« Les dieux résident où se trouvent leurs simulacres. »
Flaubert, Salambo
Flaubert par cette phrase énonce l’une des probables explications de l’interdiction de la représentation divine dans les religions du Livre. En effet, interdire de figurer la face et/ou le corps de Dieu interdit, accessoirement, à toutes les cités d’un Empire de détenir une représentation divine.
1 L’interdiction
Partir de l’interdiction de la détention de la représentation divine quelle qu’elle soit, conduit à un état de fait : aucune des cités ne peut revendiquer détenir l’image la plus ressemblante, la plus efficace, la plus (...) de ce Dieu et, sur ce plan, toute velléité de compétition entre ces cités est réduite à néant. Faute de combattant, le combat cesse. Simultanément, l’absence de cette compétition évite la naissance de guérillas internes ou de combats organisés par une soldatesque plus ou moins bien efficace et plus ou moins pillarde.
Le combat entre les cités européennes lors de l’introduction du culte des reliques —qui sont une forme d’image dans le christianisme– est là pour nous redire la justesse de cette vision. En effet, si les faits de guerre entre villes prétendant détenir des reliques d’une même partie du corps d’un saint ou les reliques les plus vraies ont été exceptionnels, une guerre économique eut bien lieu. Celle-ci eut pour objectif, la détention de la relique la plus authentique des plus grands saints ou de la Croix.
Cette guerre là se manifesta sous forme d’enchères qui firent plus qu’écorner la bourse de certaines de ces villes. Cette soulte fut d’autant plus importante que l’un des objectifs plus ou moins avoué des Croisades fut bien de s’emparer des dites reliques. À tel point que leur fin se solda par une véritable rafle de reliques qui transforma tout objet religieux rapporté de Terre Sainte en un objet inestimablement Saint quelque soit sa provenance.
De fait, après les Croisades, on ne pouvait plus se rendre à Nazareth, de même l’accès de Jérusalem était devenu quasi impossible. Cependant, grâce à ces objets, on pouvait toujours visiter la maison de la Sainte Famille, à Lorette, en Italie ou, à Paris, honorer la Couronne d’épines placée dans la Sainte-Chapelle ou encore à Bruges quelques gouttes du précieux Sang,…
C’est probablement pour éviter ces conflits que l’on vit apparaître ce que l’on pourrait appeler un versioning des saints. En effet, on en créa différentes moutures. Ainsi, Sainte Catherine eut la sienne à Sienne mais aussi à Alexandrie ou encore Saint François avec Padoue et Sales.... Affirmer qu’il y a plusieurs Sainte Catherine évite de s’interroger sur l’authenticité d’une relique.
2 Reliques, Judaïsme et Islam
Maintenant, force est de constater que, bien au-delà des reliques des saints et du Christ, cette interdiction ne fut respectée par personne. Quand je dis personne, je veux dire que comme pour la question de l’image, le Judaisme et l’Islam ne furent pas plus respectueux, l’un que l’autre, des interdits comme le montre la synagogue de Doura-Europos (seconde moitié du Ie siècle, la synagogue reconstruite vers 244-245) pour l’image par exemple.
Quand à l’Islam, comme le mentionne wikipedia, « Les Reliques sacrées de l’Islam (turc : Kutsal emanetler), dites aussi Reliques Saintes, sont un ensemble d’objets religieux envoyés aux Sultans ottomans entre le XVIe et la fin du XIXe siècle.
Avec la conquête du monde arabe par le sultan Selim Ier (1517), le Califat passa des Abbassides, vaincus, aux sultans Ottomans. Cependant, les reliques furent transmises d’un régime à l’autre. Ainsi, le manteau du prophète Mahomet, que conservait le dernier calife abbasside du Caire, Al-Mutawakkil III, fut donné à Selim Ier.
Il en fut de même pour diverses reliques de Mahomet et d’autres objets associés au prophète qui furent emportés au Palais de Topkapı, à Istanbul, où ils sont encore aujourd’hui. Les reliques sont entreposées dans l’ancienne Chambre Privée du sultan (autrefois ses bureaux), dans la Troisième Cour du palais. La Chambre Destimal est la pièce où l’on trouve le pot d’Abraham, le turban de Joseph, le bâton de Moïse, l’épée de David, des parchemins ayant appartenu à l’apôtre Jean et l’empreinte de pied de Mahomet. Le Şadırvanlı Sofa est la pièce qui contient la clé de la Kaaba, ses gouttières, le boitier de la Pierre Noire (Hacerü’l-Esved), la Porte de Repentance, et les épées des compagnons de Mahomet. La Chambre d’Audience, dite aussi Maison des Pétitions (Arzhane) présente une dent du prophète (Dendan-ı Saadet), des poils de sa barbe (Sakal-ı Şerif), le sceau de Mahomet (Mühr-ı Saadet), une lettre autographe (Name-ı Saadet) et ses armes (épées, arcs) dans des reliquaires œuvres d’artisans ottomans. Ces objets sont à proprement parler les Reliques Sacrées (mukkaddes emanetler). D’ailleurs, un mufti lit continuellement le Coran dans cette pièce.
Quant à la Chambre du Saint Manteau, elle abrite, sous un dais de treillis d’argent, les coffres d’or qui contiennent le Saint Manteau et la Bannière de Mahomet, les deux reliques les plus importantes de la tradition musulmane.
3 Reliques et images
La relique, comme l’image est un objet réducteur de l’Infini divin. Or Dieu, puisqu’il est Dieu, a nécessairement pour l’espèce humaine une part d’inconnu, d’invisible.
Comment faire des représentations de Dieu qui donne à voir, à percevoir l’infini de sa puissance ? Les statues mais aussi les bâtiments religieux devraient atteindre des dimensions gigantesques. Ce gigantisme à deux énormes défauts qui ont la délicate tâche de nous mettre face à nos limites : limite de faisabilité, pour ce qui concerne les bâtiments et les sculptures ; limite économique c’est-à-dire coût monétaire et éventuellement coût humain.
L’absence de ces images rend leur destruction impossible. Donc de fait, cette fragilité de la représentation divine qui risquerait, par un effet d’écho de retomber sur Dieu est éliminée. Est-ce à dire que l’interdiction hébraïque de l’image daterait de la première destruction du Temple de Jérusalem ?
En fait, l’interdiction de représenter Dieu ne sert qu’à camoufler notre impuissance à réaliser cette perfection. Elle nous évite de nous confronter à nos défaillances ou plutôt à nos limites.
À partir de ce point de vue, il vaut donc mieux se confronter à une interdiction qui nous donne virtuellement la capacité de la dépasser, certes en ne la respectant pas tandis que le constat d’une impuissance ne fait que nous renvoyiez à notre infini impuissance car toute impuissance ne peut-être que paradoxalement infinie.
Deuxième partie : - Image et représentation divine 2/3, une interdiction pour nous protéger !
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