Regard sur l’image

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- L’œil humain, précisions et échelles de grandeur V6

,  par Hervé BERNARD dit RVB

Préambule
Les lois newtoniennes, la découverte de couleurs primaires et leur pendant, les complémentaires ; la chimie des colorants et l’isolement des pigments rétiniens sont à l’origine de la science chromatique.

Les recettes artisanales concernant l’extraction des couleurs naturelles, transmises depuis la plus haute Antiquité, les traditions artisanales ainsi que les livres et les manuels aboutissent au dénombrement de dix-neuf teintes dans les centres italiens de teinture de la laine et de la soie (dont sept dérivent de la pourpre). À la même époque, la peinture, selon le traité de Fulvio Morato [1], n’utilise qu’une dizaine de couleurs hormis l’or et l’argent héraldique.

Cependant, en 1864, l’encyclopédie d’Eugène Chevreuil, Des couleurs et de leurs applications aux arts industriels, évoque 14 400 tonalités chromatiques liées à des matières naturelles, auxquels il faut ajouter les nouveaux colorants issus de la chimie industrielle. Celle-ci ne cessera d’augmenter au cours du siècle suivant. Cependant, d’un point de vue du fonctionnement de l’œil, les 14 400 tonalités sont en fait des nuances de couleurs.

En 1704, Isaac Newton publie à Londres Optiks : or a Treatise of Reflexions, Refractions, Infections and Colours of Light,. Cet ouvrage tourne une page de l’histoire de la vision de la lumière et de l’ombre. Avec cette publication, la vision et la conception des couleurs passe d’une pensée qualitative à une pensée quantitative, la mesure d’un événement physique, avec des corpuscules que l’on appellera ultérieurement « photons ». Il est possible de mesurer la déviation de ces photons provoquées par un prisme, Les hypothèses corpusculaires et ondulatoires, indifférentes aux anciens, rapportent le phénomène entier à la lumière et non au sujet percevant. Une couleur est un arrangement de matière réfléchissant, une particule élémentaire et universelle, le photon, selon une longueur oscillatoire qui lui est propre. En cela, la recherche de Newton est en harmonie avec son époque qui commence à tout mesurer.

Ultérieurement, la découverte d’une zone du cortex du cortex cérébral spécialisée dans l’intégration des sensations colorées conforte, quel que soit son degré de complexité, la réalité du phénomène scientifique, la physiologie cérébrale étant une physiologie d’espèce, la même pour tous. [2]

1 Évaluation de la vision humaine
L’œil est capable de repérer un point noir sur fond blanc de un centième de millimètre (1/100 mm à 1 m de distance) à une distance de un mètre soit 0,5 seconde d’arc. Pour cet angle de vision, son pouvoir séparateur distingue un détail d’un point de un millimétrée à un mètre de distance et il en voit deux si ceux-ci sont séparés par un tiers de millimètre. Le plus petit détail visible par l’œil humain fait 50 microns.

 20 / 20
Cette note correspond à la capacité à discriminer un détail d’ ½ minute d’arc. Celle-ci est le maximum théorique de discrimination de l’œil humain. En effet, la séparation entre deux photorécepteurs de la région centrale de la rétine est de 2,5 nm (nanomètres). Un œil doté de telle capacité est un œil parfait, mais cette perfection est inaccessible à cause de la diffraction de la lumière sur les bords de la pupille.

- 16 / 10
Capacité de discrimination maximale observée chez certaines personnes douées d’une très bonne vision.

 15 / 10
Discrimine deux points à 0,2 mm à 1 mètre.
De nombreux jeunes sont doués de cette vision.
Aussi : les pilotes de chasse, les pilotes de voitures de course.

 12 / 10
Acuité fréquente chez les jeunes.

 10 / 10
Capacité à distinguer deux points distants de 1,46 mm à 5 m.
Ou 0,290 … mm ( 1/3 mm) à 1 mètre.
Ce qui correspond à une minute d’arc.
Ceci dans des conditions de très bon contraste.

 4 / 10
A ce stade, l’acuité visuelle d’un humain est quatre fois plus faible que que celle d’une personne normale. Cela correspond à un pouvoir discriminatoire de 2,5 minutes d’angle ou z
Ou discrimination de 0,72 mm à 1 m.

  3 / 10
Seuil en deçà duquel la personne est malvoyante.

 1 / 10
En-dessous de ce seuil, on considère que la personne est non voyante.

 0 / 10 Personne aveugle.

En fait, ces différentes mesures déterminent des seuils de discrimination. En psychophysique, le seuil différentiel est la différence minimale de stimulus à partir de laquelle un individu parvient à différencier deux stimulations. La détermination du seuil différentiel d’un individu (humain ou autre animal) repose sur une mesure statistique du seuil différentiel obtenu empiriquement au cours des multiples essais d’un protocole expérimental.

2 L’œil la sensation
Il existe 120 millions de bâtonnets et 5 millions de cônes dans chaque rétine humaine. Les bâtonnets absorbent la lumière sur l’ensemble du spectre visible. Cependant, leur sensibilité est plus grande pour la lumière bleu-vert. Par contre, les cônes sensibles à la lumière bleu sont les moins sensibles ce qui pourrait éventuellement contribuer partiellement à expliquer l’apparition tardive du terme bleu dans le vocabulaire des couleurs. Cependant, cet argument me semble une explication limitée. Intuitivement, l’explication sémantique semble plus crédible même si elle s’appuie partiellement sur cette différence de sensibilité. La moindre sensibilité de l’œil au bleu comme explication de l’apparition tardive du mot bleu paraît d’autant moins probable que le mot latin (vitrium) et celte (glas) qui désignent le verre viennent dans les deux cas d’un mot se référant à la couleur bleu-vert.

Les bâtonnets ne différencient pas les couleurs, ils ne sont sensibles qu’à la différence lumière-obscurité. Ils sont le principaux récepteurs pour les lumières les plus faibles. D’où nôtre sensibilité quasiment achromatique dans ce domaine. Les photons jaunes provoquent les relations les plus importantes dans l’œil car cette longueur d’ondes correspond à la plus grande sensibilité de l’œil humain.

3 Couleurs
 Dénombrement
Notre société industrielle disposerait de plus de 4000 couleurs synthétiques [3]. Selon une enquête menée sur le terrain par Marie-Pierre Servantie de l’agence Architecture-Couleur près 2900 prélèvements réalisés dans le paysage et sur le bâtis extérieur de 37 villages du Périgord, ont permis de relever 750 nuances différentes. Ce sondage montre combien le monde du numérique a confondu couleurs et teintes. À ce propos, afin de clarifier le vocabulaire de la couleur, nous proposons d’utiliser le mot couleur pour les primaires et les secondaires, c’est-à-dire respectivement le rouge, vert, bleu et le cyan, magenta, jaune. Alors que le terme teinte serait réservé aux nuances composées de trois primaires ou de trois secondaires dans des proportions infiniment variables.

 Couleur et dénombrement : les couleurs oubliées
Les hommes de Lascaux ont fabriqué de nombreuses nuances à partir de trois oxydes minéraux (noir, rouge, jaune), à partir de la coloration naturelle de la roche. Plus tard, Homère, dans ses Poèmes, évoque cinq teintes (Newton parlera de sept) : leukos (blanc), glaukos (gris), erythos (rouge), chloros (vert), kyanos (bleu). Le monde antique en général, la civilisation gréco-latine ont privilégié la forme par rapport à la lumière parce que la beauté est faite de la « justesse des proportions » et de « l’élégance des formes ». Lucien de Samosate a écrit que la lumière et les couleurs qui lui sont solidaires forment « un spectacle bon pour les yeux d’un Barbare (qui aime) moins ce qui est beau que ce qui est riche ».

Avec, les Mérovingiens, la couleur sera réhabilitée après la montée d’un christianisme qui donne à la lumière un sens divin et même moral. Les tons plats et mats de la fresque classique, en plus de leur teinte propre, gagnent les nuances infinies des variations de l’intensité lumineuse.

 Description de la couleur
La description des couleurs à partir des valeurs trichromes n’explique qu’en partie le décryptage des couleurs par notre œil comme le montre les recherches d’Edwin Land [4] « À la suite de ses expériences, Edwin Land en arrive à la conclusion que, « dans le processus de formation des images colorées, trois images indépendantes sont constituées ; les clartés obtenues respectivement par les récepteurs spécifiques des longueurs d’onde courte, moyenne et longue sont associées, et c’est la comparaison des clartés respectives, région par région, qui détermine la couleur. […] »

Les recherches sur la couleur à la télévision lors de la création des standards de diffusion de la couleur montrent que la description RVB ne correspond que partiellement au fonctionnement du couple œil-cerveau.

En effet, certaines technologies de tubes cathodiques étudiées à cette époque affichaient successivement trois images dont les trames respectives étaient respectivement verte puis bleue pour la première image, rouge et verte pour la seconde et bleu et rouge pour la troisième [5]. Cependant, cette technique provoquait un papillotement dû au vert et afin de l’éviter la cadence atteignait 75 images à la seconde. On remarquera que ce système utilise deux fois plus de vert comme les capteurs numériques mais surprise, il utilise aussi deux fois plus de rouge au détriment du bleu qui n’est présent qu’une trame sur 6. Les systèmes finalement adoptés : PAL, NTSC et Secam opteront pour des trames simultanément rouge-verte et bleue. L’autre inconvénients de ce système était de consommer trois fois plus de bandes magnétiques que le PAL : 25 images secondes et 50 trames. Cependant, compte-tenu de la cadence, le rendu du mouvement était probablement encore plus fluide que celui du PAL.

Couleurs et focalisation
Le bleu et le rouge sont aux deux extrémités du spectre par conséquent, ces deux couleurs ne se focalisent pas au même endroit de l’œil. On retrouve ce même phénomène dans les objectifs photographiques, c’est l’un des rôles des traitements multi-couches, les amener à focaliser aux mêmes endroits : sur la pellicule ou sur le capteur pour avoir une image nette sur l’ensemble du spectre. Ce décalage est aussi utilisé dans certains système auto-focus pour prédire la direction de la mise au point : vers l’infini ou au contraire vers des distances plus proches.

La vision, c’est aussi la perception de notre verticalité dans un environnement donné. Cette verticalité est associée à la sensation de notre taille, des déplacements (latéraux et verticaux) de notre tête, du fait que nos jambes sont pliées ou droites...

4 Corpulence-Taille, distance et résolution visuelle
 Un excellent archer voit la cible plus grosse qu’un mauvais archer. Cette capacité montrerait notre capacité à focaliser sur un élément du champ visuel. Cependant, les rapaces ont une vision supérieure à celle de l’homme. Leur seconde “ lentille ” leur donne une capacité d’agrandissement dix fois supérieure à la notre. La buse est capable de détecter un lapin à 3 kilomètres de distance.

 Un homme dont l’indice de masse corporelle est supérieur à la normale surévalue une distance à parcourir par rapport à un humain doté d’une masse corporelle normale. Comme si le premier évaluait la distance, non en mètre, mais en calories consommés tout en ajoutant à l’effort nécessaire un surplus de fatigue potentiel qui, serait, une sorte de marge de sécurité. Cette différence montre le rôle de la perception haptique. Autrement, le corps dans son ensemble est lui aussi un organe de perception qui complète, corrige la vision.

5 Perception du mouvement
« Le papillotement généré par l’alternance rapide de deux couleurs est sensible pour des fréquences allant jusqu’à 12 Hz (12 images seconde) tandis que le papillotement lumineux achromatique est perçu au-delà de 50 Hz (50 trames par seconde du Pal et les 60 du NTSC sont là pour le compenser). Le noir interimage de la projection cinématographique correspond à ce dernier type d’effet. Au-delà de ces deux fréquences, ces deux phénomènes disparaissent progressivement [6]

Le choix de la fréquence d’image de la télévision et de la vitesse de projection du cinéma fut effectué pour réduire ce papillotement. Comme toujours, ce type de choix est un compromis entre les capacités techniques et leur coût. Pour le cinéma, cette fréquence d’images est insuffisante afin d’éviter tout papillotement et de restituer un mouvement fluide. C’est pourquoi ce papillotement et la stroboscopie se manifestent toujours, notamment, en ce qui concerne le papillotement, pour les images très lumineuses tandis que la stroboscopie apparaît pour certains mouvements de caméras. Ainsi, selon les focales employées lors d’un tournage, les vitesses de panoramique "autorisées" varieront. Il existe d’ailleurs une table pour les calculer. Elle tient compte, de la focale de l’image et de la vitesse de déplacement de la caméra ainsi que de la distance du sujet principal. Par ailleurs, plus le spectateur est proche de l’écran de projection plus celle-ci apparaît rapidement.

Cette photo d’un écran montre la discontinuité lumineuses de son affichage qui nous paraîtt pourtant produire un affichage uniforme. © Hervé Bernard 2016

Au cinéma, partiellement grâce à la persistance rétinienne, l’œil ne voit pas l’écran noir entre la projection de chaque image. De même, il ne voit pas que l’image 35 mm est projetée successivement à deux reprises. En effet, si les images cinématographiques sont filmées à 24 images/s, elles sont projetées au rythme de 48 images/s. Ce rythme a été adopté dans le but de réduire le phénomène de pompage lumineux – pompage achromatique – dû à une projection à 24 images et aussi pour répondre aux besoins de bande passante du son qui nécessitait une plus grande longueur de pellicules..

Cette photo d’un feu rouge montre la discontinuité lumineuses des diodes qui nous paraissent pourtant produire un éclairage uniforme. © Hervé Bernard 2016

Ces trois imperfections – la disparition du papillotement, l’effet phi et la persistance rétinienne – au-delà d’une certaine vitesse d’enregistrement, rendent possible le cinéma. En effet, enregistrer les images à de plus grandes fréquences, 75 ou 100 images à la seconde, par exemple, aussi bien en numérique qu’en argentique, est très difficile. En argentique, le poids des magasins de films, des caméras, le coût de la pellicule serait prohibitif. Quant au numérique, cela reste pour l’instant une mission quasi impossible en haute-définition et, à fortiori, dans des définitions supérieures. De fait, compte tenu de la bande passante nécessaire et de la vitesse d’enregistrement des disques, une vitesse d’enregistrement de 100 images à la seconde ou supérieure n’est possible que grâce à une réduction drastique de l’échantillonnage colorimétrique et de la définition spatiale. » Extrait de Regard sur l’image p 102-104

- Où sont passés les « noirs » interimages ?
Bien entendu, le bref instant de noir entre les images existe toujours. Il semblerait que notre cerveau n’en tienne tout simplement pas compte parce qu’ils constituent pour lui une absence d’information. La persistance rétinienne ne jouerait donc aucun rôle ou un rôle partiel dans cette continuité. L’effet phi serait responsable de la continuité cinématographique. Il correspond à la sensation de mouvement provoquée par l’apparition d’images perçues comme successives et susceptibles d’être raccordées par un déplacement ou une transformation. Le cerveau comble l’absence de transition avec celle qui lui semble la plus vraisemblable.

6 La vision, un artifice ?
Pouvons-nous dire avec Koffka que les stimuli de la vision ne sont pas l’objet de la vision mais, la cause. Par cela, il veut dire « que nous ne voyons pas les rayons lumineux en eux-mêmes bien qu’ils sont nécessaires à la vision ».

La rétine ne s’intéresse qu’à ce qui change contrairement à une caméra.. La sélection des fréquences, la primeur au changement. L’œil se reprogramme en temps réel, à chaque saccade, il effectue la balance des blancs, la mise au point, la profondeur de champs... Le passage instantané d’une mise au point à 10 cm à l’infini. Cette balance des blancs automatiques nous donne l’illusion d’une constance des couleurs du matin au cœur de la nuit.

« Cela serait un grand miracle si l’on pouvait voir avec le regard de l’autre pour un instant. » Thoreau

La vision serait-elle une vue de l’esprit ?

- L’œil, la sensation de la lumière et la vision


 Regard sur l’image
Un ouvrage sur les liens entre l’image et le réel.
350 pages, 150 illustrations, impression couleur, Format : 21 x 28 cm
EAN 13 ou ISBN 9 78953 66590 12

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