Regard sur l’image

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- Harmonie V3

,  par Hervé BERNARD dit RVB

1 Définition et conditions de l’harmonie
 Qualité d’un ensemble qui résulte de l’accord de ses parties ou de ses éléments et de leur adaptation à une fin.

 Combinaison spécifique formant un ensemble dont les éléments divers et séparés se trouvent reliés dans un rapport de convenance, lequel apporte à la fois satisfaction et agrément. Éléments séparés de différentes natures réunis dans une cohérence.

 Rapport d’adéquation, relation de convenance existant entre les éléments de l’univers, entre des textes ou des éléments mathématiques, entre les personnes et les groupes de personnes entre elles ; l’effet qui en découle.

 Rapport d’adaptation, de conformité, de convenance existant entre les éléments d’un ensemble cohérent ou entre des choses soumises à une même finalité comme nous le rappelle l’harmonie, ensemble des instruments à vent, dans l’orchestre. Le résultat produit par cet ensemble engendre le bon équilibre entre les différentes parties.

 Harmonie est donc tour à tour, une adéquation, une relation de convenance, une adaptation ou encore une conformité. Peut-elle bousculer les habitudes ? L’harmonie serait-elle mièvre ?

Recourir à un logiciel qui vous permet de choisir un disque à écouter en fonction de l’harmonie des couleurs de sa pochette avec la couleur que vous sélectionnez serait-il accéder à une forme d’harmonie entre la couleur choisie et la musique ? Faudrait-il encore que le concepteur de la pochette se soit posé la question.

Les conditions de l’harmonie
L’harmonie implique un ensemble. Comme tout ensemble, l’ensemble définit par l’harmonie est une construction. En effet, comme le montre la définition, cet ensemble est défini par une qualité qui est, elle-même, définie par un ensemble de personnes. Par conséquent, cet ensemble n’est pas nécessairement réel, il agit même parfois comme une métaphore dans le sens où il n’est pas constitué d’éléments palpables.

Ainsi, peut-on affirmer qu’une personne est en harmonie avec elle-même ? Pour que cette affirmation soit valide, il faut penser l’individu comme un ensemble de sensations, de pensées... et pas seulement comme un ensemble physiologique. Ces manifestations (sentations, pensées...) de notre individualité constituent l’individu. Cependant, qu’elle soit un ensemble d’êtres vivants, d’objets, de sensations, c’est dans cette union d’une diversité que réside la difficulté de l’harmonie.

L’harmonie comme ensemble est liée à une culture et à notre relation à cette culture. L’harmonie d’hier n’est pas celle d’aujourd’hui comme l’ont vécu les impressionnistes, les cubistes et beaucoup de mouvements artistiques qu’ils soient picturaux ou non lors de leur émergence.

Il n’y a pas d’harmonie sans l’autre, sans l’autre avec qui on est en harmonie mais aussi l’entourage plus ou moins grand qui a construit cette harmonie. Même en musique, l’harmonie implique l’autre puisque l’harmonie est l’émission simultanée de plusieurs sons différents.

L’harmonie peut aussi se penser comme une métaphore d’ensemble, c’est le cas lorsqu’une personne affirme être en harmonie avec elle-même. Cependant, si l’’harmonie est une métaphore, elle devient alors elle-même une image.

L’harmonie est une quête, on la rencontre, on la croise, elle nous accompagne plus ou moins longtemps. Elle est instable. Le paradoxe de l’harmonie est qu’elle s’enseigne, elle n’est donc pas si naturelle que l’on voudrait le croire. Cet enseignement est la démonstration de son appartenance à la culture.

1 Harmonie et perception de la couleur
L’harmonie est liée à notre système perceptif qu’’il soit visuel, auditif olfactif ou auditif. Si, comme les cafards nous ne voyons pas le rouge, le jaune et l’orange disparaîtrait et le rouge ne pourrait être la couleur de la vie ou du danger mais, simultanément, l’harmonie rouge-jaune n’a plus de raison d’être puisque ces couleurs deviennent imperceptibles.

Par contre, si comme les mouettes, nous avions un spectre visible plus large dans les infrarouges, notre conception de l’harmonie, serait encore différente. Si toutefois ce concept existe chez les mouettes. Comme le seul goéland à avoir communiqué avec nous, je veux parler de Jonathan Livingstone, de Richard Bach nous a légué des photos noirs et blancs, il nous est difficile de connaître leur définition de l’harmonie.

J’ajouterais que certaines femmes ont deux bâtonnets différents pour le vert ce qui leur permet d’avoir une meilleure discrimination entre les plantes de cette couleur. Cela change-t-il leur vision de l’harmonie lorsque celle-ci implique la couleur verte mais aussi la gamme des cyans qui sont des bleus dans lesquels on ajoute du vert.

Qu’en est-il de l’harmonie pour la vision du chien, si toutefois cet animal est capable de penser la chose ? Avec sa vision dichromatique, c’est-à-dire, reposant sur deux spectres le bleu et le jaune, elle nous propose un monde où le rouge et le vert n’existe pas. La disharmonie rouge-vert est donc impensable. Encore que, même pour l’occidental, cette opposition n’a apparemment pas toujours existé.

Illustration extraite de Regard sur l’Image, page 60

Ce texte, ci-dessous, met en relief les liens entre la perception visuelle et la lecture, le mot rouge quand il est bleu est plus difficile à lire que lorsqu’il est rouge. Lire correctement le mot rouge quand il est bleu fait appel à nos capacités d’inhibition. Bien que nous le voyons bleu, nous devons dire rouge. Pour cela, il nous faut verrouiller une partie des informations que nous communique la vision. On remarquera le rôle des virgules noires que nous avons ajoutées. Elles aident à la lecture en marquant la fin de chaque mot et en ralentissant l’œil ; ralentissement qui facilite la lecture et donc l’inhibition Le mot rouge quand il est écrit en bleu est-il en disharmonie avec lui-même ?

En fait, quand nous percevons une information à l’aide du sens de la vision, de l’ouïe et de l’odorat, bien souvent, nous avons accès à cette information parce que nous inhibons d’autres informations que ces sens nous transmettent. Ces inhibitions contribuent-elles à l’harmonie ? Si elles nous confortent dans nos croyances-pensées, on peut le croire. Cependant, il est parfois utile, voire indispensable d’être déstabilisé pour survivre. L’harmonie n’existe-t-elle que dans une forme temporaire ? Serait-elle un état instable ou encore un état de transition ? L’inhibition serait-elle le prix à payer pour rencontrer l’harmonie ?

D’après, une expérience de J. Ridley Stroop (1935) qui met en valeur les antagonismes entre les deux hémisphères du cerveau. cf Regard sur l’Image, p 130

Ici, la partie droite du cerveau cherche à dire la couleur tandis que la partie gauche cherche à lire le mot. C’est la contradiction entre ces deux informations qui provoque un ralentissement de la lecture. Pourtant, certaines personnes ne sont pas du tout ou peu troublées par la non-concordance entre la couleur du mot et son sens. Selon les scientifiques, cela dénoterait probablement une prédominance du cerveau droit sur le cerveau gauche ; dit autrement, leur perception et leur cerveau donnent la priorité au verbe sur l’image.

Est-il possible de créer une harmonie s’il y a conflit entre les deux hémisphères de notre cerveau ? En cette époque de progrès dans le domaine de la neurobiologie, cette question mérite d’être posée.

2 Qu’en est-il de l’harmonie dans le domaine de l’image ?
Parler d’harmonie, c’est adopter un point de vue sur l’image.

Parler de l’harmonie des couleurs, c’est penser l’image à partir d’une métaphore construite sur les similitudes entre les couleurs et la musique. L’harmonie des couleurs est donc, d’un point de vue sémantique, une image d’image.

Kandinsky est certainement l’un des maîtres de l’harmonie. Certains lient l’harmonie à la complémentarité des couleurs, d’autres parleront d’harmonies naturelles comme dans le cas des images de Lascaux. Naturelle parce que construite sur des pigments naturelles. Mais, qui a créé cette harmonie ? La Nature ou nous ? Si c’est la Nature, dans quelle mesure sommes nous les auteurs de cette harmonie.

D’autres enfin répondront que l’harmonie n’a pas de règles. Elle se sent ! Dans le domaine des images, l’harmonie est aussi associée aux lignes, là aussi la métaphore musicale continue à dérouler son écheveau. Les blanches étant les lignes brèves, tandis que les noirs seraient les notes longues. À moins que cela ne soit les les rectangles pleins et les lignes. L’harmonie des lignes, peut-elle être en contradiction avec celle de la couleur ? Pour évoquer cette contradiction, ne vaudrait-il pas mieux parler de contraste entre la couleur et la forme plutôt de contradiction ou de disharmonie ? Mais en adoptant cette terminologie, nous nous trouvons à nouveau en présence d’une métaphore car le contraste parle d’abord de lumière avant d’évoquer les couleurs même s’il existe un contraste entre les couleurs. On réalise alors que l’image n’est pas seulement picturale tout comme l’harmonie n’est pas seulement musicale tandis que l’harmonie reste difficile à cerner.

3 Harmonie et technique
Une harmonie dépend des matériaux qui vont être employé pour la créer. L’harmonie des couleurs selon que l’on emploie de l’acrylique, de l’huile, de l’offset CMJN, une technique d’impression photographique RVB ne produira pas les mêmes harmonies de couleurs d’autant plus que pour ces deux derniers espaces colorimétriques, celle-ci dépendra de l’échantillonnage utilisé.

Par conséquent, faut-il, pour que l’harmonie existe au sein d’une image, qu’il y ait un accord entre les différents domaines de l’image : c’est-à-dire le perceptif, le culturel et la technique. En effet, même si la technique appartient à la culture, elle a son mot à dire à propos de l’harmonie. Ainsi les pigments selon les époques et les techniques sont incapables de produire les mêmes harmonies. De même, les systèmes RVB ne regroupent pas les mêmes espaces que les systèmes CMJN, les harmonies varieront. Surgit alors une question, comment traduire, transposer une harmonie penser dans un monde RVB, faut-il encore savoir de quel RVB parle-t-on ? Pro-RGB, sRGB, Adobe RVB ? De même, faut-il encore savoir de quel espace CMJN parle-t-on, celui de l’offset européen, américain ou encore asiatique et faudrait-il encore préciser là aussi la version de ces différents espaces.

L’anecdote du rouge à lèvres noir montre d’ailleurs l’importance du contexte technique dans l’harmonie. En fait, quoi de plus disharmonieux qu’une femme ou un homme maquillé avec un rouge à lèvres noir. Ce rouge à lèvres noir a pourtant été abondamment utilisé sur les plateaux de cinéma, entre les deux guerres. Cette abondance n’était pas due à un nombre de films d’horreur supérieur à celui actuellement tourné. Elle était le fruit d’une moins grande sensibilité au rouge des pellicules de l’époque. Cette moindre sensibilité transformait les lèvres en un trou. Chose qui, sauf dans le cas d’un film d’horreur, est plutôt disharmonieux. Maquiller les lèvres en noir, les rendaient tout simplement visibles. Ce qui était quand même plus harmonieux... Au passage, on retiendra que toutes les pellicules noir et blanc ne produisent pas la même image d’une même nature-morte éclairée de la même manière. Elles ne restituent donc pas la même harmonie de gris. En effet, certaines sont peu sensibles au rouge et d’autres peu sensibles au bleu. Fabriquer une image noir et blanc avec un logiciel, plutôt qu’avec l’algorithme d’un appareil photographique permet de gérer au mieux cette harmonie en donnant une prédominance plus ou moins grande aux couleurs primaires et/ou aux couleurs secondaires.

En guise de conclusion
Une couleur est la résultante d’une longueur d’ondes, d’un système de réception : œil-capteur et d’un système d’interprétation : cerveau - culture qui définissent cette harmonie.

« Seulement, il faut faire attention au piège des couleurs. On finit par ne plus peindre que pour l’harmonie. » [1]

Une image réussie est une harmonie, une harmonie de couleurs bien entendu encore que les couleurs gueulantes puissent être un parti-pris efficace. Mais sont-elles alors toujours en disharmonie ? Elles ne sont pas apaisantes, elles nous interpellent quelque part pour reprendre une image à la mode depuis 1968.

Dans quelle mesure, un sujet violent est-il composé de manière harmonieuse ? La disharmonie des couleurs serait-elle en harmonie avec le sujet ?

Est-ce que mes images sont harmonieuses ? Je dois avouer que c’est une question que je ne me suis jamais posée avant que Patrick Callet ne me demande de parler d’harmonie et en écrivant cette phrase j’ai cru que ce mot ne figurait probablement pas dans Regard sur l’image . J’ai donc ouvert le fichier pdf du livre et j’ai tapé Ctrl F ou Pomme F, selon le point de vue que l’on a sur le monde informatique, persuadé que je n’allais pas le trouver. En fait, il y a une occurrence de ce mot à la page 20 et neuf en page 150 dans un paragraphe d’une quinzaine de lignes. Trois petits tours et puis s’en vont. Je ne suis pas vraiment surpris. Est-ce à dire que je ne suis pas harmonieux ? Je vous laisse juge. Par contre, ce n’est pas ce que je cherche en faisant mes images, mon désir est d’interroger, de mieux nous comprendre, d’évoluer.

L’harmonie entre la forme et le contenu construirait-elle le style du peintre, du photographe ?

Petite question à verser au débat Mac-PC, le Mac est-il une machine plus harmonieuse que le PC ?

Peut-on dissocier l’harmonie des forme et des couleurs ? Si. L’on considère l’harmonie, comme précédemment évoqué, comme un ensemble, la réponse est alors négative. En fait, l’harmonie supporte mal la dissection.

L’harmonie est elle pour cela un concept flou ? Oui, si l’on parle de l’harmonie comme l’on parle de logique floue ? Sous son aspect bénin, elle est tout aussi complexe que la logique floue. Et c’est cette complexité qui peut donner laisser croire qu’elle est à géométrie variable.

En effet, pour une image, on parlera d’harmonie des couleurs, des formes. Vouloir les définir les unes sans les autres c’est risquer de se casser les dents.

Un auteur est-il en harmonie avec sa création ?

L’intérêt de l’harmonie est de nous contraindre à sortir du manichéisme. Finalement, dans les années à venir, on va sacrément avoir besoin d’elle.

© Hervé Bernard 2017

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- La vision du chat

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 Regard sur l’image
Un ouvrage sur les liens entre l’image et le réel.
350 pages, 150 illustrations, impression couleur, Format : 21 x 28 cm
EAN 13 ou ISBN 9 78953 66590 12

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L’harmonie, texte de la communication fait pour la Journée internationale de la Couleur un événement BNF - CFC (Centre Français de la Couleur)

Lors de la présentation par sept membres du CFC (Centre Français de la Couleur) de leurs ouvrages dont Regard sur l’image à partir du point de vue de l’harmonie.