Cette semaine, après un processus d’élaboration de plus de deux ans, Creative Commons International a annoncé la publication de la nouvelle version 4.0 de ses licences. Framablog a déjà traduit en français un article d’une des responsables de l’organisation, Diane Peter, qui explique les principales modifications par rapport à la version 3.0 remontant à 2007. Creative Commons a travaillé par exemple pour simplifier le texte des licences afin de les rendre plus compréhensibles ; les licences auront également un effet plus global, car elles n’auront plus désormais à être transposées pays par pays et des clarifications intéressantes ont été apportées, notamment en ce qui concerne l’attribution des auteurs et l’adaptation des oeuvres.
Mais je voudrais dans ce billet m’attarder sur ce qui constitue à mon sens les deux points les plus importants à souligner dans cette nouvelle version des Creative Commons. Le premier est qu’à présent, les licences prennent en compte le droit des bases de données, ce qui les rend applicables dans le cadre de projets d’Open Data, alors que c’était difficilement le cas auparavant. Par ailleurs, la clause NC, qui permet aux auteurs de réserver les usages non-commerciaux d’une oeuvre, a été maintenue, alors qu’un débat assez vif avait agité la communauté pour savoir s’il fallait ou non la supprimer. J’étais d’ailleurs moi-même intervenu dans cette discussion côté français, pour me prononcer en faveur du maintien. Cette clause a finalement été conservée, mais sans modification, ce qui n’est sans doute pas complètement satisfaisant.
Des licences Creative Commons applicables dans le cadre de l’Open Data
Jusqu’à présent, les licences Creative Commons n’étaient pas véritablement applicables aux bases de données, du moins de ce côté-ci de l’Atlantique. En effet le droit spécifique reconnu aux producteurs de bases de données est une particularité européenne, découlant d’une directive européenne de 1996. Il n’existe pas comme tel aux États-Unis par exemple, qui considèrent plutôt les bases de données comme des compilations et les protègent par le copyright uniquement lorsqu’elles sont originales.
La démarche d’ouverture des données, qui caractérise l’Open Data, implique que les producteurs de bases expriment leur intention de permettre la réutilisation par le biais d’une licence. Dans certains pays, comme l’Australie ou la Nouvelle Zélande par exemple, le choix a été fait d’utiliser les Creative Commons au niveau des portails gouvernementaux de diffusion des données publiques.
Comme les Creative Commons ne prenaient pas en compte le droit des bases de données, la démarche a été différente dans plusieurs pays d’Europe, comme l’Angleterre, qui la première a créé une Open Government Licence spécialement pour l’ouverture des données publiques. La France a fait de même de son côté avec la Licence Ouverte/Open Licence, mise en place par Etalab qui est l’équivalent d’une licence CC-BY, mais adaptée au cadre législatif français de la réutilisation des données publiques.
Les projets communautaires ont eux-aussi parfois ressenti des difficultés dans l’utilisation des Creative Commons appliqués aux bases de données. C’est notamment ce qui avait motivé le choix de la communauté OpenStreetMap de passer en 2012 d’une licence CC-BY-SA à la licence OdbL (Open Database Licence), proposée par l’Open Knowledge Foundation et mieux adaptée aux bases de données. Cette licence, qui présente l’intérêt d’appliquer une clause de partage à l’identique à la réutilisation des données est également employée par un nombre significatif de collectivités territoriales en France, notamment la Ville de Paris qui fut la première à la retenir et qui l’a traduite en français.
Creative Commons avait jusqu’à présent peut-être mal négocié le virage de l’Open Data et cette version 4.0 va permettre à ces licences de jouer un rôle sur ce terrain. Il va être intéressant à présent de voir quel va être l’effet concret de cette modification. Le paysage français, après une certaine incertitude sur les licences qui a duré plusieurs années, s’est peu à peu structuré autour de la Licence Ouverte et de l’ODbL, entre lesquels se répartissent l’essentiel des projets d’ouverture des données. Certains acteurs vont-ils à présent opter pour les Creative Commons pour mettre en oeuvre une politique d’Open Data ?
J’aurais tendance à voir plusieurs avantages aux Creative Commons. Ils sont déjà plus connus et constituent l’un des « standards » du web. Par ailleurs, les CC sont désormais aussi bien applicables à des bases de données qu’à des contenus (oeuvres) et il est intéressant de pouvoir couvrir par une même licence ces deux types d’objets. Par exemple, imaginons un projet de recherche qui veuille ouvrir ses résultats à la réutilisation. Il pourra maintenant utiliser une seule licence Creative Commons, à la fois pour les articles ou les images produits dans le cadre du projet (oeuvres) et pour les données de recherche collectées à cette occasion, alors qu’avant il aurait fallu deux licences différentes, une pour les oeuvres et une autre pour les données.
Un point important cependant sera de comparer les Creative Commons (en particulier la CC-BY-SA) et l’ODbL pour déterminer si l’effet du partage à l’identique est le même ou non dans les deux licences. C’est une question complexe à propos de laquelle j’avoue ne pas m’être fait encore une religion.
Enfin, mais c’est essentiel, toutes les licences Creative Commons ne seront pas utilisables dans le cadre de projets d’Open Data. Les licences comportant une clause NC (Non Commercial) ou ND (Pas de modification) sont incompatibles avec une vraie démarche d’Open Data, si l’on se réfère notamment à l’Open Definition mise en place par l’open Knowledge Foundation.
Maintien de la clause Non-Commerciale, mais sans modification.
La clause Non-Commerciale, qui permet à un auteur d’autoriser via la licence la réutilisation de ses oeuvres, mais uniquement dans une sphère non-marchande, est depuis longtemps la cause de tensions au sein de la communauté de la Culture Libre. Il est vrai que ce fut un débat fondateur de l’émergence du logiciel libre que de permettre les usages commerciaux et de forger des licences, comme la GNU-GPL qui octroient et garantissent cette liberté aux réutilisateurs. Mais ce fut aussi l’une des spécificités des Creative Commons de proposer à la fois des licences libres (CC-BY, CC-BY-SA) et des licences de libre diffusion plus restrictives (CC-BY-NC, CC-BY-ND, CC-BY-NC-ND et CC-BY-NC-SA) pour fournir davantage d’options aux créateurs.