Parler des algorithmes et de l’image, c’est finalement décrire l’ensemble des processus et des procédés qui permettent à un appareil de fabriquer des images. Car, et cet entretien le montre avec justesse, l’image photographique, réalisée en particulier avec un téléphone portable, est le résultat d’un ensemble complexe de calculs et en rien une capture de la réalité. C’est la convergence entre des données relevant de champs extrêmement divers (mathématique, propriétés des matériaux, optique, physiologie, biologie, neurologie, etc...) qui permet à un appareil qui n’est lui-même qu’une partie d’un appareil englobant d’autres fonctions de fabriquer des « images ».
Cet entretien répond ainsi de manière sous-jacente, à la question, si vaine mais qui a été et est encore au cœur de polémiques violentes, de la différence entre image numérique et image argentique.
Les images numériques proposées par un téléphone portable en particulier permettent définitivement de balayer l’idéalisme de l’instant décisif. Ce qui fait que la photographie doit être distinguée de la croyance qu’a parfois encore celui qui a le doigt posé sur le déclencheur d’en être le véritable auteur. En effet, plus nous allons vers une image produite automatiquement, moins l’implication du photographe est importante. Ce qui prime, dans ce cas là, dans la fabrication et donc le résultat, c’est le travail de l’équipe de programmeurs et de techniciens qui a conçu l’appareil photo.
Il en va ainsi du fameux fichier raw, considéré, par analogie, comme le négatif d’une photo numérique. En effet, dans ce fichier le rôle de calculs ayant lieu dans l’appareil en fonction de programmes divers est supposé être nul ou presque.
Mais cela ne rend pas pour autant plus vrai le fichier raw, au sens où on l’entend dans l’approche traditionnelle de l’image photographique depuis sa naissance.
Grâce à des entretiens comme celui-ci, une nouvelle ère s’ouvre dans l’analyse et la compréhension du statut des images. On ne peut plus occulter le fait qu’elles sont, tout comme l’image argentique, de part en part fabriquées. Par un subtil effet de feedback d’arguments incontournables, une révision complète des théories de l’image est possible et l’abandon définitif de certaines d’entre elles passaient et passent encore dans certains « milieux » pour des vérités éternelles, devient enfin envisageable.
L’analyse des images devrait connaître aussi sa nuit du 4 août.
Qui en effet « sait » exactement ce qu’il se passe dans son appareil qu’il soit uniquement photographique ou aussi téléphonique, lorsqu’il fait, comme on le dit si mal finalement aujourd’hui, une photo ?
Frédéric Guichard nous entraîne dans une sorte de visite guidée des « entrailles » informatiques de nos appareils. Alors, médusés nous le sommes, moins par les beaux résultats, les images parfaites ou presque que nous avons prises, que par le fait qu’une image est avant tout le résultat du travail informatique et algorithmique effectué par les programmes que les fabricants ont installés dans les appareils.
Avec le chiffre de 2000 opérations par pixel sur chaque image qui en comprend quelques millions, on prend la démesure de ce qui se passe dans les fractions de secondes durant lesquelles l’image se fait. Ainsi, selon Udi Manber et Peter Norvig, deux directeurs de la recherche chez Google : "La puissance du temps de calcul nécessité par une recherche Google à l’heure actuelle correspond à celle nécessaire à l’ensemble du programme spatial Apollo, qui a duré 11 ans et a lancé 17 missions".
Mais la relation entre programme et photographe a beaucoup évolué puisque l’on tente d’intégrer aux programmes ses intentions, de les deviner, des les anticiper. C’est le traitement numérique de l’image qui fait la différence et autour duquel les grandes marques se livrent à une concurrence acharnée.
Il y eu le temps où l’on travaillait exclusivement sur la définition des images. Est arrivé le temps où l’on travaille sur les formes au moment même où elles sont captées.
L’appareil bientôt reconnaîtra l’objet ou le visage que vous photographiez avant de l’enregistrer et le modifiera en temps réel en fonction de paramètres culturels implicites ou explicites aussi divers que variés.
Mais qui les déterminera ?
Et dans quel but ?
Nous le pressentions. Aujourd’hui nous le savons. En tant que commanditaires de ces programmes puisque nous les désirons et les acceptons avec joie quand ils nous sont proposés, nous en sommes les auteurs. Mais aujourd’hui nous travaillons à annuler la distinction entre ce qui autrefois relevait de l’objectivité et de la subjectivité. En effet, nos intentions sont désormais partie intégrante des programmes comme les choses que nous visions pour les photographier étaient donc avant le déclic, déjà dans nos intentions.
Avant même d’exister chaque image est le fruit d’un traitement informatique bien antérieur à celui auquel nous nous adonnons ensuite avec nos ordinateurs, et c’est ce traitement qui constitue l’enjeu majeur de la recherche pour les fabricants d’appareils photographiques.
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