence et l’identifie à la matière (hylé). Il jette les bases d’une perception de l’espace sur laquelle la pensée occidentale fondera la sienne – celle d’un espace qui est une étendue et non un réceptacle. » [1] L’habité et l’inhabité sera lié à cette notion d’intérieur et d’extérieur.
Cette dichotomie, l’avons nous (ré)introduite dans notre pensée en inventant le bien et le mal ? Ce qui est bien ne peut pas être mal et inversement.
Janus
Cette dualité du double-face nous amène à conclure, aujourd’hui, à une incompréhension contemporaine de Janus, ce dieu à deux faces considéré comme symbole de l’hypocrisie, en dépit de son rôle originel, dans la Rome Antique, et au Moyen-âge :
– celui de marquer, représenter la transition, le passage. En effet, Janus ferme une porte, celle de l’année qui vient de s’écouler pour en ouvrir une autre, celle de l’année qui commence. Janus est donc le dieu de la transition et non de l’opposition. Cette mutation révèle l’évolution des modes de pensées occidentaux depuis le XIXe siècle.
Manichéisme et pensée, le rejet de la complexité
Cette dualité manichéiste nous fait refuser la complexité et, plus particulièrement, le passage, la transition, moins simple à déchiffrer que la rupture. En fait, Janus, parle de continuité, d’un regard porté simultanément sur l’année qui vient de s’écouler et de celui porté sur l’année naissante. Attitude qui nous est de plus en plus difficile avec notre manie des ruptures technologiques, de la pensée, dans nos habitudes alors que nous sommes bien plus dans la longue durée que nous voulons le croire comme le montre notre rapport à l’argent ou encore le maeler daemon d’internet qui se traduit par “facteur diabolique”, une référence directe au diable de la Grèce Antique.
Quant à la Rome antique, elle fait de Janus celui qui clôt les guerres et donc ouvre un temps de paix. Janus, dieu du passage et non de l’hypocrisie, ce qui donne un tout autre poids au nom du premier mois de l’année. Et les guerres, nous en avons une multitude à clore à commencer par celle(s) contre nous-mêmes.
Cette dualité, on la retrouve dans l’eau, source de vie avec l’eau qui rassasie, qui nourrit les plantes et cependant source de destruction avec l’eau des tempêtes, l’eau des inondations. C’est l’eau qui garantit la survie du fœtus et pourtant ultérieurement nous noiera si l’on y plonge la tête un peu trop longtemps. Quant à l’eau salée, c’est là que vivent les poissons, nourriture qui, jusqu’il y a peu, nous semblait miraculeusement abondante et miraculeusement infinie. C’est les prés salés qui produisent cette viande ou ce beurre au goût particulier mais c’est cette même eau salée qui stérilisera un sol ou détruira les ports lors de tempêtes. Pourtant, c’est cette aptitude à stériliser qui fera de la saumure le moyen de conserver les aliments. Bonne ou mauvaise, difficile de la classer.
L’éclipse est un entre deux, elle aussi, bat en brèche la dualité. En effet, lors de certaines éclipses du soleil, il ne fait plus jour puisqu’il fait noir, cependant, ce n’est pas la nuit puisqu’elle se passe pendant le jour.
Au-delà de nos caractéristiques biologiques qui font qu’une plus grande part de notre cerveaux est consacrée au sens de la vision qu’à celui du son et, paradoxalement, en opposition à ces caractéristiques, c’est ce même manichéisme (au sens contemporain) qui fait déclarer à certains que l’ouïe est supérieure à la vision. Celle-ci nous induirait moins en erreur que la vue.
Le binaire, une dictature
La dictature du binaire exige un choix entre deux propositions. Elle interdit tous les autres chemins, toutes les autres alternatives. Le binaire, c’est la dictature de la double contrainte. Et pourtant, la cuisine asiatique est là pour nous rappeler que la mixité est aussi très agréable.
La solution serait-elle dans notre corps ?
Si l’on regarde le corps humain autrement « Le chiffre cinq est le chiffre du vivant. L’homme est défini par le cinq. » :
– deux bras, deux jambes, un tronc, donc cinq parties, notre tronc à cinq extrémités comme nous le rappelle L’Homme de Vitruve ;
– Nous possédons sur chaque main cinq doigts, sur chaque pied, cinq orteils. » [2]