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- Edward Bernays, le Procuste du XXe et du XXIe siècle Le XXIe siècle serait-il le lit de Procuste ?

,  par Hervé BERNARD dit RVB

Le XXIe siècle serait-il un lit de Procuste ?

1 Retour en arrière,
Polypémon (« le très nuisible ») plu connu sous le nom de Procuste (« celui qui martèle pour allonger »), aussi appelé Damastès (« le dompteur ») est un charmant personnage de la mythologie grecque qui avait pour coutume de capturer ses congénères pour les coucher dans un lit. N’y voyait là aucun désir égrillard ou encore le souhait de leur offrir un repos bien mérité. Point de prévenance, de care [1] dans ce choix. En fait, ce lit lui servait d’unité de mesure. Toutes personnes qui tombaient dans ses rets étaient illico ramenées à la taille de ce lit. Comment ?

Tout simplement en coupant tout ce qui dépassait pour les plus grands. Quant aux plus petits, ne croyez pas que leur sort soit plus enviable. Ils étaient tout aussi simplement écartelés jusqu’à ce qu’ils atteignent une taille conforme à celle du lit.

La Chambre de Procuste
Techniques mixtes, © Hervé Bernard 2017

2 Image et mythologie grecque : quels liens ?
C’est là qu’intervient Edward Bernays, le neveu de Freud dont nous pensons qu’il est un digne héritier de Procuste.

D’une part, le marketing est l’art de faire tenir le désir de chacun dans une production ultra-normée pour répondre aux contraintes de la production à la chaîne. D’autre part, le marketing est un refus fondamental de la différence. Je n’en veux pour preuve que la forme des voitures de tourisme à travers le monde. Aujourd’hui, elles se ressemblent toutes.

Au delà du marketing, notre goût pour la la normalisation affirmé à travers la multiplication des euphémismes et des périphrases (cf des expressions comme malvoyants, technicien de surfaces...) est l’une des autres manifestations de l’affection occidentale pour Procuste. Quant à l’addiction française pour les étiquettes, s’il est bien une addiction procustienne[si je peux me permettre ce néologisme], c’est bien celle là.

par Pascale Seys

3 Marketing et normalisation sans norme
Le parpaing, le Coca Cola, le sac à dos, le chewing-gum, le jean (...) sont quelques autres manifestations de Procuste dans ce monde passé maître en standardisation en actes, en pensées et en objet. Sans omettre les morceaux de tissus issus des chaînes industrielles qui revêtent des mêmes haillons industriels les amazoniens, les aborigènes et les pygmées les faisant passer eux aussi à la moulinette de la standardisation occidentale aux dépends des tissus et matériaux locaux.

Ainsi, j’ai assisté le 10 avril 2014, au labo de l’édition à une conférence de Bob Stein de l’Institute for the Future of the Book et je suis frappé par le désir de normalisation destructrice qui habite cet homme et qui du passé veut faire table rase. En effet, tous ces évangélisateurs, s’empressent, les uns après les autres de nous annoncer qui, la fin de l’argentique, qui, la fin du papier (...) et pour ce dernier la fin du livre. Cette attitude est révélatrice d’une société incapable de laisser vivre des points de vue contraires ou complémentaires dans une cohabitation mutuellement enrichissante

Ce besoin de vivre des ruptures technologiques, artistiques ou culturelles plutôt que de regarder le monde comme une évolution perpétuelle ne serait-il pas la conséquence de ce désir procustien ?

Ce désir de réduire le monde à un monde numérique où rien d’autre n’existe est non seulement réducteur mais il a surtout l’immense défaut de nous laisser “choisir” qu’une solution unique. Situation qui nous accule dos ou face au mur, peu importe, ce qui nous met en colère comme toujours lorsque l’on est piégé et fait le lit du fascisme.

4 Malheureusement, Edward Bernays n’est pas le seul à désirer nous coucher dans ce lit.
Nous sommes tous responsables, c’est tellement bon d’être dans un lit de Procuste, cela nous donne l’illusion de faire corps, de constituer un groupe. Notre désir de réponse facile, de solution simple, de déresponsabilisation, c’est tellement bon d’être un mouton de Panurge, pas de responsabilité, c’est la faute de l’autre, du voisin, du bouc émissaire. Il est urgent de lire ou de relire René Girard et sa théorie du bouc émissaire..

Le lit de Procuste serait-il le lit du fascisme ?

Hervé Bernard 2014-2015

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À propos de la propagande et d’Edward Bernays 1/2

À propos de la propagande et d’Edward Bernays 2/2

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Bernard Stiegler : « Le marketing détruit tous les outils du savoir », extrait

Peut-on sortir de l’ère industrielle ?
J’ai la conviction profonde que ce qu’on appelle humain, c’est la vie technicisée. La forme de vie qui passe par la technique, qu’elle soit celle du silex taillé ou du silicium, organisée comme aujourd’hui par un microprocesseur ou par autre chose. Dans tous les cas, nous avons affaire à de la forme technique. L’individuation psychique, c’est-à-dire la manière de devenir ce que je suis, l’individuation collective, la manière dont se transforme la société dans laquelle je vis, et l’individuation technique, la manière dont les objets techniques se transforment, sont inséparables. Un homme qui vit sur une planète où il y a un million d’individus n’est pas le même homme que celui qui vit dans une société où il y a sept milliards d’individus. Sept milliards, cela veut dire sept mille fois plus ! Ce sont des facteurs colossaux.

Quand on appréhende les questions dans leur globalité, il est inconcevable de faire face à cette poussée démographique avec des moyens non industriels. Ce n’est pas possible. La question n’est pas de sortir du monde industriel, parce que ça, c’est du vent. Les gens qui disent cela sont des irresponsables ! La question est d’inventer une autre société industrielle, au service de l’humanité et non pas du capital. Des gens ont rêvé de cela. On les appelait des communistes. Marx est le premier philosophe à avoir dit que l’homme est un être technique. Mais Marx et le marxisme, c’est très différent ! Il faut repenser en profondeur, premièrement, qu’est-ce que la technique pour l’être humain ; deuxièmement, sa socialisation ; et troisièmement, le projet d’économie politique qui doit accompagner une industrialisation. Le problème n’est pas l’industrie, mais la manière dont on la gère. Elle est sous l’hégémonie du capitalisme financier.....

D’où vient cette hégémonie du capitalisme financier ?
En 1977, au moment du mouvement punk, c’est l’enclenchement d’une catastrophe annoncée. La droite radicale pense : il faut remplacer l’État par le marketing. En 1979, arrivent Thatcher puis Reagan en Grande-Bretagne et aux États-Unis, les conservateurs tirent les conséquences de ce qu’on appelle la désindustrialisation. L’énorme RCA (Radio Corporation of America, ndlr) est rachetée une bouchée de pain par Thomson, l’électronique part au Japon, Thatcher a compris que la grande puissance du Commonwealth touche à sa fin. Donc, pour pallier à la déroute de la puissance industrielle, ils se lancent tous les deux dans la spéculation financière. Tout ce système qui s’est écroulé en 2008 a été mis en place à cette époque, c’est l’école de Chicago. Ils dérèglent tout, les puissances publiques, le système social, et de manière systématique. Ils vont tout dézinguer. La conséquence de tout cela, c’est la destruction des savoirs et une nouvelle prolétarisation généralisée.

Comment s’opère cette destruction des savoirs ?
Les institutions familiales, l’éducation, l’école, les systèmes de soin, la sécurité sociale, les partis politiques, les corps intermédiaires : tous les outils du savoir sont systématiquement détruits, le savoir-faire (les métiers, les techniques), le savoir-vivre (le comportement social, le sens commun), le savoir-penser (la théorisation de nos
28/03/12 Basta ! - Société de consommation - Bernard Stiegler : « Le marketing détruit tous les outils du savoir »

Les lieux où se développaient ce que les Grecs et les Romains nommaient la schola. Tout cela a cédé face au goût vers la satisfaction immédiate, à la pulsion infantile égoïste et antisociale. Alors que le désir est le départ d’un investissement social.

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