On a coutume d’affirmer que nous sommes en présence d’une image lorsque que quelque chose ou quelqu’un ressemble à une autre chose ou à une autre personne. Mais une image n’est-elle faite que de ressemblance ? Autrement dit la ressemblance est-elle identité ? Se pourrait-il que la ressemblance contienne de la différence ? Affirmation troublante pour un monde non-seulement manichéen mais aussi binaire.
Remontons tout d’abord aux origines : le súmbolum (σύμβολον) grec composé, au minimum, de deux morceaux de poteries que l’on rassemble pour vérifier l’identité des deux détenteurs, ici c’est la différence qui produit l’identité : l’appartenance à la même pièce. C’est parce que les deux morceaux du súmbolum sont différents qu’ils peuvent s’assembler pour constituer le même objet (cf Regard sur l’image p285). En fait, ils nous paraissent différents mais les points d’assemblage sont en symétrie puisqu’ils reconstituent une fois assemblés un seul et même tesson. Une fois rassemblés, ces tessons non seulement garantissent l’identité de leur porteur mais ils reconstituent une identité, celle de la pièce de poterie originale ou originelle.
À chaque fois que les détenteurs se réunissent, ils célèbrent aussi le souvenir de la première rencontre. Celle où les deux premiers détenteurs de cette poterie l’ont rompu pour en constituer x morceaux qu’ils assemblent lors des rencontres suivantes ou que leurs messagers assemblent. En fait, à chacune de ces rencontres, ils célèbrent une mini cène qui reconstitue l’image de cette première rencontre bien que les premiers protagonistes ne soient plus nécessairement présents. Grâce à ce súmbolum, les protagonistes de la scène n’ont pas besoin de se connaître pour se reconnaître.
La force de la métaphore, de la métonymie, de la parabole est dans leur différence avec l’objet ou l’histoire décrite. C’est cette différence qui permet d’affirmer, d’aiguiser et de dérouler le fil de la comparaison. Ces par la différence que ces figures de style mettent en valeur la ressemblance. Différence et ressemblance sont les deux versos d’un même miroir.
Valoriser la ressemblance aux dépends de la différence, c’est détruire l’image. Il n’y a de ressemblance que dans la différence. Ainsi, c’est parce que Narcisse ne se reconnaît pas dans son reflet qu’il en tombe amoureux. Une autre version de cette mythologie précise que, dans ce reflet, il croit reconnaître sa sœur jumelle morte précocement. Dans les deux cas, c’est parce qu’il est aveugle à la différence entre sa sœur et son reflet ou entre lui son reflet qu’il se noie. Dans le seconde hypothèse, ce point aveugle est la douleur d’avoir perdu cette sœur ou encore un sentiment d’incomplétude. Dans le premier cas, c’est une admiration sans borne pour lui-même qui constituent ce point aveugle.
C’est la différence entre l’image et le réel qui permet à l’image d’exister. Quand il y a identité, nous sommes condamnés à mort ou à la folie de la fusion qui nie la différence entre deux êtres. C’est, à notre sens, la raison fondamentale de la proscription de l’inceste. Les histoires de consanguinité n’en sont qu’une simplification. Cette peur de l’identité est d’ailleurs tellement puissante que certaine culture tuent l’un ou les deux jumeaux à leur naissance.
Que dit d’autre Nietzsche lorsqu’il affirme que le véritable contemporain, c’est-à-dire celui qui est à l’image de son temps, est : « Celui qui appartient véritablement à son temps, le vrai contemporain, est celui qui ne coïncide pas parfaitement avec lui ni n’adhère à ses prétentions, et se définit, en ce sens comme inactuel ; mais précisément par cet écart et cet anachronisme, il est plus apte que les autres à percevoir et à saisir le temps. ».
En fait ressembler à son époque au point de coller et se couler dans les schémas qu’elle propose, est la meilleur façon de ne pas la voir. Et cet aveuglement conduit à une impossible ressemblance. Avoir la capacité de voir ses contemporains et les phénomènes de son époque tel qu’ils sont implique une nécessaire différence afin de comprendre les mécanismes. En fait, cette capacité de distinguer les spécificités de notre époque nécessite une différence qui donnera la capacité de s’en inspirer pour accéder à la contemporanéité.
Si l’image n’était que ressemblance, n’épuiserait-on pas rapidement le plaisir de la revoir ? « L’art, c’est l’augmentation du réel. » Bergson
- Rachel Nieborg, question de temps
– Regard sur l’image, un ouvrage sur les liens entre l’image et le réel.
350 pages, 150 illustrations, impression couleur, Format : 21 x 28 cm,
EAN 13 ou ISBN 9 78953 66590 12
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