Regard sur l’image

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- Si j’avais 4 dromadaires

,  par Hervé BERNARD dit RVB

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Regard sur un regard regardé
De la photo comme d’une chasse tel que Chris Marker prétend la définir au début de ce film pour nous faire comprendre que, finalement, ce n’est qu’une trace d’événements, de regards et que la chasse n’a rien à comprendre de la trace du regard car Chris Marker est l’homme du temps qui passe.. Cette fiction d’un temps identique aux quatre coins du monde, d’un coucher de soleil simultanée dans le monde entier. Cette fiction d’un regard d’une ironie désabusée qui nous donne à voir tendrement la naissance d’une mondialisation à venir.. « […] au sommet de l’utopie humaine : vaincre le Temps là où ses blessures sont le plus irréparables […] », cette citation de Chris Marker, [1] pourrait être soit l’exergue de ce film soit la conclusion.

1 Le château-monde
Ces quatre dromadaires que l’on ne verra à aucun moment sont la trace d’un regard qui se dit aller du coq à l’âne alors qu’il nous place au centre de la toile du regard pour nous montrer que l’image est cette trace car elle appartient au monde du double. N’y voyait aucune duplicité, Chris Marker parle ici du double de la répétition.
Un regard sur la fin de l’illusion soviéto-communiste à travers les traces de l’Orthodoxie et les prémisses de ce qu’aujourd’hui on peut appeler le capitalisme triomphant qui nous montre notre aveuglement face à cette évolution.
En suivant un improbable fil Chris Marker réussit à parcourir le monde d’une improbable mondialisation naissante en bouclant une boucle qui part de Paris pour revenir à Paris et nous montrer ainsi que Paris n’est plus l’île de la Cité.
Bien entendu, l’on pense au Château de Kafka. Kafka dont, la première nouvelle conservée (Description d’un combat [2] (1909)) fut auparavant le titre d’un film sur Israël (1960).

2 Le Jardin-bascule
De l’éducation des hommes et du jardin comme lieu d’éducation mais est-ce le jardin de Voltaire ? Non, il s’agirait plutôt de la loi du jardin en opposition à « La Loi de la Jungle » À moins que cela ne soit le jardin d’une enfance impossible, celle de l’enfance au travail, celui de l’usine, celui de la mendicité... Ces jardins qui nous donnent les traces d’hommes devenus impossible à identifier parce que devenus d’illustres inconnus. Quand à l’éducation, ce n’est point celle de Jean-Jacques, celle d’une enfance universelle et universellement merveilleuse.

Du jardin au progrès et à la richesse, un chemin parcouru, on ne sait pas bien dans quel sens dans un futur parcouru dans un hommage à la personne humaine disparue. Une quasi-absence de la musique excepté quelques moments où sa stridence toute contemporaine trace le chemin d’une inhumanité remarquable compensée, on croit pouvoir le supposer par la femme et le désir de la femme à moins que cela ne soit son désir . Ce qui pourrait démentir notre référence à l’absurde kakfkaien.

Un écho final « Les statues meurent aussi ... » même si entre-temps, ces statues ne sont (ou ne deviennent que) que des photos de l’Homme contemporain qui sont jetées dans La Jetée d’un autre film de Chris Marker qui d’écho en écho d’un absurde simiesque hommage à Brassai détruit par un bonheur indicible.

3 Final
Chris Marker démontre dans ce film que le cinéma est le lieu possible d’une philologie de l’image et d’une interrogation sur le monde. Qu’elle est possible sans écarter l’émotion même si celle-ci est contenue ; contenue dans les images dans les deux sens du mot contenu et jamais exprimée dans le verbe. Et, si finalement, ce film était la suite de «  Nuits et Brouillards » d’Alain Resnais et d’ [3]. Après tout, Chris Marker y fut le premier assistant de Resnais.

Crédits
Réalisateur : Chris Marker
Images : Chris Marker
Montage : Chris Marker
Son : Antoine Bonfanti
Musique : Lalan, Trio Barney Wilson
Narration : Pierre Vaneck, Nicolas Yumatov, Catherine Le Couey
Production : Norddeutscher Rundfunk, Apec, Iskra