Certains affirment que pour une image numérisée en huit bits par couleur primaire, il vaut mieux travailler dans l’espace Adobe RGB voire en sRGB. Selon les partisans de cette thèse, moins il y a de couleurs dans un espace moins, dans un encodage huit bits, le risque d’artefact est grand.
A première vue, cet argument semble pertinent puisque en huit bits, on ne peut numériser que 256 couleurs par canal. Selon ce raisonnement, si notre espace contient moins de couleurs, il y aura moins de « trou » lors de la numérisation. En effet, un artefact est généralement produit par une rupture de continuité ou par l’absence d’une couleur.
1 L’échantillonnage et quantification
Cependant cette analyse est le reflet d’une incompréhension fondamentale de l’échantillonnage. En effet, lorsque l’on numérise une image (scanne) ou une scène (photographie), il est hors de question de numériser toutes les couleurs de l’espace de référence. D’une part, il s’agit seulement de numériser les couleurs de la scène, c’est-è-dire les couleurs « utiles » et aucune scène ne couvre la totalité du spectre d’un espace couleur quel qu’il soit. Par contre, certaines scènes contiennent des couleurs qui ne peuvent pas être incluses dans certains espaces. Ainsi, une scène de nuit avec des éclairages néons rouges vermillons ou bleus vifs ne sera pas correctement retranscrites dans certains espaces couleurs comme le sRGB.
D’autre part, il faut s’entendre sur les équivoques du terme numérisation. Ce terme désigne deux étapes que nous avons tendance à confondre : l’échantillonnage et la quantification proprement dites. Le premier processus concerne la transformation des photons en un certain nombre de points d’une certaine intensité électrique. Le second correspond à l’attribution, à chacun de ces points, d’une valeur déterminée par le nombre de bits. Là où les choses se compliquent, c’est qu’un appareil peut numériser en 10 bits mais fournir un fichier sur 8 bits par couleur.
2 Tous les 8 bits par couleur ne sont pas égaux
Par conséquent, si l’expression : numérisée en huit bits par couleur désigne le processus d’échantillonnage et de quantification ou si elle désigne le fichier fournit en sortie, elle n’a pas du tout les mêmes implications.
Fondamentalement, il est essentiel que la première étape : échantillonnage-quantification se fasse sur plus de huit bits. De fait, 10 bits est un strict minimum et 12 nous paraît une nécessité. Dans le cas contraire, les risques d’artefacts sont trop importants.
Dans le cas d’une numérisation en 10 ou 12 bits, le processeur de l’outil de numérisation (scanner, appareil photo, caméra vidéo...) ou, ce qui est encore mieux, un logiciel d’ouverture de fichiers raw, ramène ces 10 ou 12 bits à huit bits pour produire le fichier. Le faire dans un logiciel comme Adobe Camera Raw ou encore celui du constructeur de l’appareil, permet de faire cette réduction visuellement et donc de choisir les parties de la courbe de contraste (gamma) sacrifiées ainsi que l’intensité de la vibrance-saturation dans un processus d’interprétation de l’image similaire au tirage d’un négatif.
Prendre la décision à la place de la machine vous permet de mieux construire votre image. D’autre part, dans ce cas, sauf choix extrême, comme l’expérience le montre, aucun artefact n’apparait dans l’image même si ce fichier est ultérieurement compressé.
Dans le second cas, si le capteur travaille directement en huit bits, c’est la machine qui choisit les “ sacrifices ”. Cependant, en fonction de la courbe de contraste utilisée les pertes seront plus ou moins grandes. Et plus celle-ci sera douce meilleur sera le résultat.
3 Le rôle de la perception
Comme nous l’ont appris les impressionnistes, le pouvoir séparateur de l’œil est tel que plusieurs points de couleurs différentes forment, visuellement, une seule couleur. Donc, d’un point de vue perceptif, le nombre de couleurs contenu dans une image, compte-tenu de ce pouvoir séparateur de l’œil, est probablement bien inférieur au quart de la définition de cette image.
Par conséquent, à notre sens, pour une image de 4000 x 4000 pixels, soit 16 millions de points, selon cette hypothès e—plutôt optimiste sur les capacités de discrimination de l’œil— on ne collectera, au grand maximum, que 4000 couleurs visibles dans cette image que l’on soit en sRGB ou en ProRGB. Dans les deux cas, cette quantité de couleurs est largement inférieure aux fameux 16 millions de couleurs numérisables en huit bits par couleur. Conséquence, quelque soit l’espace, en théorie, huit bits devraient suffire à numériser les couleurs d’une image fixe et à plus forte raison d’une image vidéo même en HD. C’est pour cela qu’à notre sens, l’étendu de l’espace couleur n’a rien à voir avec l’apparition d’artefacts. Ceux-ci proviennent probablement d’une mauvaise numérisation, d’un gamma trop important ou encore d’une compression trop forte.
4 Le rôle de l’espace couleur
Par contre, comme le montre l’illustration, il est important de travailler avec un spectre le plus large possible afin de rendre au mieux l’amplitude du spectre de la scène. Ainsi, pour reproduire les nuances d’un vert néon ou d’un bleu électrique, il est nécessaire d’utiliser un espace comme le ProRGB, le sRGB ou l’Adobe RGB ne peuvent retranscrire ces couleurs. D’autre part, la conception de l’espace sRGB comme celle de l’Adobe RVB est entachée d’une grave erreur du point de vue de la reproduction imprimée, leur contraste est de 2,2 alors qu’un papier comme le couché brillant (papier haut de gamme pour l’impression offset) ou encore un papier photographique ne peuvent pas reproduire un écart de contraste supérieur à 1,8 ; écart qui correspond à celui du ProRGB. Par conséquent, avec les espaces Adobe RVB et sRGB, le risque de provoquer des artefacts lors de la conversion RVB – CMJN n’est pas nul.
Par ailleurs, dans le cas d’un fichier sRGB en huit bits par couleur, on peut raisonnablement penser que, pour les couleurs situées en bordure de l’espace, certains filtres de correction provoqueront l’apparition d’artefacts en raison des erreurs d’arrondis ou par la fabrication de couleurs situées hors de l’espace utilisé si l’on travaille dans ce type d’espace. Bien entendu, dans ce dernier cas, ces couleurs sont automatiquement ramenées dans l’espace d’origine par l’intermédiaire de LUT (table de conversion des couleurs) mais elles deviennent au mieux des couleurs apparentées à la couleur calculées et au pire des fausses couleurs. Bref, dans les deux cas, elles fabriqueront des artefacts.
Certes, le ProRGB est difficile à convertir en CMJN car il est beaucoup plus vaste et crée des bleus qui n’existent pas dans ce dernier espace mais, la photo couleur a toujours produit des couleurs non imprimables en impression quadrichromique. D’autre part, aujourd’hui comme hier, une photo n’est pas seulement destinée à être imprimée en offset, elle est aussi destinée à des tirages argentiques ou à des tirages sur des traceurs six ou huit couleurs voire à être projetées et cette dernière technique de diffusion est entrain de renaître avec le développement des projecteurs 2 ou 4 K. Et les supports argentiques, tout comme les supports jet d’encre couvrent un espace largement supérieur au sRGB ou à l’Adobe RVB
L’espace sRGB et le SMPTE de la télévision SD (espace colorimétrique de la télé) sont identiques et c’est là que réside l’un des autres défauts essentiels du sRGB. Par ailleurs, la vertu essentielle du sRGB et de l’Adobe RVB est de se convertir quasi automatiquement en CMJN.
Cependant, si, Picasso avait pu lire mes propos, il les relativiseraient probablement ainsi :
« En réalité on travaille avec peu de couleurs. Ce qui donne l’illusion de leur nombre, c’est d’avoir été mises à leur juste place. »
Conversations avec Christian Zervos, 1935, dans Cahiers d’art
© Hervé Bernard 2015-2016
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