« Écrire avec les yeux » est mon métier. Artiste visuel, j’associe la photo, la vidéo, la sculpture, l’écriture. Je ne reproduis pas le réel, j’essaye de révéler des points de vue. » Mon parcours est construit sur deux axes qui s’interpénètrent et se structurent. Le premier concerne mon activité de plasticien : photos, vidéos, films et sculptures.
Le second est celui de l’iconologie, de la théorie de l’image. Cet axe est construit sur une conception large de l’image. A mon sens, l’image n’est pas seulement picturale. Par conséquent, un uniforme de police, un algorithme, ... sont des images. »
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Ces deux questions architecturent mon travail. Elles sont nées autour d’un mantra paternel. En effet, mon père a passé mon enfance à me dire « Pourquoi ne peux-tu pas faire comme Toulemonde ? ». L’ironie de la chose est qu’il cessa le jour où je lui rappelais que c’était le nom de sa mère. En fait, ces deux questions n’en font qu’une : qu’est-ce qu’une image ? et celle-ci est au cœur de mon travail.
La famille nous donne une image. Elle nous voit, nous fait à son image. Cette image, pour créer notre famille d’images, nous la déconstruisons. Aucune nostalgie dans cette déconstruction, aucun retour en arrière, bien au contraire, les images de cette déconstruction sont un point d’appui pour aller de l’avant. La Sainte Famille rewind-fastforward – souvenirs est un grattage-frottage de la mémoire, un peu à la manière de Max Ernst et ses grattages de bois avec sa mine de plomb HB et soudain apparaissent de nouvelles images. À quoi ressemblent-elles, que représentent-elles ? Ces images sont-elles du passé simple, du futur antérieur ou une simple contemplation de ce temps révolu ?
La photo de ‘’ la boule de marbre bleue ’’, ce nouveau paysage du xxe siècle est, par excellence, l’image qui pose la question de la représentation et de la ressemblance. Au XXe siècle, cette image est la métaphore de la plus grande mutation de la pensée occidentale. La première fois que j’ai vu les images de la terre photographiée depuis un satellite reste inoubliable, c’était dans Paris-Match, dans la seconde partie des années 1960. Immédiatement, comme de nombreuses personnes, probablement frappé par sa beauté, quelque chose pris naissance, cette impression de fragilité, un peu fugace au départ, qui s’est renforcée au fil du temps, avec la découverte, à la télévision des images filmées depuis Apollo. Dans ma mémoire, ces deux instants ne font qu’un : le choc de la révélation !
Plus largement, cette image modifia notre vision de Gaïa, notre Maison. Ce changement de point de vue a transformé le grand tout en un petit tout. Et cette photo, j’ai eu la chance d’assister à sa réalisation, comme la moitié de l’humanité et c’est son autre particularité : être une des premières icônes fabriquées en direct.
Après, il y a ‘’ 2001, l’Odyssée de l’espace ‘’ de Stanley Kubrick, vinrent ensuite les photos prises depuis la navette spatiale qui ne firent que renforcer ce sentiment. Cette succession m’a conduit à créer Scénario pour Gaïa, une série construite autour de la boule de marbre bleue pour inventer un ensemble d’images symboliques des thématiques environnementales.
Zoom avant, dans la continuité de cette exploration du paysage : il y a l’eau. L’eau, essentiel composé de la surface de la boule de marbre bleue. De la qualité du paysage dépend la qualité de l’eau. À travers L’Écume de la Terre, je souhaite révéler la réciprocité du lien paysage-eau. À plus d’un égard, l’homme et ses productions sont L’Écume de la Terre. Cette écume capable d’inventer, d’un côté, les étangs qui construisent le paysage de la Sologne ou les pins de la forêt de Landes et de l’autre capable de polluer l’Océan. Cette écume il faut donc la trier afin de séparer le bon grain de l’ivraie, afin de distinguer l’Écume de la pollution de l’Écume de la confiture ; l’une est impropre à la consommation tandis que l’autre ravit les gourmands. La Nature ignore le déchet car tout ce qu’elle produit est transformable et transformé. Avec la production de déchets inassimilables ou assimilables sur des délais à très long terme, un déséquilibre est apparu. Il est donc vital d’avoir cette capacité à réinventer ce cycle, à le reboucler. Je souhaite nous sensibiliser afin que, chacun d’entre nous, nous modifions nos habitudes du quotidien pour un rééquilibrage de l’environnement.
« Mais là où est le péril, / Là croit aussi ce qui sauve. » Au-delà de la question de l’environnement, cette citation d’Hölderlin décrit mon travail comme le constate Laurent Gervereau (directeur du Musée du Vivant) lorsqu’il découvre les photos et les films de L’Écume de la Terre et affirme que je rends esthétique la destruction, que je fais du beau avec du laid. La laideur, la destruction provoque l’impuissance, la fuite... Rendre esthétique l’Écume de la pollution nous permet de la regarder, et nous amène à faire face et, à réaliser qu’il nous faut agir, chacun à notre niveau. Par-delà, il y aussi l’espoir de la prise de conscience nécessaire à l’action en gardant présent la puissance de Gaïa et sa capacité à se révolter contre ses enfants, les Terriens...
Révéler la réciprocité du lien entre la qualité du paysage et la qualité de l’eau, c’est simultanément montrer notre part de responsabilité quotidienne et individuelle dans cette qualité. Le discours sur l’environnement met en valeur les responsabilités collectives qui sont fondamentales. Cependant, il est tout autant nécessaire d’insister sur les responsabilités individuelles. Elles sont à l’image l’une de l’autre. Les mers de plastique présentes sur tous les océans sont là pour nous rappeler cette interconnexion.
La qualité de l’eau, c’est aussi le réchauffement climatique et la montée des eaux. « Et, si c’était vrai 2010-2080... Perspectives. » est un reportage au retour du futur : urbanisme et gestion de l’eau, un cycle sur des villes iconiques inondées.
M’est alors venu l’idée d’une fiction : un voyage dans le temps, plus précisément en 2080, pour mieux représenter la réalité du réchauffement climatique d’où le titre de cette série : « Et, si c’était vrai 2010-2080... Perspectives. » où je présente, en parallèle, des photos d’Amsterdam et de Paris prises dans les années 2010 et des photos censées être prises en 2080 afin d’effectuer, une comparaison avant-après, de faire surgir l’ampleur des conséquences du réchauffement climatique.
Cette série parle bien entendu de l’environnement cependant, elle nous interroge aussi sur le contenu de l’image, sur sa part de fiction et sa part de réalisme. et donc sur la relation fiction–réel. Une image est un appeau à réel (cf Regard sur l’image, mon essai sur la compréhension de l’image, éditions regards & impressions). Comme l’appeau, cette fiction de canard qui n’est pas tout à fait un canard —on lui a coupé les ailes et il est attaché pour rester sur l’étang— et pourtant, cette fiction, attire les canards comme l’image attire du réel. Quelle part de ce réel est réelle et quelle part de ce réel est fiction ? En quoi l’image est une ressemblance et en quoi est-elle une représentation ?
Nous sommes dans un monde où distinguer ce qui nous protège, de ce qui nous surveille et de qui nous est interdit devient de plus en plus délicat. Dieu est-il une installation de télésurveillance ? La Nouvelle Sainte Trinité montre que protéger, surveiller et interdire ne sont que des représentations qui sont à l’image de nos croyances. Cette confusion des termes est une conséquence du manichéisme. À travers les arguments favorables à l’implantation de ces caméras nous sommes en train de déléguer à ces machines, le rôle autrefois dévolu à Dieu et/ou à la Société. Cette délégation aux caméras est organisée pour nous dispenser de toutes réflexions sur nos choix de relations sociales comme environnementales.
Cette confusion, on la retrouve aussi dans ce désir de tout fêter comme le montre l’Éloge des Ronces Artificielles, Discours préparatoire à leur 150e anniversaire. Ce 150e anniversaire du second brevet déposé afin de perfectionner les fils de fer barbelés est l’exemple de ces ’’événements événementiels’’ ‘‘inventés’’ afin d’appâter le chaland.
Cette confusion, tout comme la pollution engendre une forme d’enfermement. La confusion nous enferme en nous plaçant dans l’incapacité de prêter attention à nos actes et à leurs conséquences quant à la pollution, en multipliant les ‘’contraintes protectrices’’, elle nous enferme, elle aussi. Clôturer à en perdre la raison ne ressemble à rien si ce n’est dresser des kilomètres de barbelés et construire une clôture définitivement poreuse.
« Les formes d’oppression qui nous gouvernent créent non pas de la résistance mais du découragement, un dégoût à l’égard de soi-même, le sentiment qu’on est incapable de faire quoi que ce soit. » Nathalie Quintane. Les forces d’oppression cultivent toujours le sentiment de l’impuissance. L’histoire le montre et notre actualité nous le fait savoir avec la doxa de la privatisation, de la réduction des coûts et pour les grandes entreprises de la marge nécessairement croissantes, nécessairement à deux chiffres...
Avec l’invention des camps de la mort puis, de la bombe atomique, ce sentiment d’oppression s’est mondialisé lui aussi. Mondialisé comme si son apogée était le fruit de l’amère mondialisation pilotée par l’Occident. Dans le registre de la culture de l’impuissance, ces nouvelles forces d’oppression issues du XXe siècle appartiennent à la liste des formes d’oppression les plus efficaces. La cause de leur efficacité ? leur puissance de frappe, leur diffusion mondiale, leurs rayons d’action mais aussi et surtout leur industrialisation. Berlin sur Mururoa complète ainsi la série La Sainte Trinité, Dieu est-il une installation de télésurveillance en présentant un autre aspect de ces forces d’oppression. Plus nous protégeons de l’extérieur, plus nous affaiblissons de l’intérieur.
Comment sortir de cet enfermement ? La clôture, c’est aussi celle du corps qui nous limite mais aussi construit nos potentialités comme le danseur qui construit son parcours sur ces deux axes.
Le jardin, le paysage sont les lieux d’une ouverture sur le monde. Contrairement aux discours sur la perspective, le jardin, le paysage ne sont jamais clos. Et, c’est cette ouverture qui fait du jardin des Tuileries l’un des rares lieux de Paris où l’horizon existe. Cette ouverture constitue la perspective de la perspective. La perspective est l’au-delà des lois optiques et elle se construit sur l’invention de l’individu. Elle donne naissance à l’invention du point de vue individuel. La Perspective, celle du jardin des Tuileries comme celle des jardins de Versailles,... ou encore celle de La Chute d’Icare de Bruegel, est l’une des réponses car elle nous appelle à aller ‘‘ adelante ’’. L’artificialité du paysage est la première manifestation de ce qui deviendra l’anthropocène. Elle est un autre aspect de l’anthropocène et, contrairement à l’artificialité du monde industriel, celle-ci est bienfaisante pour les autres manifestations de la vie sur terre.
En ligne droite ! ces 30 ans de photographie réalisée dans ce jardin révèle, au-delà de la perspective, l’importance de la présence des oiseaux dans un paysage comme celui du Jardin des Tuileries. Ces photos ont donné naissance à Empreintes, un film, une œuvre à quatre mains réalisé avec Marco Martella. Dans ce court-métrage, le jardin des Tuileries est un lieu où l’on guérit de nos blessures les plus profondes comme le raconte le personnage qui panse ses blessures à force de parcourir, de découvrir, de méditer ce lieu pour, en dernier ressort, guérir.
Médée, cette femme présente au Jardin des Tuileries, a pris le parti d’assumer tous ses choix. Cette femme définitivement condamnée alors que l’on ne saura jamais si elle a tué ses enfants pour les protéger ou pour se venger de Jason. En cela, elle est un prototype de cet individu capable du pire et du meilleur ainsi que sa statue des Tuileries nous le montre. En effet, selon l’angle de prise vue, Médée écrase ou tente de protéger ses enfants. Comme la perspective, cette invention de l’individu est l’un des sujets de En ligne droite !
À quoi ressemble cette image construite sur la perspective ? À ce que l’on connaît et c’est un détail très souvent oublié. Une chose ne peut ressembler à une autre que si l’on connaît, même de manière parcellaire, ces deux choses. C’est le biais de la ressemblance comme le montre Hommage à.../Inventaire.
Rendre hommage, c’est parcourir son Panthéon. Cette série est née un peu par hasard, suite à la découverte de réminiscences dans certaines de mes photographies. Une fois ces découvertes faites, m’est venue l’idée de développer, d’ouvrir la notion d’hommage en rendant non seulement hommage, à des peintures, à des inconnus mais, aussi, à des thématiques comme la loi sur la cigarette et, en poussant le bouchon, je me suis mis à imaginer, aidé par cette boite de soda incrustée dans le goudron, un hommage chiffonné à Andy Warhol, comme l’on dit en français que quelque chose nous chiffonne.
Quelques dates charnières
2019 • Résidence artistique à Taiwan, sous l’égide du Centre Culturel Hakka
2018, 2019 • Conférences pour le département de formation professionnelle,
école Nationale de la Magistrature, Paris
2017 • Réalise ses premières photos et ses premières impressions 3D
• Homologation de pilote de drone
• Clôturer à perdre la raison, installation photos et sculptures
Festival d’art contemporain Les Jours de Lumière, Saint-Saturnin, Puy de Dôme.
2016 • Regard sur l’image obtient le Prix de l’Académie de la Couleur :
• L’Écume de la Terre II et Eaux-Vives — Eaux-Fortes
primés lors du Deauville Green Award Festival ; (Or) et (Argent)
• Si c’était vrai... If it was true... / Perspectives
présentation à l’Image and ArtCenter of Chinese Culture University
• Le 150e anniversaire de l’invention des Ronces Artificielles
présentation à l’Image and ArtCenter of Chinese Culture University, Taïwan
2015 • Si c’était vrai... If it was true... / Perspectives
- Taipei Art Photo Show2015, Taiwan,
• 150e anniversaire de l’invention des Ronces Artificielles
Taipei Art Photo Show2015, Taiwan
• Empreintes. scénario Marco Martella, réal. Hervé Bernard, présenté au Cannes ShortFilm Corner 2015, la même année, entre dans les collections du Forum des Images (Paris).
2012 • L’Écume de la Terre I, 6e Forum Mondial de l’Eau, Marseille ;
2011 • Publication de Regard sur l’image ;
• Résidence à la Maison Descartes (Centre Culturel Français), Amsterdam, exposition consécutive : Vivre avec l’eau, (nov à janv 2012).
2009 • Membre du Jury du Prix Vulcain,
Compétition Officielle du Festival de Cannes ;
2008 • Ouverture de www.regard-sur-limage, blog sur notre réception de l’image
2002 • L’Histoire de Pierre et le Fou de Thomas Norymberg
étalonnage et production Hervé Bernard présenté au Festival de Cannes ;
2001 • Fondation de RVB-Prod ;
Auditorium de la MEP (Maison Européenne de la Photo),
présentation dans le cadre de l’Atelier Gens d’Image ;
1999 • Dictionnaire de la photonumérique ;
1994 • Lancement de Photoshop 3.0 pour Adobe et SunMicorsystems ;
1987 • Débute une collaboration au magazine Le Photographe,
journaliste technique sur l’image numérique ;
1987 • Exposition à l’Espace Canon, achat par le Musée Carnavalet ;
1985 • Premières images numériques ;
1983 • Conception d’écrans et de services pour le vidéotext, (graphisme-mise en page et rédaction) ;
1980 • Diplôme de Communication Visuelle, option photographie,
Institut Saint Luc, Tournai, Belgique.
Collections
• Centre Culturel Hakka, Taipeï, Taïwan
• CNAP (Centre National des Arts Plastiques 2016)
• Musée du Vivant, AgroParis Tech, Paris, (2011).
• Monum, - Établissement Public du Grand Louvre (1995).
• Collection Historique des Télécommunications, France-Télécom, Paris.
• Bibliothèque Nationale (1988).
• Bibliothèque Historique de la Ville de Paris (1987).
• Musée Carnavalet (1987).
• Collections particulières (France-Belgique- Grande-Bretagne-USA-Italie, Taïwan).
Expositions et publications en Europe, aux États-unis et à Taïwan.