Faits linguistiques à propos de la couleur
[article original de Alan S.Kennedy, malheureusement le texte orginal n’est plus disponible
(Les commentaires entre parenthèses sont des ajouts que nous avons faits.)
Nous avons tendance à penser que tous les humains ont les mêmes idées à propos de la couleur des choses. Ainsi, l’herbe est verte, les flammes oranges, le ciel bleu et cela même si chaque langue a son propre vocabulaire pour désigner les couleurs.
En tant qu’anglophone (Alan S.Kennedy) ; nous avons tendance à penser le vocabulaire de la couleur depuis les couleurs de base vers des couleurs plus spécifiques (ex : turquoise et ocre). Pensez aux mots de la couleur tels qu’ils sont enseignés à vos enfants. Un rapide coup d’oeil aux livres d’enfants montre qu’il y a généralement 11 termes de base.
De nombreuses personnes sont surprises d’apprendre que certaines langues n’ont pas la même vision des couleurs de base. Ainsi, certaines langues des Highlands de Nouvelle Guinée ont un terme seulement pour le noir et le blanc (probablement mieux traduit par sombre et clair). La langue hanuno parlée dans les Philippines n’a que quatre mots de base pour désigner les couleurs : noir, blanc, rouge et vert. La langue pirahã parlée par des tribus amazoniennes ne disposerait quant à elle d’aucun terme fixe pour désigner les couleurs. Selon le linguiste Dan Everett, si vous leur montrez un bol rouge, ses locuteurs diront « Ceci ressemble à du sang. »
Si vous regardez ci-dessous le schéma de Berlin et Kay (1969) concernant 98 langues présentant dans un ordre croissant d’usage les mots désignant les couleurs, vous constatez que quelque soit le nombre de couleurs utilisées dans chacune de ces langues, elles apparaissent toujours dans cet ordre.
Les études réalisées depuis les travaux de Berlin et Kay ont continuées de confirmer cette tendance, au moins, jusqu’à la couleur bleue. Pour les couleurs suivantes, les successions de couleurs sont moins claires. Cela inévitablement conduit certains linguistes à supposer que la vision des couleurs est soumise à notre langage. Le psychologue anglais W.H.R Rivers a dirigé des expériences au cours des années 1890 avec des habitants des Pacific Islanders ( Fidji, Samoa, Tonga, îles Cook et Niué). Ceux-ci utilisent leur terme pour le noir pour décrire le ciel. Ces expériences démontrèrent que ces peuples pouvaient distinguer toutes les nuances de couleurs même s’il n’existait pas de terme pour les désigner dans leur langue. Cependant, d’autres études ont montré qu’il est plus facile de se souvenir et de désigner une couleur si un mot existe dans la langue parlée par la personne. Une récente étude de Franklin, Drivonikou and Bevis (2008) suggère que la perception des couleurs est de plus en plus dirigée par notre langue maternelle au fur et à mesure de notre croissance. Voici quelques exemples quelques exemples de la manière dont les couleurs sont évaluées dans différentes langues.
– Le latin : ne possède pas de terme pour désigner le gris et le marron et il a du emprunter ces termes au germain. (Il en est de même pour le bleu)
– Le grec ancien : désignerait le noir et le bleu par le même terme (sans oublier le rôle du vert dans ce champ de la couleur, notamment pour la mer. En effet, il est difficile de croire que les Grecs Anciens, marins, ne disposaient pas d’un vocabulaire étendu pour désigner les variations de couleurs de la mer. (dans son article Alan S.Kennedy, se contredit quelques lignes plus bas.)
– L’hébreu biblique : n’a pas de terme pour désigner le bleu.
– le navajo : n’a qu’un seul terme pour le gris et le marron, de même pour le bleu et le vert. Il en possède deux pour le noir, distinguant le noir et le sombre (en français anthracite ?).
– Le russe, italien et grec ont plusieurs mots courants pour désigner les bleus sombres et les bleus clairs. En russe : голубой et синий ; en italien : azzuro et blu ; en grec γαλάζιο et μπλ.
– Le hongrois possède deux termes de base pour désigner le rouge : bordó pour le rouge sombre (bordeaux ?) et piros (vermillon ?)
– L’espagnol dispose de plusieurs termes qui correspondent au terme marron, le brun de la peau et du sucre correspondent au terme moreno, castaño désigne le brun des cheveux, pardo désigne celui de l’ours tandis que les autres animaux sont marrons sont marrón tout comme les yeux, les voitures, les peintures et les habits. Tandis que de nombreux latino-américains useront du terme café pour désigner le marron. Il en résulte que les livres d’écoles destinés aux étrangers sont en désaccord concernant le terme basique pour le marron.
– Le shona, langue bantou (Afrique du Sud) n’a pas de mot de base pour le vert et par contre dispose d’un terme pour le vert-jaune et un autre pour le bleu-vert.
– L’hindi ne connait pas le gris tandis que le safran est considéré comme une couleur de base aussi bien dans les livres pour les enfants que ceux destinés à l’apprentissage de cette langue par les adultes.
– Le gaelic glas signifie aussi bien gris que vert ; glasbheinn est le vert des montagnes ; glais-fheur est l’herbe verte MAIS glaschiabh désigne les cheveux gris et glasgheadh me gris de l’oie.
– En écossais, langue de la famille de l’anglais, le mot bleu recouvre non seulement la couleur bleue mais aussi une part du spectre du vert et du gris malgré le fait que dans l’écossais contemporain cette différence à tendance à s’estomper.
Terme écossais........... Concept équivalent anglais
gwyrdd......................... vert non bleuté
glas............................. bleu, bleu-vert et gris bleu
llwyd............................ gris sauf le gris bleuté.
– Les personnes qui parlent à la fois anglais et kwakwa’la (langue parlée dans les Vancouver Island) expliquent qu’ils ont recours aux termes yellow et green lorsqu’ils parlent anglais tandis que lorsqu’ils parlent kwakwa’la ils emploient un seul terme : ibenxa.
– Le terme espagnol pardo précédemment cité signifie marron quand l’on parle d’un ours mais un temps gris et couvert si l’on parle de météo. Certains dictionnaires précisent qu’il désigne aussi un gris-marron, terme qui n’existe pas en anglais.
– Le serbo-croate parle de cheveux bleus (plava kosa) pour désigner les cheveux blonds (le blond reflète mieux le bleu que le noir, chez nous certaines femmes agées se teignent les cheveux en gris bleutés) bien que cette langue dispose d’un mot pour le jaune et l’or. Les italophones désignent le jaune d’œuf par le terme rosso d’uevo (rouge de l’œuf). Cela peut sembler bizarre jusqu’au moment où l’on se souvient que “a white redhead drinking white wine” a en fait une peau claire-rosée et légèrement orange, avec des cheveux orange et un verre d’une boisson jaune, (c’est-à-dire en fait une femme blanche aux cheveux rouges entrain de boire du vin blanc).
– Quelques langues comme le lakota (indien de la famille des Sioux) ont des verbes de couleur. Ainsi le verbe gigi signifie être marron-rouille et skaská être blanc.
“ Grue ” (concaténation de green et de blue)
– De nombreuses langues sont comme le navajo et ne possèdent pas de termes pour le vert et le bleu, ils utilisent un terme unique pour ces deux couleurs. Les linguistes ont recours parfois au terme « grue » pour décrire ce mot. Le tzeltal parlé au Mexique et le tarahumara parlé en Inde appartiennent à cette famille. En fait, des 5 à 6000 langues répertoriées et parlées par plus de 2000 personnes chacune, nous pouvons dire que la majeure partie d’entre elles sont du type « grue ».
– En vietnamien, la couleur des feuilles des arbres et celle du ciel sont décrites par la couleur xanh.
– En thai, le mot เขียว désigne simultanément la couleur verte et celle du ciel.
– En japonais et coréen, la distinction entre et le vert et le bleu n’est pas toujours faite. Ainsi, dans ces deux langues la couleur des feux rouges peut-être désignée par le terme vert ou bleue. (En Europe, il arrive parfois que cette lumière soit cyan, c’est-à-dire bleu-vert. Il serait donc important de vérifier si, dans ces deux langues et par extension pour nombre des autres, cette confusion est due à une méconnaissance du vocabulaire de la langue ou à une absence de terme ou encore un défaut dans la couleur des lampes des feux verts.)
– En gaelic, gorm désigne le bleu mais, il est parfois employée pour désigner la couleur de l’herbe comme dans l’expression feur gorm qui signifie le vert de l’herbe. (Là aussi, on peut s’interroger, en effet, par temps orageux, le bleu du ciel, très dense, se reflète dans le vert de l’herbe qui devient d’un vert-bleuté.)
Il faudrait aussi remarquer que les termes quotidiens employés pour désigner les couleurs sont bien souvent différents des termes scientifiques quelque soit la langue évoquée. Ainsi, les anglais emploient l’expression mnémotechnique “Roy G.Biv” pour mémoriser la séquence des couleurs du spectre visuel ; rouge, orange, jaune vert, bleu, indigo, violet. Cependant, peu d’anglophones parlerons de l’indigo comme d’une couleur de base. L’anglais n’est pas la seule langue à avoir une expression mnémotechnique, le russe par exemple en a une lui aussi.
Couleur et culture
Les associations de couleur varient fortement. Les mariées occidentales considèrent le blanc comme la couleur normale de leur robe et dans les pays anglo-américains portées une robe bleue est tout aussi normal. Dans certains pays de l’Asie et du Pacifique, la robe de mariée est habituellement rouge. (Il semble qu’en Europe, au Moyen-âge, ce fut aussi le cas.) Nous portons le noir pour un enterrement, en Inde (au Japon aussi) le blanc est la couleur habituelle. (À noter qu’en Europe, c’est aussi la couleur normale pour l’enterrement d’un enfant en bas âge car il est considéré comme innocent, sans pêché et ce fut aussi la couleur pour le cercueil du roi de France, car il était le représentant de Dieu sur terre.). Dans les cultures occidentales, le violet est souvent associé à la royauté, une association qui existe nulle part ailleurs.
Les Chrétiens pensent que le ciel est blanc ou bleu - dans le Coran, la couleur verte est évoquée dans plusieurs versets pour évoquer le paradis. Pour les chinois, le rouge est fortement associée avec la bonne chance, une association qui n’est pas faite par les Occidentaux (Les Français considèrent que le vert est la couleur de la chance). Dans la tradition cherokee, le bleu est associé au nord, tandis que le blanc l’est au sud et le rouge et le noir respectivement à l’est et à l’ouest.
Les drapeaux de couleurs symbolisent les pays a un degré plus ou moins fort. Rouge, blanc et bleu, dans cet ordre, fait référence aux États-Unis d’Amérique pour ses citoyens mais pas nécessairement pour d’autres cultures. Les couleurs peuvent aussi indiquer des identités religieuses. Ainsi, en Grande-Bretagne, où les catholiques et les protestants ont une longue tradition de conflits, l’emploi du vert (catholique) et du orange (protestant) est un symbole fort d’une opposition socio-religieuses. Les couleurs des gangs, des équipes de foot, des écoles sont aussi fortement saillant dans certaines sociétés.
Idiomes et couleur
De fait, à travers les langues, les couleurs sont utilisées de différentes manières dans différentes expressions idiomatiques. Prenons l’anglais et le vert par exemple, il est vert peut signifier selon le contexte : il est inexpérimenté ; il est envieux, écologiste... Alors que le vert correspond à d’autres associations dans d’autres langues tel le français pour la peur (mais aussi pour la colère), la colère pour le thaï, le grec et l’italien, l’ennui pour le russe, des histoires sexuelle crues en espagnol (en français aussi), le harcèlement en turque, l’infidélité en chinois mandarin, le ciel en arabe et la jeunesse en Swahili.
Une liste de ces idiomes associant la couleur en anglais et dans de nombreuses autres langues a été créées. Elles ne contient que des expressions idiomatiques utilisant la couleur au sens propre et non poétique à l’exclusion des noms propres. (L’auteur précise que les contributions et corrections sont bienvenues.)
À noter que tous les éléments entre parenthèse sont des ajouts et commentaires de notre fait.
– Dans ce blog, voir aussi : - Le bleu et l’aveuglement au bleu des Grecs, des Mayas...
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