Quelle est cette saveur ? [1]
Quelle est cette résonance ? René Daumal fournit cette tentative d’éclaircissement : « La Saveur n’est pas l’émotion brute, liée à la vie personnelle ; c’en est une représentation ’’surnaturelle’’ (lokottara), c’est un moment de conscience provoqué par les moyens de l’art et coloré par un sentiment […] La Saveur est essentiellement une cognition, ’’brillant de sa propre évidence’’, donc immédiate. Elle est ‘’joie consciente (ānandacinmaya)… même dans la représentation d’objets douloureux’’, car elle n’est pas liée au monde ordinaire ; elle en est une récréation sur un autre plan. Elle est animée par l’ ’‘admiration surnaturelle’’. Elle est ’‘sœur jumelle de la gustation du sacré’’. ’’Celui qui est capable de la percevoir la goûte, non comme une chose séparée, mais comme sa propre essence’’. Elle est ‘’simple comme la saveur d’un plat complexe’’. Elle ne peut être saisie que par les hommes ‘’capables de juger’’, ayant un ‘’pouvoir de représentation’’ et elle exige un acte de communion. Elle n’est pas un objet existant avant d’être perçu, ‘’comme une cruche qu’on vient à éclairer avec une lampe’’ ; elle existe dans la mesure où elle est goûtée. ». [2]
La saveur pour exister nécessite d’être goutée, la perception visuelle est-elle une manière de la goûter ? Peut-on associer les yeux aux goûts, je ne rappelerais pas ici l’histoire des crocodiles évoqués dans Regard sur l’image p 141 mais, il semblerait qu’indéniablement, nous puissions goûter avec les yeux, la nouvelle cuisine est là aussi pour le rappeler.
« “Percevoir, c’est lire. Seul ce qui apparaît à la surface est lisible [donc goutâble]. La surface qui est configuration est connexions absolue.” [3] Cela revient donc à comprendre la nature fondamentalement expressive de l’expérience perceptive : la perception est expression d’abord en ce qu’elle est "expression du monde" [4], expression d’un sens prenant forme, bien avant le langage, dans la praxis de la plus simple perception, activité figurale et gestaltique. [5] »