Regard sur l’image

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- L’œil, la sensation de la lumière et la vision V3

,  par Hervé BERNARD dit RVB

«  La couleur est une propriété de l’activité de la rétine.  »
Schopenhauer

Préambule
Si l’on définit l’œil comme un système sensible à la lumière, la vie sur terre a développé deux types d’œil :
 un système sensible à la lumière,
 un système capable de former une image.

Le premier type correspond à l’association d’au moins une cellule photoréceptrice et d’une cellule pigmentée tandis que le second, est un organe capable de produire une image à partir de différences d’intensités entre photorécepteurs (variation du contraste), de détecter la direction de la lumière, ses variations de longueur d’ondes (couleur) et équipé, parfois, d’un système de focalisation plus ou moins efficace. C’est avec ce système que les plantes dont le développement est basée sur la photosynthèse, poussent en direction de la lumière.

Dans le premier cas, il s’agit d’une sensation, dans le second, il s’agit de porter un regard sur le monde. Nous nous attacherons dans cet article à traiter le second cas.

La lumière est le moteur de l’évolution de la vision sur Terre. C’est elle, associée aux lois de l’optique, qui a réduit le nombre de possibilités pour collecter la lumière. Ces contraintes sont la cause de la convergence des structures d’un grand nombre d’yeux. C’est pourquoi les poissons et les céphalopodes primitifs ont “opté” pour le développement d’une lentille sphérique, réponse la mieux adaptée à la collecte de lumière en milieu aquatique.

Troisième œil ou tache aveugle  ?
© Hervé Bernard 2021

1 La perception visuelle : évolution
L’œil humain, celui que l’on retrouve plus ou moins chez l’ensemble des vertébrés, a pris sa forme il y a environ 100 millions d’années évoluant d’un simple capteur sensible aux rythmes lumineux saisonnier —il y a 600 millions d’années— a un organe optique, il y a 500 millions d’années.

Pour comprendre comment notre œil a pris forme, nous devons connaître la lignée quasi ininterrompue de nos ancêtres et il nous faut retourner, comme nous le rappelle Italo Calvino dans sa nouvelle La Spirale, aux organismes multicellulaires qui ont divergé en deux groupes :

 L’un construit selon un modèle dessus/dessous, donc une symétrie horizontale, tandis que l’autre, dont est issu la majorité des organismes que nous appelons êtres vivants est construit selon une symétrie bilatérale, la droite est la gauche étant le miroir de l’on et de l’autre.

 3 milliards d’année, apparition d’un protozoaire d’une taille de 2 microns : l’euglène, première cellule sensible à la lumière ;

 2 milliards d’années, apparition de la planare, première cellule capable de s’orienter dans la direction de la lumière, la vision commence à prendre forme ;

 500 millions d’années, apparition du Nautile, premier animal doté d’un œil semblable à une chambre noire. L’œil du Nautile est le premier organe capable de produire une image alors que cet œil n’a pas de cristallin. Ultérieurement, l’escargot sera l’un des premiers animaux doté d’un cristallin.

Selon Virginie Orgogozo qui remonte le temps, gène après gène, mutation après mutation, dans son laboratoire de l’Institut Jacques-Monod à Paris, les yeux tel que nous les connaissons, sont apparus entre 40 et 65 fois alors que ceux des taupes et autres rats-taupes sont apparus sous une vingtaine d’occurrences différentes.

Après l’explosion du cambrien, à partir d’un œil en forme de puits dont la cavité est tapissée de cellules réceptrices, la nature, dans son immense sagesse a choisi de développer les systèmes visuels selon deux axes :

 un système extérieur, celui de la mouche, de l’araignée, des crevettes... qui, outre le fait d’être extérieur a la particularité d’être composé de facettes. Ce type d’yeux caractérise essentiellement les insectes et les crustacés. Le nombre de facettes n’est pas nécessairement proportionnel à la taille de ces animaux. Ainsi, l’œil d’une mouche à 300 facettes, celui de la libellule 30 000 tandis que celui de l’abeille en a 8 000. C’est l’œil composé, constitué d’un grand nombre d’yeux élémentaires appelés ommatidies. Chaque ommatidie correspond à un œil-puits ;

 un système intérieur, aussi appelé camérulaires —parce que le principe de la caméra obscura lui est fortement similaire— Ce système construit autour d’un système lenticulaire concerne le système visuel des mammifères et de nombreux poissons. Certains animaux dotés d’une vision camérulaire ont conservé une vision ultraviolette, notamment chez plusieurs groupes de vertébrés. Ainsi, la souris utilise sa sensibilité aux ultraviolets. Elle lui permet, comme le Petit Poucet, de se repérer et de communiquer avec ses congénères car ses excréments reflètent ces rayonnements, les transformant en indices uniquement visibles par les souris. Par ailleurs, certains oiseaux migrateurs sont restés sensibles aux ultraviolets. Compétence qui leur donnerait de meilleurs capacités d’orientation par rapport au soleil.

Dans ce type d’œil, une image se forme soit par filtrage des rayons incidents (diaphragme), soit par réfraction et concentration de la lumière incidente en certains points (lentille), soit par réflexion des rayons après leur traversée des cellules réceptrices (miroir). La forme sphérique de ce miroir sert à concentrer les rayons lumineux issus d’une direction sur une zone réceptrice réduite afin de former une image. Ce miroir est apparu simultanément sous forme d’une multi-couche réfléchissante, chez les rotifères, les plathelminthes, les copépodes et certains mollusques.

L’ajout d’un système réfractif (lentille) à un œil-puits —ancêtre des yeux camérulaires— permet de concentrer les rayons issus d’une même direction vers une zone limitée de la couche réceptrice et facilite la formation d’une image en concentrant la lumière, ce qui augmente sa sensibilité. À l’origine, leur forme était sphérique et homogène. Ensuite, ces lentilles ont évolué différemment chez les céphalopodes, les vertébrés, les copépodes et les gastéropodes.

Il existe aujourd’hui une grande diversité de structure et de composition des lentilles chez les animaux, qui sont toutes issues de lentilles sphériques homogènes. L’œil de certains animaux terrestres, tels les mammifères et les araignées, sont dotés, devant la lentille, d’un système réfractif supplémentaire : la cornée. Cette cornée concentre l’essentiel du pouvoir de réfraction de l’œil, les 2/3 pour l’homme. Avec l’apparition de la cornée, le rôle de la lentille se modifie pour se focaliser sur l’accommodation.

Cf notre article - Précisions et échelles de grandeur à propos de l’œil humain pour un développement sur les performances de l’œil humain.

Les yeux camérulaires aussi, bien que des yeux composés, sont répertoriés dans la plupart des six branches d’animaux dotés d’un œil complexe.

Coupe d’un œil humain

2 Le système visuel extérieur
On a longtemps considéré les systèmes visuels extérieurs comme inférieurs aux systèmes intérieurs. Cependant, dans le monde maritime, un animal au système visuel extérieur bénéficie de capacités époustouflantes. Il s’agit de la crevette mante. Certes, leur capacité d’accommodation, c’est-à-dire de voir net sont plus faibles que celles des yeux des systèmes intérieurs. En effet, la zone de netteté du premier système est comprise entre 5 et 100 m alors que les yeux à lentille ont une zone de netteté comprise entre 1,7 - 3 cm et 100 m pour l’homme.

Il est vrai que, globalement, les systèmes à facettes ont une faible acuités spatiale (définition) qui est, cependant, compensée par une très grande acuité temporelle (détection des mouvements) renforcée par des temps de réaction extrêmement réduits, de l’ordre de 5 nanosecondes alors que celle de l’œil humain est de quelques millisecondes. Et cette acuité temporelle s’appuie sur un champ visuel très large voire panoramique. Compte-tenu de leur petites tailles, certaines mouches (tout comme la crevette mante) qui, bien qu’elles ne mesurent en moyenne que 10 mm de longueur comme Cyrtodiopsis Whitei ont une longueur d’écartement de leurs yeux supérieure à celle de leur corps afin d’optimiser l’ampleur de ce champ visuel.

3 Les crevettes mantes, un système visuel aux performances uniques
Tout comme certaines mouches, chacun de ses yeux situé à l’extrémité de pédoncules fonctionne indépendamment l’un de l’autre et couvre un champ visuel de 360°. Composé de 10 000 ommatidies ou facettes, ces récepteurs sensibles à la lumière des yeux à facettes des insectes et crustacés sont de formes coniques. Chacune de ces facettes abrite en son sein un appareil dioptrique servant à réfracter la lumière, des bâtonnets sensibles aux rayons lumineux et des fibres nerveuses. Par analogie, chacune de ces facettes est comparables à un œil. D’autres préféreront l’analogie au pixel du capteur numérique.

Un article de Current Biology (juillet 2014) [1] rapporte que la crevette-mante utilise une protéine [2] comme filtre spécial pour voir 12 canaux de lumière en utilisant 16 types de photorécepteurs, alors que l’œil humain ne possède que 3 types de photorécepteurs (sensible chacun au rouge, au vert, ou au bleu et d’une sensibilité échelonnée entre 390 et 700 nanomètres). La sensibilité spectrale respective de chacun de ces photopigments est encore accrue par des filtres colorés situés sur les rétines. Ces derniers peuvent être rangés en 4 classes :
 8 d’entre eux analysent les couleurs dans les différentes longueurs d’onde,
 4 dans l’ultraviolet,
 4 autres sont dédiés à la lumière polarisée. Cependant, malgré un spectre qui s’étend de 300 à 720 nanomètres, ces photorécepteurs paraissent peu sensibles aux infra-rouges. Pour compléter ses capacités déjà unique, cet animal peut facilement détecter la lumière fluorescente.

a) Le fonctionnement biologique de l’œil à facettes
Selon les chercheurs de l’Université du Queensland (Australie) qui travaillent sous la direction de Hanne Thoenn, chaque œil est composé de 3 sections (ventrale, dorsale et une bande équatoriale), chacune ayant une pseudo-pupille indépendante. Les sections ventrales et dorsales sont assimilables à des hémisphères et ont, chacune leur champ visuel étendu propre cependant, ces deux champs se recouvrent dans une portion significative de l’espace. C’est grâce à ces bandes qu’un seul œil de la crevette mante réalise une triangulation de l’objet visualisé pour connaître avec précision sa distance et sa profondeur. Elles donnent à chaque œil une vision tridimensionnelle, en relief contrairement à la vision humaine qui, pour fabriquer le relief, a besoin de deux yeux. Les fonctions de ces bandes sont similaires à celles des pupilles humaines.

En 2008, des études précédentes publiées, elles aussi, dans Current Biology, avaient démontrées que la crevette-mante est un cas unique dans le règne animal avec une autre modalité visuelle particulière décrite ainsi : « Nous décrivons l’ajout d’une quatrième modalité visuelle au sein du règne animal : la perception de la lumière polarisée [3] circulairement. [4] […] Selon, une autre source, l’Université de Bristol, en fait, son système visuel aurait même la capacité de polariser lui-même la lumière.

Lumière polarisée circulairement

[…] Nous suggérons que cette remarquable habilité intervient dans les signaux sexuels et le choix d’un partenaire, bien que d’autres fonctions potentielles de la vision polarisée circulaire —comme un contraste amélioré dans un environnement turbide— soient possibles sous ses deux formes, linéaire et circulaire tout en étant capable de la convertir d’une forme à l’autre. »

b) le traitement de l’information
L’information visuelle provenant de la rétine semble être transformée en nombreux trains de signaux parallèles menant dans le système nerveux central, réduisant considérablement la complexité de l’analyse des signaux. Ainsi, elles confondent l’orange clair et le jaune foncé et cela serait du à une incapacité à distinguer des longueurs d’onde séparées par moins de 25 nanomètres. Donc, ces capacités seraient entachées par une faiblesse, une faible discrimination entre les teintes proches en raison d’un traitement simplifié destiné à éviter une “ surcharge ” du cerveau. En effet, les squilles ne s’attardent pas sur les couleurs et leurs nuances, et s’en servent surtout pour différencier la nature des autres animaux à proximité : ennemi, ami, etc., ce qui leur permet de prendre des décisions beaucoup plus rapidement. En fait, si elles appliquaient un traitement cérébral équivalent à celui des autres animaux, elles auraient une capacité de discrimination comprises entre 1 et 5 nanomètres.

4 Tes grands yeux d’amour, me font mourir
Nous venons donc d’observer des yeux plutôt petit, même, si dans le cas de la crevette, ils sont plutôt gigantesque. On peut donc s’interroger sur l’autre extrémité, des yeux absolument grands. Curieusement, ces yeux là appartiennent, eux aussi, aux abysses. Ces yeux là ont non seulement la plus grande cavité mais aussi la plus grande pupille. Sont-ils pour cela d’une extrême efficacité ?

5 Les poissons, un œil interne
Contrairement aux crustacés, les yeux de poissons appartiennent au système visuel interne. Cependant, contrairement aux mammifères, ceux-ci n’ont pas de paupière. Placés latéralement, dans la plupart des cas, cependant, ceux des prédateurs seraient moins latéralisés, plus centraux afin de garantir une meilleure précisions tandis que ceux des non prédateurs seraient plus latéralisés afin de leur garantir un champ visuel plus large. Champ plus large qui leur permettrait d’anticiper l’arrivée de la proie notamment grâce à une bonne détection des mouvements.

Autre particularité, par rapport aux yeux internes, le cristallin d’un œil de poisson n’est pas déformable. Pourtant, une certaine accommodation est possible grâce au muscle lenticulaire qui tire l’œil en arrière. Dès que le muscle lenticulaire cesse d’agir, la lentille reprend sa place initiale sous l’action du ligament suspenseur. Tout comme pour les mammifères, la rétine est composée de cônes et de bâtonnets assemblées par une structure moins fine que celle de l’être humain.

Parler de la vision des poissons nécessite de faire plusieurs distinctions :
 Les poissons de surface eux-mêmes divisés en deux sous-catégories : les poisons diurnes et les poissons nocturnes ou vivants dans les eaux troubles. Ces derniers, comparables aux autres animaux nocturnes paraissent plus sensibles à la luminosité qu’aux couleurs.

En ce qui concerne, les poissons diurnes, il semble que certaines espèces, comme la perche [5] et le sandre [6] soient dépourvus de récepteurs sensibles au bleu. Ainsi, l’œil du sandre serait doté de récepteur lui permettant de distinguer le rouge orangé ainsi que le vert. Cependant, la structure de son œil semble très adaptée pour une faible luminosité.

- La Spirale, Italo Calvino, Extraits d’une mise en image à paraître aux éditions regards & impressions, férier 2024

- L’homme à la conquête de l’invisible et de l’inaudible


 Regard sur l’image
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