La Chute d’Icare une mise en image de l’égoïsme humain ?
1 Une indifférence au monde ?
Il est tentant de regarder La Chute d’Icare comme un hommage à l’indifférence du monde à nos joies et peines. En effet, cette opération étrange pour un homme : tenter de voler ne suscite aucune curiosité ; tout le monde vaque à ses occupations. Qui de labourer son champs, qui de garder ses moutons, de pêcher, voire de partir à la découverte d’horizons lointains... La prégnance de cette indifférence est renforcée par notre ignorance de l’épopée de ce noyé. Le titre n’indique qu’une chose : Icare a chu mais de où a-t-il chu nul ne le sait, la peinture reste muette. Aurait-il chu du Paradis ? Et subitement ce laboureur devient l’humanité qui gagne son pain à la sueur de son front tandis que le noyé devient l’humanité qui sombre dans le péché. Cependant, ce laboureur qui, certes travaille, ne semble pas suer beaucoup pour gagner son pain et le pécheur quant, à lui, semble encore moins suer.
Hormis ce titre, La Chute d’Icare pourrait représenter une noyade quelconque et alors s’intituler au choix : Le Noyé, Le Départ en souvenir de ce bateau qui met cap à l’horizon ou encore, à la manière des fables d’Ésope que Bruegel pouvait connaître Le Laboureur et le Pêcheur...
Cette peinture nous rappellerait alors le rôle du titre dans l’interprétation d’une œuvre picturale et nous montrerait combien les mots et les images sont associés dans un enrichissement mutuel. Cependant, que ce soit le titre originel ou l’un des deux titres que nous proposons, ce tableau nous présente les humains comme des êtres peu secourables par égoïsme ou parce que leur destin les astreint à s’occuper de leur sécurité alimentaire peu importe. Le fait est là : sauver un congénère est moins urgent qu’assurer sa subsistance et celle des siens. Quant à l’encourager dans sa quête, ne rêvons pas, ce n’est pas la priorité... Comment cette indifférence est-elle traduite ? Par le sentiment, la sensation que chacune des scènes de cette peinture : les labours, le berger et ses moutons, le pécheur, la ville au loin ou encore le bateau et le noyé sont des scènes autonomes, voire indépendantes. En cela, La Chute d’Icare est l’héritière de la Miniature du Moyen-Age.
Certes l’indifférence générale est aussi marquée par ces regards dirigés dans le sens opposé à la scène centrale désignée par le titre. Certes le pécheur semble regarder dans la direction du noyé mais, en fait, son regard est tellement absorbé par son flotteur qu’il ignore ou oublie de voir Icare qui parait si proche ou plus exactement, qui parait dans une proximité fruit de la perspective de l’image. Ce qui fait de cette proximité une illusion. Quant aux marins de la nef, leur absence du ponton nous laisse croire qu’ils sont occupés à d’autres tâches dans cet univers clos : la coque d’un navire. À l’exception du berger, aucun regard ne semble s’être tourné vers le ciel. Ces attitudes nous paraissent bien étranges à nous, hommes du XXIe siècle qui continuons de célébrer les casse-cous de tous poils qui, depuis ce célèbre Icare tentèrent de faire voler, à n’importe quel prix, par n’importe quel moyen l’humain quitte à le transformer en oiseau. Quel est le sens de ce qui nous semble être indifférence à ce qui nous fascine tant ?
Le monde serait-il indifférent à la mort, à nos souffrances mais aussi à nos plaisirs et par conséquent aux autres quoiqu’ils éprouvent ? Chacun continuant son chemin pour ne s’occuper que de se sustenter ?
Ce tableau serait-il alors la mise en image de cet adage chrétien : « Missa est » « la Messe est dite ! », dans le sens d’achevée. Il a tenté [1], il a échoué, l’essentiel est de nous procurer le pain quotidien. Tenter, revenons quelques instants sur ce verbe. A-t-il tenté ou a-t-il été tenté. Dans ce dernier cas, cette forme passive devient redoutablement active, active dans le pêché.
Malgré la mort, il faut continuer à vivre, certes, quoiqu’il arrive la vie suit son cours. La vie est la plus forte et cette force de la vie est célébrée par la luminosité de ce tableau mais aussi par la saturation de ses couleurs. Saturation et luminosité bien trop intense pour un tableau de deuils surtout pour le deuil de nos espoirs. La Chute d’Icare serait-elle, un tableau parlant de la force de la vie plutôt qu’un tableau évoquant la vanité et le Péché Originel et l’enfermement dans ce pêché ?
Outre l’intensité des couleurs évoquées précédemment, à l’appui de cette thèse, au premier abord saugrenue, car la thématique de La Chute d’Icare a été récupérée ou pensée par l’iconographie chrétienne comme icône de l’expulsion, de la Chute du Paradis. Ainsi, rare sont les commentaires troublés par cet l’horizon dégagé et lointain malgré l’aspect exceptionnel de ce traitement non seulement dans l’œuvre de Bruegel mais aussi dans la peinture de ces contemporains à l’exception d’une Vierge à l’Enfant attribuée à Quentin Metsys où cette ouverture est moins prégnante en raison de la place de la Vierge.
Pourtant cette ouverture est réellement en opposition avec l’enfermement affirmé par le dogme chrétien, en reliant cette peinture à l’expulsion du Paradis. Donc, cette ouverture, cet horizon dégagé ferait de cette peinture une Annonciation mais, pas une annonciation liée à la symbolique chrétienne : l’annonce par l’Ange Gabriel de la naissance du Christ. Non, cet horizon dégagé en ferait l’annonciation de la découverte du Nouveau Monde, et de ce qui deviendra quelques siècles plus tard la mondialisation. Je ne peux m’empêcher d’associer cette peinture à ces vers de Baudelaire : « Plonger au fond du gouffre, / Enfer ou Ciel, qu’importe ? Au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau ! » À moins que cela ne soit l’annonce du progrès technologique qui s’accéléra de manière exponentielle à partir de la Renaissance.
2 La Chute d’Icare, que voit-on ?
Nous avons réalisé avec Teresa Colombi de la société LudoTIC, six enregistrements eye-tracking de La Chute d’Icare. Pour chacun d’entre eux, la première image présente le résultat des dix premières secondes de ce suivi de l’œil par une caméra, la seconde l’accumulation des 60 secondes.
Première constatation, lorsque l’on regarde la vidéo des dix premières secondes d’un suivi du regard sur ce tableau, il nous est difficile de pister ce parcours. Nous n’avons pas conscience de la vitesse de déplacement de nos yeux et s’astreindre à suivre ce parcours est difficile voire impossible à cause de cette vitesse mais aussi parce que notre regard veut reprendre sa « liberté ». Ce regard là n’est pas le notre, c’est celui de l’Autre.
La Chute d'Icare, Bruegel from BERNARD Hervé (rvb) on Vimeo.
Pour prendre conscience de cet itinéraire, nous sommes obligés de recourir à deux subterfuges : superposer les points des dix premières secondes dans une image fixe, au-delà, cette méthode s’avère très rapidement illisible ou ralentir la vidéo de l’enregistrement du parcours des yeux. Cependant, globalement, la première fixation [2] se fait sur le laboureur puis sur le berger, à l’exception d’une personne qui pointe d’abord le berger, viennent ensuite la ville lointaine, le bateau du premier plan, Icare, le berger, le soleil levant...
Certes, ses chiffres ne permettent pas d’affirmer qu’Icare est le premier sujet regardé, il est cependant, comme ils le montrent, loin d’être secondaire. Ainsi, il passe avant le berger. Le bateau du premier plan est vu plus rapidement et plus longtemps, mais la position d’Icare est loin d’être anecdotique. Il est bien plus rapidement découvert et observé plus longtemps que le soleil couchant qui, pourtant, est plus important, en terme de surface et de luminosité. Icare, bien que peu saillant visuellement (couleurs d’une densité proche de celles de la mer, pourcentage de la surface de l’image faible), interpelle l’observateur comme le montre sa position dans le parcours du regard ainsi que la durée totale d’observation avec une moyenne de 5,96 s sur un enregistrement de 60 secondes. Second constat, le regard fait de nombreux aller-retour entre le bateau et Icare et si l’on additionne le temps passé à les observer (11,20 s), on obtient un temps approximativement du double de la seconde zone : la ville lointaine (5,94 s). Ces deux sujets constituent dans tous les cas, la zone la plus observée sans même ajouter le pécheur qui, pour certains enregistrements, constitue le troisième élément de ces allers-retours bateau-Icare. Le regardeur s’interroge-t-il plus ou moins consciemment sur les liens qui unissent ces éléments se demandant, peut-être, si le noyé est tombé du bateau et pourquoi ce pécheur ne va-t-il pas à son secours plutôt que de continuer à pécher benoîtement.
Que le laboureur nous serve de point d’entrée dans ce tableau, rien d’étonnant, il est conçu pour cela. En effet, de par sa position au premier plan renforcée par sa taille et le fait que, hormis le berger, il est le seul être humain dont en entraperçoit le visage (élément qui attire « naturellement » le regard de l’observateur). C’est somme toute assez logique. Quant à la personne qui remarque en premier le berger, elle est dans la continuité de la majorité des observations : le premier point d’attention dans une image est un visage humain ou un être vivant. Là où la composition de ce tableau est plus surprenante, c’est que le second point remarqué n’est pas un être humain ni, un être vivant mais une ville située à l’arrière-plan et dans le flou certes très lumineux. Elle est immédiatement suivie par Icare et le berger pour finir par le couché de soleil, tout cela en dix secondes.
Est-ce à dire que les points les plus observés : cette ville que l’on ne perçoit pas immédiatement comme une ville, ce couple bateau-Icare, sont les points les plus intrigants d’une image ? La sélection de ces points intrigants se ferait de plus très rapidement. De là à en conclure que ceux qui affirment qu’une image se découvre en quelques instants ont raison est une conclusion que je me garderais bien de faire comme le montre le paragraphe suivant. Par ailleurs, cette peinture est relativement dépouillée.
D’autres part, dans tous les enregistrements de 60 secondes, nous constatons que non seulement, l’oeil revient et « fouille » à de nombreuses reprises sur ces centres d’intérêt mais, il découvre d’autres éléments. Ainsi, dans les dix premières secondes tout le monde passe à côté du troupeau de moutons situé devant le berger et une seule personne remarque les moutons placés dans son dos alors que tout le monde les aura vu au cours des enregistrements de 60 s. Ceci est d’autant plus important que, comme le montre la grille de Jacques Ninio (Cf Regard sur l’image p 101.), nous ne voyons que ce qui est dans les dix degrés centraux de notre regard. Le reste, même si nous croyons le voir de nos propres yeux, est vu par notre cerveau c’est-à-dire par la mémoire.
La Chute d'Icare, Bruegel from BERNARD Hervé (rvb) on Vimeo.
On peut s’interroger sur le rôle du titre dans cette fixation. En nous donnant le sujet du tableau, il nous amène à chercher Icare ou à comprendre qui est ce nageur-noyé. Or, ces enregistrements ont été fait sans aucune mention ni du nom du peintre, ni du titre du tableau sur un public d’une trentaine d’années ayant tous fait des études supérieures. Peut-on imaginer que le titre nous indiquerait non, ce que l’on pourrait croire devoir chercher mais, ce que l’on a trouvé et comment le comprendre.
Itinéraire moyen du parcours du regard des six personnes pendant les dix premières secondes.
Cette analyse implique-t-elle que dans les paysages de Valerio Vicenzo le titre de la série ne nous indique, non ce que l’on doit chercher, mais ce que l’on ne trouve pas. Ces paysages-images ne prendraient pas sens parce que l’on comprend que ce sont des paysages frontaliers mais parce que l’on ne trouve pas ce que l’auteur nous demande de chercher : une frontière. Dans un processus similaire à celui de La Chute d’Icare, le titre nous fait comprendre cette absence d’indice. Le titre ne nous indiquerait non ce que l’on doit chercher mais ce que l’on ne voit pas et donc ne comprend pas. —Dans la seconde version de la Chute d’Icare d’après Bruegel, le copiste à éprouver le besoin d’ajouter Dédale volant— De fait, chez Bruegel, rien ne nous indique que le noyé s’appelle Icare, ni aile(s) ni plume(s) ne flottent à ses côtés et Dédale, son père ne tourne pas plus en un vol circulaire au-dessus de lui comme le ferait un oiseau dont les petits sont tombés du nid dans une tentative de les protéger ou de les récupérer. D’ailleurs, rien ne nous indique qu’il se noie, il est peut être simplement entrain de plonger. Dédale ne vaut donc pas mieux que les paysans, il est indifférent à La Chute d’Icare, son fils tout comme Dieu d’ailleurs qui n’intervient pas de sa main secourable pour éviter la catastrophe. Même la direction du regard du berger ne nous donne aucun indice pour déduire que ce noyé est Icare alors que son regard, tout comme celui du laboureur, auraient pu se porter sur le ciel. Hormis ce titre, La Chute d’Icare est susceptible de représenter une quelconque noyade et par conséquent de s’intituler Le Noyé ou Le Départ, voir Les trois Caravelles ou encore Les Travaux des Champs...
Cette peinture nous rappelle le rôle du titre dans l’interprétation d’une image et nous montre son importance qui en fait une légende en nous faisant savoir ce que l’on ne voit pas. Par ailleurs, contrairement à la majorité, voire à l’ensemble des tableaux portant ce titre y compris le tableau de Matisse qui, lui est totalement centré sur le processus de la chute, dans cette peinture non seulement, on ne sait pas qu’il s’agit d’Icare mais, la seule supposition que l’on puisse faire est que ce personnage est tombé du navire. De fait, malgré sa visibilité Icare n’est pas plus sémantiquement saillant que l’absence de frontières dans les photographies de Valerio Vicenzo. À la vue de ces deux exemples, on peut s’interroger et se demander s’il existe une différence entre la légende et le titre. Si l’on regarde le fameux Ceci n’est pas une pipe de Magritte et quelques uns de ses avatars, ces variations autour de ce titre montrent comment le verbe et l’image sont liés.
Après cette parenthèse, revenons à La Chute d’Icare, celle de Bruegel. L’une des interprétations de cette peinture la présente comme une parabole de l’expulsion d’Adam et Ève du Paradis. Pourtant d’un point de vue théologique, son ouverture est réellement en opposition avec l’enfermement provoqué par l’expulsion du Paradis. Cette expulsion enferme l’Homme dans le péché, le combat entre le Bien et le Mal. Et si cette ouverture, cet horizon dégagé faisait de cette peinture une Annonciation mais, non une annonciation liée à la symbolique chrétienne : celle de l’annonce à Marie, par l’Ange Gabriel, de la naissance du Christ. Non, cet horizon dégagé en ferait l’annonciation de la découverte du Nouveau Monde et, de ce qui deviendra, quelques siècles plus tard, la mondialisation. On remarquera qu’il n’y a pas une mais trois Caravelles. Je dois avouer que j’ai mis un certain temps à remarquer la troisième, la plus petite.
Cette peinture, tableau précurseur du paysage par son ouverture, ces dimensions physiques et leur rapport (largeur sur hauteur de 1,5) symbole du désir de découvrir le monde. seraient-elles alors une confirmation de ce rôle de précurseur du paysage surtout si on associe ses dimensions (70 cm × 112 cm) à un rapport qui s’approche du cinémascope ? Certes, ce tableau n’est qu’une copie d’époque et de très nombreux tableaux de Bruegel l’Ancien ont des dimensions aussi importantes mais pas un rapport aussi horizontal. De plus, il est le seul à cumuler ces dimensions et cette profondeur que l’on pourrait presque appeler photographique liée à l’invention de la perspective, à un premier plan chargé et à un arrière-plan lumineux.
Cependant, cette Chute d’Icare est aussi une exception dans l’œuvre de Bruegel par le refus de remplir les vides et c’est aussi en cela qu’il est un précurseur de la peinture de paysage. Certes, son premier plan est important mais cette importance est-elle plus grande que celle des premiers plans de l’Angélus ou des Glaneuses de Millet -pour prendre deux autres scènes champêtres- et tout comme la vue en plongée, cette prégnance du premier plan construit la profondeur.
3 Les Métamorphoses d’Ovide
Quand on évoque La Chute d’Icare, nombreuses sont les références à Ovide et plus particulièrement au Livre VIII des Métamorphoses transformant La Chute d’Icare en une mise en scène mot à mot et trait pour trait de ses propos : « Un pêcheur qui taquine le poisson du bout de sa gaule flexible, un berger appuyé sur sa houlette, un laboureur guidant sa charrue les voient passer tous deux. Étonnés, ils prennent pour des dieux ces hommes capables de voler dans les airs. Déjà, sur leur gauche, a disparu Samos, aimée de Junon ; ils ont dépassé Délos et Paros ; sur leur droite apparaissent Lébinthos et Calymné, célèbre pour son miel, lorsque l’adolescent, enivré par la sensation audacieuse du vol, s’écarte de son guide. S’abandonnant au vertige des cieux, il gagne de l’altitude. C’est là qu’à l’approche du soleil ardent, la cire odorante qui maintient les plumes devient molle. Elle fond. Icare a beau agiter ses bras nus : privé d’ailes, il ne se soutient plus dans le vide. Il appelle son père, puis disparaît dans l’azur des flots de cette mer que l’on nomme depuis mer Icarienne. »
Bruegel se serait-il contenté de ce propos et peindre se réduirait-il à faire une mise en scène mot à mot de ce texte faisant du Grec le Léon Zitrone de La Chute d’Icare ? Si tel était le cas, nous aurions alors, fort probablement oublié cette peinture depuis bien longtemps. Ce texte ne serait alors qu’un prétexte à un autre discours dissimulé par ce mot à mot qui permet aux Diaforus de tout poil de briller en société ? Dans le domaine de l’image, l’iconicité est un piège.
Laissons alors de côté ce texte. Nous sommes donc confrontés à deux interprétations de cette peinture, l’une affirmant que l’homme reste, fondamentalement, cet être professionnel du Péché d’Orgueil : le Péché Originel. L’Homme doit gagner son pain à la sueur de son front en s’occupant de son troupeau, en labourant et péchant [3]. Un être exilé du Paradis condamné à une quête infructueuse devant l’impossibilité de retrouver ce qui est perdu que cela soit le Paradis Originel ou celui des vertes amours enfantines pour avoir désobéi à Dédale, le Père absent chez Bruegel, créateur de ce magnifique outil, les Ailes du Désir [4] qui permettent d’échapper, ne fut-ce qu’un instant, à sa condition d’être de la voie médiane [5], du juste milieu : ni trop près du soleil car la cire risquerait de fondre ni trop près de l’écume car les embruns risqueraient d’alourdir les ailes. À moins qu’Icare ne se soit brûlé en cédant au vertige du plaisir, peu importe que cela soit le plaisir de la désobéissance ou le plaisir érotique. Il a osé échapper quelques instants à sa condition d’Homme. N’est-ce pas là Le péché originel ? Oser défier les lois de la Nature ou de Dieu, peu importe. Mais oser !
L’autre interprétation célébrant l’esprit d’invention de l’Être Humain, son désir d’explorer et de partir à l’aventure. Bref son refus de rester englué dans ses insatisfactions et son opposition à cette « Messe dite » et à l’impossibilité de changer le monde. Après la chute, la peur n’est plus là, on est libre d’entreprendre selon son désir et sans crainte quelques soient les menaces du père. Certes Icare s’est approché du soleil, certes il s’est mis en danger mais, il a été explorer selon son désir, au plus loin et sans en mourir. L’Homme est enfin sur terre ! Il est enfin un être agissant !
4 Icare et la ressemblance
Icare est aussi un mythe de la ressemblance, cette ressemblance qui peuple la mythologie grecque. Outre la ressemblance de ses ailes avec celle des oiseaux, n’oublions pas que Dédale, son père, parmi ses nombreux talents, était aussi un sculpteur dont la mythologie grecque affirmait qu’il fallait enchaîner les sculptures afin d’éviter que celle-ci ne s’échappent.
Dans Regard sur l’image, nous évoquons les capacités de synthèse de l’image qui donnent à ce langage, la possibilité d’associer en une énonciation unique des propos qui apparaissent comme antinomique. Cette capacité de synthèse, serait-elle incarnée ici ? La Chute d’Icare, au-delà de son rôle annonciateur de la peinture de paysage devenant un tableau associant deux aspects de la Condition Humaine pour les exposer dans une synthèse qui présenterait l’Être Humain comme un être épris d’absolu, de découverte, d’explorations de lui-même comme des horizons lointains pour aller toujours plus en avant dans la découverte de l’inconnu, au mépris de sa vie et souvent de celles de ses congénères tout en étant simultanément englués dans un quotidien qui lui rappelle sans cesse qu’il ne peut gagner son pain qu’à la sueur de son front d’où ce désir fondamentale de sécurité.
Cette interprétation ferait alors de La Chute d’Icare un tableau d’une cuisante actualité. En effet, par cette célébration de la quête d’un autre quotidien : celui de notre désir et non celui que nous impartissent les puissants il redeviendrait l’Annonciation d’un Nouveau Monde : un monde où l’on peut voir son désir s’accomplir.
© Hervé Bernard – Teresa Colombi pour LudoTIC 2012-2016
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Regard sur l’image,
un ouvrage sur les liens entre l’image et le réel.
350 pages, 150 illustrations, impression couleur, format : 21 x 28 cm,
France Métropolitaine : prix net 47,50 € TTC frais d’expédition inclus,
Tarif pour la CEE et la Suisse 52,00 €, dont frais d’expédition 6,98 €,
EAN 13 ou ISBN 9 78953 66590 12,
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