En typographie, on parle d’une police de caractères, c’est-à-dire d’un ensemble de signes appartenant à un système d’écriture. Dans la vie courante, nous disons d’une personne qu’elle a du caractère pour indiquer que sa personnalité est marquée par un certains nombres de traits qui la distinguent de son entourage. On désigne ainsi les traits qui la rendent remarquables et qui la font se distinguer des autres... caractères. Existe-t-il le lien entre ces deux expressions ?
Caractère et caractère
Sur le site du Centre National des Ressources Textuelles et Lexicales, nous avons trouvé deux citations : « J’ai reconnu votre caractère (Ac. 1798-1878). Adieu, ma très chère Adèle. Il y a une chose que je déteste dans ton caractère, c’est que les lignes sont trop espacées, ce qui rend tes lettres trop courtes [1]. »
Selon cette citation de Joseph de Maistre, nous pouvons supposer que le caractère d’une personne serait issu ou le reflet du caractère de son écriture . Le tempérament d’une personne serait-il donc à l’image du caractère de son écriture ? Le glissement sémantique se faisant alors du caractère typographique au tempérament. Les graphologues répondront par l’affirmative à cette identité. Quant à la question du glissement sémantique, ils ne prennent aucune position.
En typographie, les caractères réunis dans une police sont définis par des traits communs qui les unissent au sein de cette police et les distinguent des caractères d’une autre police. De même, les traits de caractère d’une personne constituent sa personnalité et marquent ce qui la distingue des autres personnes comme le précise le CNRL, ce sont les particularités remarquables de quelqu’un ou de quelque chose.
Existerait-il alors un lien entre les traits de caractère de l’un et de l’autre ? Le trait du dessin de la lettre est une « Ligne tracée sur une surface, notamment sur du papier, à l’aide d’un instrument. ». Les traits de caractère d’une personne sont les éléments qui définissent ses particularités, en somme, les lignes de sa personnalité.
Dans les deux cas, la personnalité comme la police de caractères ne peuvent exister sans ses particularités. En fait, ses traits se concrétisent dans ces particularités et l’un comme l’autre dessine un caractère. De là à conclure à ce glissement sémantique du caractère typographique au caractère humain ?
Au premier abord, toujours selon le CNTRL, cela semblerait être une erreur si l’on en croit ses propos : 1372 fém. caratere « empreinte » (Ord., V, 513 ds Gdf.) ; 1550 carathere « signe d’écriture » (J. Le Blond, trad. de Th. Morus, L’Isle d’Utopie, L. II, 67 vods Hug. : [...]. Ces dates donnant la préséance au caractère de la personnalité.
Cependant, le caractère typographique est une empreinte, celle d’une forme sur une feuille. Quant au caractère, il est lui aussi une empreinte, celle d’un tempérament sur son environnement, son entourage. Cette communauté de sens se dessinerait-elle à travers l’empreinte.
De la poule et de l’œuf
Si l’on creuse un peu la question, on découvre que le mot caractère est un emprunt au latin character attesté d’abord par Varron ds TLL s.v., 994, 19, au sens de « manière d’être propre à un style », puis au IVe siècle à celui de « manière d’être, comportement (d’un homme) » [2] ; le sens premier de « marque que l’on applique à un animal en le brûlant au fer » n’est attesté qu’au premier siècle. [3] ensuite « marque d’un poids ou d’une monnaie » IIIe siècle [4] ; fin IVe-début Ve siècle. « signe de l’écriture » [5] ; au figuré, désigne la marque sacramentelle du baptême en latin chrétien [6] ; le lat. est empr. au gr. χ α ρ α κ τ η ́ ρ « empreinte » en partie de monnaie, Ve siècle [7], puis « signe distinctif, marque, caractère propre à une personne, une chose » [8] « traits particuliers du visage (π ρ ο σ ω ́ π ο υ ) « nature d’une personne » [9] ; en parlant du style (Id., ibid. ; cf. Cicéron, Orator, éd. A. Yon, Paris, Belles-Lettres, 1964, § 134 : Sed iam forma ipsa restat et χ α ρ α κ τ η ́ ρ ille qui dicitur). [10]
Quant au Littré, il définit ce terme ainsi : « Prononciation : ka-raèkté-r’ Étymologie : Character, marque, en grec : graver. » Le sens originel de caractère indiqué par ce dictionnaire comme signe tracé ou écrit confirme donc l’origine typographique comme origine première associée avec la notion d’empreinte. Les autres sens étant donné comme des sens figurés.
Il semblerait donc que le sens de caractère comme empreinte d’une lettre, c’est-à-dire d’une « Figure marquée par impression » [11] soit le sens premier mais que le caractère comme empreinte d’une personnalité et donc signe de l’impression qu’elle nous produit est évolué très rapidement vers son sens figuré pour en suite évoluer parallèlement si l’on remonte à la langue grecque. Toujours pour rester dans le registre de la métaphore de la gravure, le caractère d’une personne est composé des traits qui se gravent dans la mémoire de tout un chacun.
Et la police dans tout ça ?
De là à en déduire que les caractères d’une police, celle chargée de veiller aux grains, sont liés aux caractères des hommes qui la composent, il y a un pas qui ne se franchit pas simplement. En effet, cette police là, est sensée être uniformisée par son uniforme et ne plus avoir qu’un seul caractère qui refléterait celui de la loi ou ad minima celui du régime politique.
Ces exemples montrent comment la polysémie d’une lange et source d’enrichissement sémantique et non de brouillage. Certes, parfois, elle crée des malentendus ou des “malvus”, mais cette polysémie est une nécessité. En effet, sans la polysémie, le vocabulaire indispensable à la communication serait bien trop vaste pour permettre à tout un chacun d’y accéder et son acquisition deviendrait un obstacle, parce que encore plus longue qu’elle ne l’est actuellement. Si l’on adopte ce point de vue, la polysémie passe du stade d’obstacle à celui de source d’efficacité.
© Hervé Bernard Rvb 2013-2015