Aspectivité
L’aspectivité [1] est une forme de représentation qui présente simultanément tous les angles d’un objet ou d’un personnage. Une partie du sujet sera présentée de face, tandis qu’une autre sera, simultanément présentée de profil. Ce mode de représentation remonte, au moins, à l’Égypte ancienne et ‘’précède’’ l’invention de la perspective avec un point de fuite. Totalement éloigné de cette dernière car la troisième dimension est un ‘’hors-sujet’’ pour ce mode de représentation. Ce mode diffère de la perspective en plan étagé construite par une succession de plan qui est l’une des premières tentatives de représenter la profondeur.
Contrairement à une représentation 3D qui présente à notre regard, successivement tous les points de vue sur un objet dans une rotation à l’écran liée à une durée alors que l’aspectivité est une représentation simultanée et fixe : dessin, peinture, bas-relief. Elle décrit simultanément différents points de vue sur différentes parties de la même face de la représentation. Les hiéroglyphes sont la représentation la plus connue d’un point de vue construit sur ce mode. En cela, celui-ci exclut, à priori, la photographie. Autre particularité de ce mode : l’exclusion de l’arrière-plan.
Dans l’aspective ou aspectivité (selon les sources) le point de vue principal est frontal ce qui n’exclut pas une représentation de certaines parties de profils, ainsi dans les représentations égyptiennes, le buste est frontal, tandis que les jambes et le visage sont de profils avec, éventuellement, un œil de face. Certains préfèrent parler de ce mode comme d’une forme de perception plutôt que d’une perspective. Pour notre part, nous préférons conserver le mot perspective car c’est un point de vue sur notre perception, la construction du terme aspective en miroir de perspective nous confirme dans ce choix.
Ce terme provient du mot aspect dans le sens de l’expression : « regarder une chose sous tous ses aspects. » L’aspectivité est donc un regard qui présente simultanément plusieurs points de vue sur un objet ou un personnage dans une seule perspective cependant, elle n’a rien à voir avec le cubisme, une représentation de la profondeur qui est une réinterprétation de la perspective à un ou deux points de fuite.
Au XVIIe siècle Poussin distingue l’aspect du prospect comme le montre cet extrait de sa correspondance [2] :
« Il faut sçavoir, dit-il, qu’il y a deux manières de voir les objets, l’une en les voyant simplement, et l’autre en les considérant avec attention. Voir simplement n’est autre chose que recevoir naturellement dans l’œil la forme et la ressemblance de la chose veûë. Mais voir un objet en le considérant, c’est qu’outre la simple et naturelle réception de la forme dans l’œil, l’on cherche avec une application particulière les moyens de bien connoistre ce mesme objet :
Ainsi on peut dire que le simple aspect est une opération naturelle, et que ce que je nomme le Prospect est un office de raison qui dépend de trois choses,
– scavoir de l’œil,
– du rayon visuel,
– et de la distance de l’œil à l’objet : et c’est de cette connoissance dont il seroit à souhaiter que ceux qui se meslent de donner leur jugement fussent bien instruits. »
Au vue de ces explications, on pourrait affirmer que la représentation égyptienne serait, avant-tout, basée sur le traitement mental plutôt que sur la perception directe. Le but des artistes égyptiens serait de dépeindre un objet comme il ‘’est vraiment’’, plutôt que comme il semble être. Il s’agit là d’une règle consensuelle de l’art égyptien dans son ensemble, que H. Schäfer a résumé ainsi : « The user of the « pre-Greek » method, on the other hand, aims to show things objectively as they are, or as they live in his imagination. […] he too creates order and clarity for himself in his picture, only in his case by eliminating foreshortening, shadows, and other disturbing elements » [3]
Peut-on dire que l’aspectivité est une mise en image de la langue égyptiennes, des hiéroglyphes dans la mesure où la perspective temporelle semble absente de cette langue. En effet, de nombreuses phrases sont dépourvues de verbe, ou de précision quant à la conjugaison. Et les conjonctions utilisées dans les langues européennes pour relier entre elles une proposition subordonnée et sa principale sont inexistantes.
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