Regard sur l’image

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- Image et réel (1),
Paris-Match et les soldats afghans
(nouvelle version du 3/07/09)

,  par Hervé BERNARD dit RVB

A écouter les commentaires des hommes publics français, Paris-Match commet un attentat à la décence ou un péché en publiant les photos des Talibans qui affirment être les tueurs des soldats français. Faut-il croire que publier l’image de notre ennemi est déjà collaborer avec lui et faire acte d’allégeance ? [1]

A cette première offense s’ajouterait la honte de les photographier revêtus des trophées dérobés sur les cadavres de ces dix soldats français, qu’ils auraient donc tué, jusqu’à preuve du contraire...

La détention de ces objets ne prouve pas qu’ils sont les assassins, ce n’est qu’une présomption de preuves. La preuve unique n’est pas une preuve. Il n’existe que des faisceaux de preuves. Ces objets peuvent provenir de très nombreux trafics. N’oublions pas que la vantardise est l’un des fondements du comportement humain et que la contrebande est l’un des fondements de l’économie afghane.

Porter les trophées de l’ennemi est une attitude ancestrale. Le musée du Quai Branly est plein de ces images que nous appelons totems, masques (….) construits notamment à partir d’objets dérobés à l’ennemi après ou avant l’avoir tué. Son rôle est de confirmer la mort de l’ennemi et de s’approprier ses forces et son pouvoir. C’est d’ailleurs le rôle de la réduction des têtes chez les Jivaros.

Avec ces photos, on peut se demander qui s’approprie les forces de qui. Après tout en publiant ces photos dans Paris-Match, ne sommes nous pas nous aussi entrain de tenter de nous approprier les forces de l’ennemi ou pour le moins de le rendre moins effrayant. N’oublions jamais que rien n’est plus terrifiant que l’inconnu.

N’oublions pas non plus le rôle du pillage toujours vivant bien qu’ancestral comme le montre la photo du soldat russe [2] au sommet du Reichstag. Celui-ci, dans la version originale, porte deux montres à son poignet fièrement tendu alors qu’il plante le drapeau soviétique. Photo retouchée afin de faire taire cette preuve de pillage que trop visible .

Serions nous tellement effrayés par ces « ennemis » qu’il nous faudrait censurer leur image afin d’éviter que leurs forces transportées par l’image ne nous atteignent. Croire en cela, c’est continuer à croire que la poupée ou l’image envoûtées sont identiques à la personne réelle, c’est donc croire en la sorcellerie. Par conséquent, c’est avoir un comportement identique à celui des missionnaires arrivés aux Marquises, au XIXe. Leur premier réflexe fut d’abattre les statues, de les décapiter ou les enterrer la tête en bas pour détruire leur pouvoir surnaturel. C’est encore croire comme Balzac et certaines tribus africaines que photographier quelqu’un, c’est lui prendre une part de sa force, de son individualité. De là à imaginer que cette force resurgirait à la publication de cette image et aurait la capacité de nous déstabiliser voire de nous détruire. Il n’y a qu’un pas que je n’ose franchir.

Donc ces talibans seraient moins puissants si nous ne publions pas leur photo. Comment qualifier cette information ? Serait-ce de la sorcellerie ? Je n’ose pas croire que les dirigeants d’un pays qui se dit le modèle de la laïcité croient encore en la sorcellerie…