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- Confessions d’une enfant du siècleEntretien de Jeanne Suspuglas avec Jean-Louis Poitevin

,  par Hervé BERNARD dit RVB, Jean-Louis Poitevin, philosophe, critique d’art, romancier

Entretien Jean-Louis Poitevin, image et montage Hervé Bernard
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Jeanne Susplugas exposait, expose et exposera au printemps et tout l’été à Versailles à la Maréchalerie, à l’École des beaux-arts et à Paris, à la galerie Vivo Equidem. C’est à la Maréchalerie que nous l’avons rencontrée et filmée « sous » et « dans » son œuvre, une sculpture installation aux ramifications multiples dont elle nous livre ici, dans la première des quatre parties de l’entretien, une lecture tout à fait éclairante mais aussi singulièrement inquiétante.

Injonctions paradoxales

Au centre de ses préoccupations, comme artiste, et comme personne, il y a nos comportements, nos attitudes, notre manière de nous saisir des choses qui nous entourent, comme les objets qui peuplent notre quotidien. Mais aussi et surtout, ce qu’elle questionne parce que cela au fond lui semble pour le moins paradoxal, ce sont les « raisons » pour lesquelles nous agissons ainsi que nous le faisons.

Le monde dans lequel nous vivons est fait d’injonctions multiples et tout à fait contradictoires, soit d’un point de vue purement logique comme le montrent les publicités qui invitent à manger mais sont accompagnées de recommandations pour ne pas trop manger, soit d’un point de vue organisationnel qui par leur accumulation les rendent inopérantes ou impossibles à suivre.

Bref, nous existons dans un monde schizoïde, nous sommes les sujets du règne du double bind autrement dit de la double contrainte ou des injonctions paradoxales que Bateson et Watzlawick ont théorisé dès les années cinquante. C’est à notre réceptivité aux injonctions multiples et contradictoires qui composent, enveloppent et déterminent à la fois la réalité et notre relation à elle que s’adresse Jeanne Susplugas. C’est à rendre consciente la part non perçue de notre obéissance qu’elle travaille. C’est à nous replonger à partir du champ fictionnel qu’elle met en scène dans le bain fictif de la réalité dans laquelle nous évoluons.

C’est en ce sens et en d’autres que nous découvrirons dans les épisodes suivants qu’elle est une enfant de ce siècle en proie à des soubresauts manifestes mais aussi parfois indéfinissables.

© Jeanne Suspuglas

La maison
La maison est au centre des préoccupations de Jeanne Susplugas et cela depuis ses débuts, quand elle a recouvert les murs d’une pièce d’emballages de médicaments, révélant ainsi à ceux qui y pénétraient le voile d’addiction dans lequel à bien y regarder, tous nous vivons. Aujourd’hui elle en donne une version qui impressionne à la fois par son ampleur et son lien avec le mystère de cette inquiétante étrangeté qui nous habite et nous ronge. Accrochée au plafond, la maison est le point de départ de liens, des fils de longueur variable auxquels sont accrochés des objets réalisés à une échelle plus grande que leur taille dans la réalité et qui pendent entre ciel et sol.

En fait, il s’agit d’une tentative de rendre compte d’une sorte d’enquête sociologique qu’elle a menée auprès d’amis ou de gens divers, et qui prenait la forme simple d’une question : quels sont les objets que vous emporteriez si votre maison brûlait ? Le résultat peut sembler étrange tant les objets retenus sont banals et parfois inattendus, comme le sac, les chaussures, le maillot de bain ou les médicaments.

Mais ce qui compte ici est autre, c’est l’histoire que, selon la formule consacrée, chacun peut « se » raconter ! Et c’est là que les choses prennent consistance. En effet, nous sommes uniques mais nous sommes aussi formés et formatés par le monde dans lequel nous vivons. C’est à saisir les points d’articulation entre ce qui est unique en nous et ce qui en nous répond aux injonctions de la société qu’elle travaille. C’est à participer au questionnement sur les formes de la subjectivité qu’elle travaille. C’est à nous conduire à voir combien en pensant être nous-mêmes nous jouons des rôles que d’autres jouent comme nous à la fois au sens où ils jouent aussi, mais au sens où ils jouent les mêmes rôles.

Mais, il y a plus. Cette maison qui est donc à la fois une maison rêvée et une maison « symbole », concentre les éléments les plus signifiants et ce ne sont pas ceux que l’on croit. En effet, cette maison lorsque l’on écoute Jeanne Susplugas en parler, est un lieu inquiétant profondément inquiétant. Elle est comme hantée par des mémoires multiples, des strates de mémoires, des nœuds d’ambiguïté, des sources de conflits, et finalement des secrets.

Et c’est là qu’elle nous conduit, au seuil du secret, devant la porte, nous mettant face à cette tentation immémoriale de regarder ce qui se passe à l’intérieur par le petit trou de la serrure. Car ce qui est le plus manifeste ne devient évident qu’après coup : la maison accrochée au plafond est inaccessible et ce lieu de l’intériorité se révèle être celui du mystère et le cœur battant où s’accumulent les influences du monde et donc les injonctions dont nous inonde la monde qui nous entoure.

Ici la maison est comme en train de dégorger par objets interposés le trop plein du dehors et se révèle ainsi comme nous le verrons par la suite à la fois hantée et dangereusement vide, ou si l’on veut hantée par un vide qui prenant la forme d’un gouffre psychique est susceptible d’engloutir et notre corps et nos rêves.

C’est une nouvelle forme de subjectivité ou plutôt de subjectivation que Jeanne Susplugas nous fait découvrir car pour elle "je" n’est pas tant un autre que ce qui se forme au croisement des attentes et des messages émis par un grand dehors lorsqu’il vient buter, non sur une âme à modeler, mais sur un mur qui renvoie les ordres et les images mais en garde les traces comme si elles étaient des souvenirs n’appartenant à personne.

Le petit théâtre du corps

Nous pensons que nous existons comme une entité autonome capable de traiter les informations que le dehors, le monde extérieur, nous envoie en permanence pour nous l’approprier et poursuivre l’élaboration de nous-mêmes dans un processus à la fois permanent, infini, variable, et porté par la garantie que de suivre le programme ne nous conduira pas à notre perte. Nous sommes comme sauvés par avance en ce sens qu’en suivant les règles nous nous sentons en quelque sorte assurés de ne pas nous détruire.

Jeanne Susplugas qui a épousé son époque avec plus d’élan que beaucoup, se livre sans fard dans la seconde partie de cet entretien. Ses aveux révèlent moins des secrets cachés que le secret le mieux protégé par des intérêts divers : la forme sujet ou si l’on veut, le moi est une coquille vide et une structure qui ressemble plus à un double « mur » qu’à une enveloppe. Imaginons une « image » pour décrire le sujet : il serait une sorte de feuille de métal en forme de v à la fois fine et solide, lourde et résistante, capable de recevoir les bombardements d’informations en provenance du monde et par sa structure même de les retourner à l’envoyeur. Ce que l’on tient pour l’intériorité ne serait que l’autre face de la feuille-mur, celle qui reçoit les informations en provenance de l’autre côté du monde, autant dire du corps qui est aussi extérieur, entendons inconnu à chacun, que ne l’est le dehors.

En évoquant les rituels du quotidien et en les qualifiant d’ennuyeux, de lourds à porter, voire d’angoissants, elle indique que ce que le monde de la marchandise reine et des médias rois, c’est-à-dire le nôtre, accomplit, c’est une révélation paradoxale : ce que l’on a longtemps privilégié et conçu comme le lieu et du secret et de la vérité parce qu’il était à la fois en relation directe possible avec le divin et le lieu dans lequel ce divin pouvait venir déposer ses messages, ce moi donc, n’est qu’une surface sur laquelle plus ou moins au hasard s’impriment des traces sans qu’aucun principe de cohérence ne préside à leur recueil. Ce qu’il appelle dehors est ce qui lui vient du monde extérieur, ce qu’il appelle dedans, est ce qui lui vient de l’autre dehors qu’est corps.

Chacun de nous est une sorte de marionnette qui subit les assauts des informations envoyées par les deux côtés ou les deux instances, les unes ayant pour but de contenir les débordements de l’autre et les autres de se conformer aux exigences de l’un pour pouvoir continuer d’exister.

À certains moments, les accents troublés de Jeanne Susplugas nous conduisent à nous voir enfin pour ce que nous sommes, des jouets aux prises avec des voix qui toutes viennent d’ailleurs. Ce que l’on pourrait tenir pour la « nôtre » de voix, n’est qu’un vague filet de oui et de non qui s’enchaînent à grande vitesse et ne produisent pas de discours véritablement construits, sinon ceux qui permettent comme un cycliste qui ne veut pas mettre pied à terre, d’osciller entre oui et non pour ne pas tomber.

© Jeanne Suspuglas

Entre les rituels du quotidien imposés par le corps ou par les injonctions de la société, entre le temps qu’il faut « resserrer » pour ne pas crouler sous l’obéissance active aux injonctions et l’accumulation de petits riens qui deviennent un grand tout, car malgré tout on finit toujours par dire oui à plus d’activité qu’il n’en faut, on voit mal en effet ce qu’il reste pour que l’intériorité puisse exister autrement que comme ce plus petit dénominateur commun de proximités entre acceptations des injonctions du soi-disant dehors et celles du soi-disant dedans. Nous sommes une surface double d’inscription et les plis possibles ne sont que dessinés sur ces surfaces. Il n’y a là aucun creux où se logerait notre secret comme entité vivante. Si nous en avons un, c’est sous la forme d’un palimpseste qu’il se manifeste ou d’une vieille cicatrice douloureuse.

Car le corps est traversé par des accents, des intensités et tout accent signale une forme de pathologie au sens où il résulte d’un « son » poussé en intensité. Ceci nous conduit d’un changement de degré à un changement de nature. S’il fallait indiquer ce qui confirme cette non-existence d’une coquille comme lieu de recueil de notre intériorité, l’aspect donc fallacieux d’une métaphore ancienne et désormais usée, c’est cette manière que Jeanne Susplugas a de nous indiquer en quoi, soumis en permanence à des injonctions en si grandes quantités, nous ne pouvons pas faire autrement que résister pour exister encore et ne pouvons plus donner forme à cette coquille, réceptacle et abri, qui jusqu’alors était à la fois le produit du travail sur soi et le lieu où il se révélait à nous-mêmes.

Elle nous montre comment, le moi n’étant que construction, il peut changer et de forme et de statut lorsque les modalités du « faire » changent.

Pharmakon
Le pharmakon a connu depuis le grand texte de Jacques Derrida intitulé La pharmacie de Platon et aujourd’hui sous la plume de Bernard Stiegler, une gloire théorique importante. Fille de chercheurs en pharmacie ayant elle-même eu à subir une sorte d’erreur de diagnostique qui faillit lui coûter la vie, Jeanne Susplugas sait combien ce qui peut sauver peut aussi tuer. Le curseur est donc le témoin de changements d’intensités pouvant devenir des changements de nature et le vecteur de leur accomplissement.

Alors quelque chose se manifeste, mais de manière aléatoire et clignote sur l’écran invisible qui nous enveloppe et sur lequel se réfléchissent nos dérives, nos angoisses, nos passions et nos rêves. C’est d’un côté l’ordre absolu tyrannique où seraient rois des corps ayant pu passer le test de la soumission constante aux injonctions sans faillir. C’est d’un autre côté notre part sombre, celle où se révèle ce qui est sans doute le secret le mieux gardé et dont toute croyance est le dépositaire perverti, le fait que la confiance, ce par quoi l’autre vient à nous comme sauveur et nous à lui aussi comme sauveur, que cette confiance donc est non seulement fragile mais en fait si friable qu’on se demande comment on a pu y croire, entendons croire qu’elle pouvait même exister.

La servitude volontaire trouve ici sa source majeure dans le fait qu’il est impossible de garantir que notre confiance ne sera pas trompée, que l’autre qui était notre ami, entendons notre médicament bienfaisant, ne va pas devenir d’un jour à l’autre, d’un instant à l’autre, notre plus mortel ennemi, ce pharmakon qui nous empoisonne et n’aura de cesse de nous voir souffrir de sa trahison. Gloire de l’amitié trahie et de l’amour piétiné que de révéler une des vérités les plus destructrices au sujet de notre situation dans le monde.

Il ne reste plus, pour faire face, qu’à chercher à comprendre ce qui s’inscrit sur nous malgré nous, venant du dehors ou de cet autre côté dont on sait qu’il n’est plus possible de l’appeler intériorité mais au mieux notre face sombre. Sur la face sombre, en effet, le grimoire de la confiance peut être raturé d’un coup de griffe voire réduit en cendres d’un baiser trompeur.

Jeanne Susplugas a choisi de faire de l’art et d’inscrire sa pratique dans ce champ qui, interrogeant les formes de la confiance, décrit à la fois la manière dont nous subjectivons aujourd’hui, dont nous inventons donc, un moi sans intériorité, et celle par laquelle nous existons en oscillant en permanence entre réparation impossible et mise à nu. Ceci n’a pas d’autre effet que de nous plonger dans une souffrance où la honte même est comme devenue irréelle.

Être artiste
En abordant la question relative au fait d’être artiste, Jeanne Susplugas prolonge ses réflexions sur le statut de la subjectivité et permet de mieux comprendre l’équivalence qu’elle pose entre sujet et maison. Pourtant les choses ne sont pas si simples. Après avoir raconté comment elle conçoit son travail, comment elle active le champ des relations sociales pour en faire le moteur de ses œuvres, elle ne cesse de passer d’un bord à l’autre d’un doute existentiel singulier. En effet, plus on tente de creuser ce qui est censé constituer le monde intérieur, plus apparaît le fait qu’il est rempli de choses qui proviennent du dehors, de la réalité sociale, de celle du travail, de la consommation et des actions, des paroles des autres.

Et à l’écouter quelque chose apparaît, une sorte de phénomène étrange quelle décrypte et qui est comme le cœur de son travail. Ce phénomène l’affecte quoiqu’il ne semble guère se manifester de manière très visible et pourtant le trouble est là. C’est à partir de ce trouble, un trouble qu’elle ne cesse de ressentir, même si on a aussi l’impression qu’elle le cherche et même qu’elle travaille à le faire exister, qu’elle crée. Ce phénomène tient en ceci que tout ce qui dans notre vie évoque ou nous permet de connaître des moments de réconfort, de calme, de douceur, de paix, bref de sécurité, tous ces moments semblent hantés, on pourrait dire mités par leur contraire.

En effet, le monde de Jeanne Susplugas est traversé de part en part par une angoisse si prégnante, si présente, si indélébile qu’on finit par se demander si l’œuvre ne tend pas plus à la « recouvrir » qu’à « l’exhiber » tant, si elle se laissait aller à dire les choses telles qu’elle le vit, nous exploserait au visage cette angoisse qui alors nous « tuerait ».

Alors que faire ? Baudelaire, encore et toujours, qui dans Le voyage lançait : « Faut-il partir, rester, si tu peux rester reste, pars s’il le faut.... », nous donne à entendre le balancement qui est le tangage inévitable au gré duquel se meut chaque vie.

Ce balancement est une oscillation permanente entre des pôles qui peuvent se formuler ainsi : l’enfermement ou la fuite, l’excès ou la soumission aux dictas du bien-être, le plein ou le vide, la soumission aux règles sans récompense ou la désobéissance avec risque de ne désobéir à rien.

Les œuvres de Jeanne Susplugas qui se déclinent sous de nombreux supports sont la manifestation de cette angoisse que comme elle nous repoussons pour ne pas sombrer. Par contre ce qu’elle rend visible et audible dans ses œuvres, c’est que notre intimité est si poreuse, le dehors si présent en nous, qu’il n’est aucun refuge dans lequel nous pourrions nous retirer en espérant échapper à la douleur et à la duplicité. Alors, comme elle nous le montre avec au fond une certaine violence, nous oscillons, passant d’un bord à l’autre et ainsi avançant sur le chemin de la vie.

Fiction - Réalité
Et cette fiction si elle se nourrit de celle des autres – comment pourrait-il en être autrement ? - elle n’en constitue pas moins un univers en soi, une sorte d’île ou d’îlot, de bulle. Cette bulle est certes poreuse, parce que chacun est en contact avec le monde, les autres, les choses, mais ce qu’on appelle d’un mot vengeur et si inexact la réalité et que certains tentent d’imposer comme seule mesure du vrai et qu’ils nomment eux le réel, cette bulle n’en est pas moins increvable dans tous les sens du terme, elle peut enfler ou fondre, elle constitue qu’on le veuille ou non à la fois la forme de notre intériorité, le nom de notre individualité et, paradoxe des paradoxes, le dehors inaccessible tant à nous même qu’aux autres puisqu’il est dans cette bulle à la fois cette bulle même, l’air qui s’y trouve pris et les mots que produisent notre corps et notre cerveau, habitant unique et multiple de cette bulle.

C’est de cela dont est consciente Jeanne Susplugas, c’est cela qui constitue le coeur de sa réflexion et de sa pratique artistique, la mise en scène de cette situation confuse et pourtant limpide qui fait que nous sommes et producteur de la bulle et prisonniers de cette même bulle et ouverts sur le dehors et prisonnier du dehors qui est « en » nous et cela parce que ces « réalités » sont nous affirmerions sous la torture qu’elles existent vraiment ne sont que des construction verbales, que des inventions, que des mots mis bout à bout et formant une image cohérente de ce que nous tenons pour vrai !

Vue sous cet angle, la maison qui est le motif, le mobile et le moteur de cette oeuvre, apparaît comme une version tout à fait juste de cette « bulle » qui nous enveloppe qu’on soit présent en elle qu’on la regarde du dehors ou qu’on prétende n’en avoir pas.

En comparant une exposition à un livre, en affirmant que tout dans la vie et donc toute la vie n’est que théâtre, en évoquant le pharmakon, à travers une expérience vécue qu’elle a su transposer à tous les niveaux de l’existence, en évoquant aussi l’enchainement des histoires comme la dimension même dans laquelle finalement chacun de nous existe, Jeanne Susplugas met en place une boucle de rétroaction qui la pousse à interroger les autres pour tenter de comprendre comme chacun de nous et elle compris fonctionnons.

Alors on commence à entrevoir une réponse possible à cette question qui légitimement la taraude, celle de savoir à quoi l’art peut bien servir ?

Et encore une fois la réponse vient des mots, par les mots, ceux des histoires qu’elle « se » raconte, ceux des histoire qu’elle demande aux autres de lui raconter, celles qu’elle invente pour rendre la réalité qu’elle découvre au Japon ou ailleurs compréhensible au moins a minima et parfois tout simplement acceptable. Mais ces mots, elle est capable de les convertir en gestes, en éléments plastiques en éléments visuels, en textes en vidéo en céramiques offrant à nos esprits un peut trop inattentifs ou apparemment incrédule la confirmation à la fois désirée et repoussée du fait que nous sommes des êtres singuliers sur cette terre puisque, quoique que l’on en ait, notre nourriture première, ce sont les mots et par les mots les histoires qu’on nous raconte qu’on se raconte qu’on écoute ou qu’on lâche dans l’atmosphère comme des ballons ou des bouées sauvetage sans savoir si ainsi on cherche à sauver quelqu’un d’autre ou soi-même !

La maison rose, qui relie enfance et réflexion sur la sexualité des enfants, la maison malade ou celle qu’elle a construite pour la Maréchalerie, chacun de ces maisons raconte l’angoisse qui est la nôtre et pas seulement la sienne, celle d’être enfermé dans une maison dans cette maison n’importe laquelle dans « sa » maison !

Et finalement on finit par le comprendre, entendons par l’accepter comme une évidence douloureuse mais salutaire, nous vivons enfermés nous sommes les prisonniers volontairement involontaires de notre relation aux mots, aux histoires, et chaque maison témoigne de cela et chaque humain témoigne de cela, que la vie est un enfermement avant d’être un enfer et que si l’on s’ingénie avec tant de jouissance à en faire justement un enfer c’est que l’on tente par tous les moyens de faire éclater la bulle et cela à n’importe quel prix !

Et le prix est aussi immense qu’infini puisqu’il s’agira encore et encore de (se) raconter des histoire au moment de négocier le prix, celui de la maison qu’on vend, celui de celle qu’on achète, celui de la première comme de la dernière demeure !

- Valérie Knochel Abécassis, Entretien à propos de La Maréchalerie