Le portrait et l’autoportrait traversent l’histoire de l’art occidental avec des codes de représentations qui sont aujourd’hui réappropriés et bousculés par les évolutions technologiques. L’image de soi se développe et est favorisée par les évolutions techniques.
Le miroir inaugura cette longue liste d’innovations technologiques qui contribuèrent à cette évolution. Puis vint, la photographie, cependant internet et la création des réseaux sociaux sont deux outils essentiels à cette transformation car, en attendant les apports de l’impression 3D grands-publics ils modifient le sens du portrait. Au-delà de la bien-pensance, les contenus sur les réseaux sociaux, sont porteurs d’histoire. Une histoire qui s’invente par la publication et qui alimente chaque fil de nos actualités. La photo de profil des réseaux sociaux donne selon, un visage ou un masque. à chacune de ces histoires.
1 Cacher moi ces origines que je ne saurai voir
À force de considérer Narcisse comme l’inventeur de l’autoportrait, cette pratique a fini par être entachée d’une aura négative. Pourtant, comme le montre les mythes grecques de l’invention de l’image, un mythe est très utile pour définir une problématique. Il sert de tremplin pour penser la chose dans le présent et éventuellement pour l’avenir. Partant de cette idée, il serait intéressant de trouver, à l’autoportrait, une origine autre que narcissique. En effet, dans notre monde chrétien, l’histoire de Narcisse est entachée de tellement de négativité que changer de point de vue afin de penser le selfie devient une nécessité, ne serait-ce que pour écarter la connotation de suffisance, de prétention voire d’égocentrisme en bref de “narcissisme”.
Malgré Narcisse, père fondateur fantasmé de l’autoportrait et par conséquent du selfie, l’un et l’autre sont deux pratiques récentes même si le portrait a un peu plus d’ancienneté. Ses origines remontant probablement au XIVe siècle avec un portrait de Jean Le Bon de 1360 ou encore un portrait en rond de de bosse de Matthieu d’Arras à la cathédrale Saint-Guy de Prague. Cependant, pour ce dernier, il restera impossible de faire la distinction entre un portrait ou un autoportrait. Avec Dürer et la Renaissance, ce genre prend son envol. Et, comme beaucoup de pratiques occidentales et ainsi que le montre Narcisse, l’autoportrait et le selfie ne peuvent exister sans ce fameux individu que l’on retrouve à tous les coins de rues de notre culture.
À notre sens, si Narcisse succombe à quelque chose, ce n’est pas à cette fameuse suffisance dont il est taxé. Il succombe à son incapacité à se reconnaître dans ce reflet et même dans l’autre version, celle où il croit discerner, sa sœur, dans son reflet, c’est finalement toujours cette incapacité qui sévit. Sa faiblesse n’est probablement pas cette suffisance dont il est taxé mais bien au contraire, une incapacité cognitive à comprendre que ce reflet n’est que lui. Toute mortelle qu’elle soit cette incapacité est bien compréhensive car comment savoir que cette image est une image de soi si aucun tiers n’est là pour vous apprendre à la reconnaître.
L’interprétation courante du mythe de Narcisse repose alors sur un contresens et ce contresens n’est pas tout jeune. Ovide pourrait en être l’une de ses origines : « Sur ton visage chéri tu me laisses lire je ne sais quel espoir, et, quand je tends les bras, tu me les tends de ton côté ; à mon sourire répond ton sourire, et souvent aussi j’ai vu couler tes larmes quand j’en versais ; d’un signe de tête tu réponds aussi à mes signes ; et, autant que je le devine au mouvement de ta bouche charmante, tu me renvoies des mots qui n’arrivent pas à mes oreilles ! – Tu n’es autre que moi-même, je l’ai compris ; je ne suis plus dupe de ma propre image. (Que tu dis !) C’est pour moi que je brûle d’amour, et cette ardeur, je la provoque à la fois et la ressens. Que faire ? (…) » [1]
Contrairement à ce que l’on imagine et malgré ce qu’il prétend ou laisse croire, Narcisse succombe à un manque de reconnaissance de son individualité. Ne pas pouvoir distinguer l’autre de soi reste un handicap.
2 L’autre ancêtre du selfie, l’avatar
L’avatar, est à peine plus ancien que le selfie dans le monde numérique, son apparition remonte au début des années 1990 avec la démocratisation de l’image de synthèse et l’apparition des premiers mails. Cependant, l’avatar ne semble pas entaché du handicap du selfie en tout cas, du point de vue anglophile. En effet, outre-Manche, l’Avatar est considéré comme une incarnation vivante. Ce mot provenant de l’hindou avtār ou de l’Urdu (1784) désigne l’incarnation d’une divinité hindoue tel Vishnou. Toujours en anglais, ce terme désigne aussi la dernière étape, variante d’une conversation.
De ce côté si de la Manche, même si son origine est identique à l’anglaise, le terme a pris une connotation négative en associant ce mot aux problèmes, aux difficultés de la vie. Ainsi, l’une de ses acceptations fait référence aux ennuis, changements survenus à la suite de péripéties, d’incidents [2]. L’avatar est aussi un changement, une transformation ou métamorphose d’une personne ou d’une chose qui en a déjà subi d’autres (dans l’aspect physique, les opinions) [3]. C’est aussi une représentation. C’est cette dernière acceptation que le monde numérique a fait sienne. Cependant, on trouve des prémisses de cette interprétation dans L’Être et le Néant de Jean-Paul Sartre (1943) « Un Pour-soi ayant exprimé tout son néant, ressaisi par l’En-soi et se diluant dans le monde, tel est le Passé que j’ai à être, tel est l’avatar du Pour-soi ». [4]
3 Le selfie
D’un point de vue pratique, 2007, semble correspondre à la première occurrence du mot et sa fabrication ressemble à celle d’un diminutif. Ce qui lui donne, au prime abord, une connotation affective et aucunement négative.
Pourtant, le selfie est rapidement entaché du principal défaut de son médium : la photographie, une connotation négative résumée par l’expression américaine Phd —prononcer chacune des lettres avec un accent américain— (Push here dumy) qui pourrait se traduire ainsi « appuis ici idiot ! » Cet acronyme américain est d’autant plus ironique qu’il désigne aussi, dans les pays anglophones, le diplôme de docteur de l’Université.
Pour continuer dans le registre de la langue anglaise, le selfie est destiné aux followers, vous savez les gens qui vous suivent plus ou moins automatiquement, voire bêtement sur les réseaux sociaux tandis que l’autoportrait est destiné aux happy-fews. C’est-à-dire l’entourage même si celui-ci peut s’étendre à la galerie d’art et aux critiques d’arts. Cependant, avec la création artistique, les frontières autoportrait-selfies sont plus floues comme le montre les images de Jing-Wang lors de son exposition à la La Ville a des Arts, en mai 2017.
Jing-Wang
Le paradoxe d’autoportraits aux regards cachés mais pas dissimulés pour faire surgir l’invisible. Le refus de l’accumulation absurde des détails pour aller droit au but de cet insaisissable regard : le sien, le notre.
Le paradoxe du point de vue du chien pour faire son autoportrait, pour regarder le monde .
Le paradoxe de la retranscription du rapport dominé - dominant mais sans humiliation sans domination, pas de fouet.
Le paradoxe d’autoportraits aux regards dissimulés. Parler de l’impossibilité de soi avec des images.
Des photos qui démontrent l’impossibilité de saisir le réel du soi, de le définir surtout quand on est enceinte.
Une retranscription du dominé - dominant mais sans humiliation
Pas de domination pas de fouet, un rapport.
3.a Un outil pour créer du tiers, une réponse à la mélancolie
Le selfie est aussi une tentative d’intégration au monde, une manière de se repérer en affirmant son appartenance à un groupe d’amis qui l’ont reçu ou encore aux groupes des personnes qui ont vu un lieu par cette affirmation que, tout comme eux, l’on est passé par là. Là encore une arme anti-solitude et la construction d’une communauté ad mimimum. Faut-il critiquer le selfie ou cette société qui pratique l’isolement intensif ?
Créer des groupes, crée du lien exemple : le groupe de ceux qui ont fait un selfie aux pieds de la Tour Eiffel... Témoigner de l’être ensemble.
Le selfie, outil de combat contre la solitude serait le lieu de la mélancolie pour reprendre une expression de François Soulages [5]. Cette mélancolie qui vous dit que « Vous ne serez pas heureux mais, au moins, vous existerez. ! » Sade.
Le selfie est un produit typique de ce monde où tout coule tout change et rien ne reste. De ce monde en perpétuel devenir sans constance. Serait-ce alors un mentir-vrai ? Montrer la présence, le témoignage d’une situation mise en image. Une manière de dire je. Le produit de l’instant, de cette joie qui dure à peine le temps d’un feu de paille et alimente cette mélancolie.
Contradiction avec son association aux Happy Fews ou évolution de la définition du groupe ? La distinction entre Happy fews et groupe devenant de plus en plus ténue. Le selfie s’appuie en effet sur le groupe et repose donc la question du groupe et de l’appartenance à moins qu’il ne soit là, uniquement pour valider cette appartenance. Envoyer un selfie aux membres d’un groupe est une validation de facto de l’appartenance au dit groupe. Cependant, sur les réseaux sociaux comme dans le monde réel, certains groupes ne sont ouverts que par cooptation.
Le selfie est-il un auto-portrait exécuté en quelques instants, rapidement exécuté à une vélocité surprenante. Le selfie serait alors par excellence, l’outil du touriste en goguette. Est-ce la différence fondamentale avec l’autoportrait qui prend le temps d’installer une mise en scène ?
3.b À quel moment bascule-t-on dans le narcissisme ?
Photographier le contenu de son assiette est-ce faire un selfie ? À priori non, cette photo ne représente pas une image de soi. Cependant, dans la mesure où cette image est une autre manière de parler de soi-même et surtout de parler de soi à tout bout de champ, il est possible de considérer que la photo de son assiette est une potentielle forme de selfie. Le selfie serait donc marqué par une connotation excessive ? Excessive dans la quantité de photos et excessive par le nombre de destinataires.
3.c Selfie-Selfish, du self tribal au self numérique
« Avec le selfie, le héros, c’est moi. » Une quête d’idéal qui pousserait même au suicide en raison de l’impossibilité d’accéder au perfectionnisme social qu’il promeut [6]. Accuser le selfie d’être la marque d’une identité dépendante d’autrui est une position erronée. En effet, aucune identité n’existe sans autrui. Si le selfie pose éventuellement, une question à propos de la relation au groupe, c’est celle de cette affiliation. Aurait-elle, par son côté automatique, un côté ovin ou bovin ?
Certains, comme Will Storr, vont jusqu’à évoquer « Les dangers de la génération selfie, symbole de l’individualisme libéral. » L’ouvrage Selfie décrypte l’individualisme à partir du « self tribal », du besoin de statut, de réputation et de hiérarchie d’il y a 12 000 ans. Selon W Storr, il se poursuit chez les Grecs anciens, lesquels associent le physique et l’éthique, le beau et le bien. Toujours selon cet auteur, c’est avec Aristote que naît l’individualisme, l’idée selon laquelle chacun est responsable de soi-même.
Et, plus on se dirige vers l’Ouest plus on maximise l’estime de soi et l’individualisme. En Orient, avec Confucius, l’ambition perfectionniste de l’individu s’effacerait au profit du désir d’harmonie. Pour certains, le voyage ultime du selfie se terminera logiquement avec le « self numérique » de la Silicon Valley. Cependant, cette position nous semble excessive, certes la notion de moi, d’identité est l’une des fondations de l’Occident mais, cette position semble confondre responsabilisation est égocentrisme. De l’égotisme de Stendhal à l’égocentrisme de nos contemporains souvent teintés d’auto-suffisance, la marge est grande et il y a là un amalgame impossible.
Dangereux, le selfie posté sur Facebook ou Instagram ? Révélateur d’une philosophie économique, toujours selon Will Storr, de ce besoin d’être beau, fort, heureux, compétitif. Ce dernier y voit davantage qu’un désir de se présenter sous ses meilleurs atours. Le selfie serait la forme ultime de l’individualisme et du néolibéralisme. La quête du perfectionnisme social pourrait mener au suicide. Une vision ’’un rien’’ culpabilisante, un travers de cette société qui se dit libérale pour continuer à culpabiliser à qui mieux mieux.
Selon l’OMS, on dénombre davantage de suicides que de morts par violence interpersonnelle. Le taux de suicide est au plus haut depuis trente ans aux États-Unis, malgré ou grâce à l’usage croissant des antidépresseurs. Pour Will Storr, c’est en partie le résultat du « perfectionnisme social ». Plus exactement de la perfection vue par l’autre. Car « ce que je suis dépend beaucoup de ce que je pense que les autres pensent de moi », affirme l’expert Charles Cooley (1864 – 1929) [7].
Le selfie exprimerait le besoin d’être extraverti, optimiste, beau, travailleur, sportif, et capable de rendre le monde meilleur, selon Gordon Flett, professeur à l’Université de Toronto. Avec les smartphones et les réseaux sociaux, où chacun envoie une image de bonheur personnel, la pression pour être soi-même heureux est encore plus forte, pour le pédiatre Colin Michie. L’individu passe un temps fou à filtrer et éditer son autoportrait avant de le poster. Comme la réalité diffère de la photo, les conséquences peuvent être dramatiques. Pas moins de 56% des amis et membres de la famille d’une personne qui s’est suicidée parlent du défunt comme d’un « perfectionniste » [8] Une vision diabolisante, culpabilisante du selfie qui dénie la part de jeu, de complicité et d’amincissement contenu par cette pratique.
3.d Une pratique généralisée malgré un dénigrement généralisé
Tout le monde dénigre le selfie mais tout le monde pratique à l’opéra comme en politique. Quand l’élite adopte les moyens, les méthodes du grand-public, est-ce un échec des élites ?. Cette pratique reposerait-elle la question de la juste distance élite-peuple ? Si toutefois cette question mérite d’être posée.
3.e Les outils du selfie
La perche à Selfie, l’outil du voyageur solitaire qui cherche à faire croire qu’il n’est point seul et que quelqu’un d’autre l’a photographié. Certes, cette personne tierce n’a pas la vélocité ni la rapidité du drone. Cependant, cette perche simplifie beaucoup les choses en évitant le déboitage d’épaule à chaque selfie.
Le selfie n’existe pas sans le numérique : facilité de production et facilité de diffusion oblige. En effet, la condition sine qua-non du selfie est une diffusion aisée, au-delà du réseau intime, le second réseau est le plus important dans la définition du selfie. C’est justement ce réseau qui construit le selfie. C’est lui qui en garantit l’efficacité, la viralité.
L’autoportrait peut-être anonyme comme le montre l’histoire des la photographie ou prétendument anonyme comme celui de Bayard. Par contre, le selfie n’est jamais anonyme. Cependant, il est parfois signé par un pseudonyme celui d’un profil FB, Instagram, Twitter...
Le selfieur photographie en tournant le dos au sujet ou plutôt à l’un des sujets : ce cadre dans lequel on veut absolument figurer avec ses copains. Le cadre pouvant être un paysage, un monument voire une célébrité. Hors photographier, c’est faire face au sujet. En cela, l’auteur du selfie est-il à proprement parler un photographe dans la mesure où il tourne le dos au(x) sujet(s) ?
Plus que la simplicité de l’appareil photo numérique : exposition et mise au point automatique présent déjà depuis la fin des années 1970 sur les reflex argentique sans parler des Instamatics [9], c’est son coût marginal. En numérique, photographier ou ne pas photographier coûte sensiblement le même prix une fois l’attirail acheté et encore plus essentiellement une réalisation simple grâce au contrôle instantanée qui ne peut exister aussi simplement sans l’écran. Ces éléments sont le terreau favorable à son apparition et à son développement. Tout cela, hormis le prix, caractérise déjà la photo argentique. Reste le réseau et le photophone (téléphone portable munis d’un appareil photo) physiquement couplés, ils nous mettent en permanence, à porté de mains, l’appareil photo et le réseau. Instantanéité, globalisation et universalisation, c’est peut-être en cela que réside la spécificité du selfie.
4 Le selfie, une chose autre, le selfie pour quoi faire ?
Faire un selfie, ce n’est pas nécessairement penser à son image, c’est célébrer le hic et nunc, l’ici et maintenant, tout comme la perspective parle d’ici et maintenant, le selfie serait-il une relecture de « Mignonne, allons voir.... » une adaptation de Ronsard au monde contemporain ? Une manière plus immédiate de célébrer l’instant présent et sa fugacité. Mais prenons nous encore le temps d’être conscient de cette fugacité ?
Le selfie, un outil pour comprendre l’espace, son corps dans l’espace et comment se fabrique une photographie. Faire un selfie, c’est être conscient du cadrage et de la mise en scène qui sont toujours travaillés comme le montre les touristes qui essayent désespérément de faire ‘’entrer’’ eux-mêmes, leurs amis et la pyramide du Louvre dans la même image. La plupart du temps travaillée, cette mise en scène plus ou moins élaborée est bien loin du spontané invoqué à propos de cette pratique. Le contraire de l’abandon, du naturel ou alors à un prétendu naturel empli de codes comme le montre notamment, la présence récurrente du signe de la victoire.
4.a Comment (se) faire croire que l’on n’est pas seul ?
Narcissisme pathétique disent certains. L’auteur de selfie n’est pas dupe. Il connaît la différence entre l’image et le réel. Ce qui ne lui interdit pas, dans d’autres circonstances, d’être dupe d’autres images, celles diffusées par les médias ou le cinéma. Et, si pour parodier Roland Barthes qui parle de la photographie, le selfie « c’est l’avènement de moi-même comme autre : une dissociation retorse de la conscience d’identité. » L’individu se perdrait aujourd’hui dans une mise en abyme de sa propre image plutôt que la solitude et l’impossibilité de rester seul, voire l’interdiction d’être seul. La solitude assumée, le péché ultime de la société occidentale. Faire un selfie pour ne pas être seul au restaurant. Trinquer avec sa propre photo affichée à l’écran et l’envoyer à quelqu’un ou la garder. Faire croire aux autres que nous sommes avec eux : les destinataires. Peu importe le flacon du moment que l’ivresse est là. Le selfie comme l’essence de la contemplation de son image pour reprendre Baudelaire.
Face Book, le livre des faces posées sur un profil, phrase bien ironique une fois traduite en français. L’expression ma photo de profil est porteuse, en français, d’un certain paradoxe car, bien souvent, celle-ci est une photo de face même si c’est un selfie qui est encore plus rarement un profil malgré les injonctions des spécialistes du vol d’identité. Bien souvent, cette photo de profil, prise de face, souvent grimaçante pour les jeunes à moins qu’elle ne soit là pour mettre en avant une passion, son travail, un animal familier ou non on encore une célébrité dont on est fan.
5 La remise en cause de l’interdiction du regard vers la caméra
Et si, pour revenir aux peurs ancestrales, l’interdiction du regard face caméra n’était pas le fait qu’il révèle la caméra mais la réponse à une croyance : les visages fixés sur la plaque était capable de nous voir.
Ce regard face qui se réfère probablement inconsciemment aussi au regarder ‘’en face’’ qui parle de la sincérité de la personne comme si, en évitant de regarder directement la caméra, on évitait que la sincérité de l’acteur ne soit remise en cause.
Ce regard face qui dans le monde réel m’interpelle, m’interroge et qui, dans le cas d’un film, s’il m’interroge m’expulse de la narration, me fait perdre le fil d’où son interdiction alors que dans le selfie cette interpellation est souhaitée, désirée, voulue.
Un phénomène d’accumulation
Le selfie rejoint l’un des fondamentales de la société de consommation, le désire de prendre pour prendre, pour détenir dans un processus d’accumulation aboutissement d’une consommation effrénée qui n’aboutirait même plus à la consommation. En effet, qui parmi ces selfieurs effrénés, prend le temps de regarder ses images sans même parler de les sélectionner. Le selfie : accumuler pour accumuler comme les personnes qui meurent englouties par les objets accumulés dans leur appartement. Cependant, cette accumulation là n’est pas prête de les engloutir comme les piles de journaux qui s’écroulent sur eux et les tuent par étouffement.
6 Conclusion
Dès les flaques d’eau, les premiers métaux polis en passant par les miroitements de verre de la Renaissance, l’homme mire son image dans les miroirs… et les écrans. Aujourd’hui, ce reflet se dédouble sans fin pour se multiplier, se composer, imaginer et finalement présenter un autre soi mais est-il finalement si différent ? Longtemps considéré comme un genre mineur pourtant réservé à l’élite, comme le montre ses origines ; le portrait est devenu omniprésent dans le quotidien avec l’avènement de la photographie argentique puis numérique. Le selfie serait-il l’aboutissement de cette évolution ? Accessible à tous et à portée de mains, ce déploiement d’images engendre de nouvelles définitions de l’identité et représentations de soi face à l’autre, face à soi même, face à l’écran… Est-ce simplement se mirer ou célébrer, éventuellement à outrance, cette individualité ? Plus que jamais, l’auteur de selfie fait sienne cette citation de Descartes « Je m’avance masqué. »
© Hervé Bernard
_________________________________________________________________________________________
Regard sur l’image,
un ouvrage sur les liens entre l’image et le réel.
350 pages, 150 illustrations, impression couleur, format : 21 x 28 cm,
France Métropolitaine : prix net 47,50 € TTC frais d’expédition inclus,
Tarif pour la CEE et la Suisse 52,00 € , dont frais d’expédition 6,98 €,
EAN 13 ou ISBN 9 78953 66590 12,
Pour acquérir cet ouvrage dans la boutique
_________________________________________________________________________________________