En grec :
Grapheïn signifie à la fois peindre et écrire. Et c’est probablement à ce double sens que Baudelaire fait référence lorsqu’il écrit, dans Curiosité esthétique, « Autant il [Delacroix] était sûr d’écrire ce qu’il pensait sur une toile, autant il était préoccupé de ne pouvoir peindre sa pensée sur le papier. »
Dans l’un de ses premiers sens, graphein signifie écrire, c’est-à-dire enregistrer au moyen de signe(s) graphique(s). Un texte, du point de vue perceptif, c’est une mise en page et donc une image car une page se regarde comme une image ; l’œil la parcourt d’une manière similaire, dans tous les sens. Une page, tout comme une image, c’est des masses de gris, qui s’équilibrent pour composer une harmonie à l’œil, un rythme et des dynamiques afin de construire avec leur succession une rythmique. Faire la mise en page d’un livre composé de textes et d’images, c’est comme faire le montage d’un film. D’ailleurs, un metteur en page avant l’arrivée de la mise en page sur ordinateur était un monteur, terme qui désigne aussi les personnes qui assemblent les séquences d’un film ainsi que les sons afin d’en faire un tout cohérent.
Autre curiosité de l’étymologie des mots appartenant au monde de l’image : la loupe. Ce mot désigne à la fois un défaut, notamment dans une pièce de métal (1358), ou une transparence imparfaite dans une pierre précieuse ou un cristal ou encore une excroissance ligneuse (1684) qui se forme sur le tronc ou les branches de certains arbres pour arriver à l’instrument d’optique (1680) composé d’une lentille biconvexe qui donne des objets une image agrandie sans déformation optique.
Ce terme est soit issu d’un radical lopp-, créé en français, désignant un morceau informe qui pend lâchement (1180 voir aussi l’expression faire la loupe « tirer la langue à quelqu’un en signe de dérision » dans Renart, éd. M. Roques, I, 564), soit d’origine franque, cf. le rhénan luppe « morceau ». Étrange passage que celui-ci, d’un défaut, la loupe est devenue l’objet qui sert à contrôler le défaut. Le verbe louper et la loupe ont donc bien la même origine. L’évolution du sens de ce mot est du même type que l’image produite par un miroir. Dans ces deux cas, l’image inverse les choses. Équivoque, qui bien entendu, en anglais n’existe pas puisque l’objet composé d’une lentille s’appelle magnifying glass, c’est-à-dire mot à mot, un verre pour agrandir.
Pour continuer sur ces curiosités, personnage et personne ont la même origine : personna mot latin emprunté à l’Étrusque et qui signifiait alors masque. Cette personne qui signifie à la fois la présence et l’absence est-elle un masque ? Et dans ce cas que masque-t-elle ?
Quant à l’idole, elle vient du grec et signifie image, figure, représentation mais encore, spectre, fantôme, voire apparence. L’idole est un leurre, car elle détourne son serviteur de la réalité pour le cantonner dans le royaume de l’apparence. À elle seule, elle contient déjà toutes nos ambivalences vis-à-vis de l’image. « L’idole des Jeunes » est donc une image parfaitement adaptée, car ses fans se cantonnent au royaume de l’apparence en centrant leur comportement sur un mimétisme fusionnelle qui entraîne leur disparition. Elle les détourne bien de leur réalité et les fans confirment les craintes de l’Ancien Testament et justifient donc l’interdiction de l’adoration des idoles.
© Hervé Bernard 2008
– Regard sur l’image, un ouvrage sur les liens entre l’image et le réel.
350 pages, 150 illustrations, impression couleur, Format : 21 x 28 cm,
EAN 13 ou ISBN 9 78953 66590 12,
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