Regard sur l’image

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- Paréidoles

,  par Hervé BERNARD dit RVB

De Platon qui l’a choisi pour prouver que l’image est une illusion aux surréalistes qui la choisirent pour monter quelques uns de leurs gags en passant par les paysages anthropomorphes du début de la Renaissance et Brassaï qui affirmait : « Lorsque, érodés et polis par l’incessant va-et-vient des vagues, les galets sortent manufacturés de la gigantesque usine marémotrice, ils sont autant de sculptures taillées déjà par une main sensuelle. […] Je suis persuadé que l’art est né non des formes inventées de toute pièce, mais de celles auxquelles l’imagination pourrait donner une signification » [1] il démontre sa connaissance du processus qu’il potentialise en l’associant aux illusions d’optique.

Visage inconnu / Unknown face
© Hervé Bernard 2011

Ils sont tous paréidoles (du grec pará, « à côté de », et eídōlon,« simulacre »), comme le démontre avec vigueur tous les humains qui se sont précipités sur Google moon afin de voir la silhouette d’un individu se promener sur le sol lunaire. En fait, cette information n’est ni un canular, ni un faux bien qu’elle ne soit pas vraie. Elle ne fait qu’exploiter une tendance du couple cerveau-œil, une appétence pour les formes réalistes. Cette appétence, comme nous venons de le voir, les artistes l’exploitent depuis la nuit des temps.

Pline le raconte dans son Histoire Naturelle consacrés à la minéralogie, la paréidolie est une ancienne coutume. En effet, « dans un bloc qu’on fendit avec des coins, apparut une figure de Sylène [2] ».

Dans un autre passage, il parlera d’une pierre précieuse, propriété de Pyrrhus, « une agate sur laquelle on voyait les neuf Muses et Apollon tenant la lyre, non par un travail de l’art, mais par un produit spontané de la nature » Ces deux cas de paréidolie ont pour trait commun d’être des images acheiropoïètes. Sont-elles pour cela le produit de la pure grâce divine ? Dans ce cas, la paréidolie serait une manière, un biais, inventé par l’Homme, pour produire des images acheiropoïètes. Cette hypothèse en ferait une revanche de l’être humain sur la volonté divine. À moins qu’elles ne soient le produit de notre appétence pour les formes réalistes.

Moïse et les Amalécites
© Hervé Bernard 2008

Application
Pour ma part, en bon paréidole que je suis, j’ai eu recours à ce processus dans plusieurs des images des séries suivantes : Formes improbables, dans certaines images de la série Hommage à..., voir L’hommage à Icare et je compte bien continuer à explorer cette voie porteuse de sens et de polysémie.

La question du pareïdole est, d’une certaine manière, celle de l’œuf et de la poule. Quelle est la cause de ces images qu’il s’agisse d’objets manufacturés par l’industrieuse main humaine ou de plantes agencées par cette toute aussi industrieuse main ? L’apparition de ces formes figuratives est-elle le produit de la rencontre de ces formes figuratives, de leur découverte ou parce que nous les avons crées ainsi ? Sont-elles alors le produit de nos mains, de nos cerveaux ou d’une folle combinaison des deux ?

https://www.regard-sur-limage.com/documents/pareidole.mkv

Parfois, cette même industrieuse main de l’homme copie sans le savoir la nature à moins que ce ne soit la nature qui ne l’ait copiée. En effet, contrairement au monde juridique, dans le monde culturel, la preuve d’antériorité est parfois difficile à présenter comme nous le montre cette méduse circuit imprimé.

Illusion lapin canard
Découverte par Joseph Jastrow 1863-1944
Joseph Jastrow est surtout connu pour ses dessins ambigus et ses illusions d’optique, le canard-lapin, cette figure peut être vue alternativement comme une tête de canard ou comme une tête de lapin d’où ce qualitficatif de bi-stable. Wittgenstein, dans ses Investigations philosophiques, et Ernst Gombrich ont commenté ce dessin.

Je n’ai jamais cru à l’illusion lapin-canard, elle me paraissait trop artificiel, trop humaine jusqu’au où j’ai rencontré ce rocher. Les illusions d’optique ne seraient-elles après tout que des paréidolies ? L’illusion lapin-canard, comme de nombreuses illusions, est réversible et bistable.

Rabbit-duck illusion / Illusion du lapin-canard
© Hervé Bernard 2017

Bistable, c’est-à-dire qu’il est impossible de voir le lapin et le canard ensemble. Seule une alternance nous autorise à les voir l’un après l’autre. Les voir simultanément tous les deux est impossible. Il en est de même pour l’illusion du vase grec. [3]

La paréidolie est-elle une affaire de reconnaissance, de ressemblance ou de connaissance ? Un peu des trois à la fois, puisque pour reconnaître il faut déjà connaître tout comme pour affirmer une ressemblance, il faut aussi déjà connaître l’objet de la ressemblance. La part de connaissance est indéniable. Ces phénomènes reposent simultanément sur le fonctionnement du couple cerveau-œil et de la culture mais aussi sur la nécessité d’interpréter quasi instantanément une scène dangereuse.

Le cygne / The Swan
© Hervé Bernard 2008

La paréidolie conduirait-elle, poussée à son extrême, à l’idolâtrie ? Certes, les moutons dans les nuages de Léonard de Vinci ne sont pas fabriqués par les nuages et ils sont bien loin d’être le produit de notre industrieuse main, en tout cas directement. Cependant, ils le sont indirectement, car si nous voyons des lapins ou des moutons, d’autres y verront des vagues ou des rochers... Ces nuages, ces moutons, ces rochers (...) sont le fruit de notre main cérébrale comme nous le raconte les neurones miroirs. Il en est de même pour ce cygne d’eau qui, ici, pourrait tout aussi bien s’écrire signe. Mais, signe de quoi ? De l’infini imagination humaine. Cependant, à nos yeux, ce cygne d’eau n’est pas une image acheiropoïète même si elle n’existe que grâce à la photographie et qu’il n’est le produit d’aucun trucage. Certes elle est produite par un appareil photo, cependant, la vision de ce cygne a provoqué le déclenchement de l’appareil et cette vision est le fruit de mon appétence pour cette question. L’apparition de ce cygne n’est donc en aucun cas le fruit du hasard.

La paréidolie, comment cela fonctionne ?
La paréidolie s’appuie sur la propension du cerveau à tirer des conclusions à partir de données qu’il estime ‘’incomplètes’’ comme le montre les différentes versions de l’illusion de Kanitza qui mettent en valeur la propension de l’œil à fabriquer des lignes qui n’existent pas. L’invention de ces lignes s’appuie sur la propension du cerveau à fabriquer de la ressemblance, de la continuité là où elles n’existent pas. La ressemblance, la continuité tout comme ces lignes inexistantes tiennnent le rôle de facilitateur de l’interprétation. Dans ce cas particulier, il semble difficile de distinguer la ressemblance de la continuité, ces deux phénomènes sont concomittants.

Les illusions bi-stable tel le lapin-canard ou l’illusion de Edgar Rubin dite du vase grec contribuent elles aussi à la fabrication de ces images ressemblantes. Celle-ci est là pour nous rappeler le rôle essentiel de la culture dans ces interprétations paréidoliques. Tout l’arsenal des illusions visuelles est convoqué dans ce processus : contraste fond-forme, les contrastes de couleurs, de lumières… et il s’appuie sur notre attirance pour tout ce qui évoque notre humanité et plus largement un être vivant.

Cette attirance a créé une expertise dans la détection des visages : le gyrus fusiforme, zone temporale du cerveau spécialisée dans cette tâche. Particularité de cette spécialisation, elle ne concerne pas seulement le visage humain, son corps dans sa totalité ou pour partie, elle va jusqu’à une appétence pour des représentations aussi simpliste que le smiley. Cette capacité apparaîtrait dès notre prime enfance puisqu’elle se manifesterait chez le nouveau-né quelques heures voire quelques minutes après sa naissance.

La paréidolie ne serait que la conséquence de cette attirance pour ce qui nous rappelle l’humanité. Ainsi, la simple vision de deux tâches blanches côte à côte est suffisante pour activer l’amygdale de notre système limbique : ce noyau spécialisé dans l’émotion de la peur associerait immédiatement ce motif à celui d’un visage effrayé par la peur.

Tout ça pour ça ! Pour nous induire en erreur, en fait les choses sont plus complexes car le couple cerveau-oeil s’est construit pour répondre le plus instantanément possible aux situations d’urgence.

Le rôle des neurones miroirs dans ce processus
Face à la complexité du monde, il est indispensable de la réduire, de la résumer rapidement pour prendre les décisions nécessaires à notre survie. Cette simplification, appelée dans la théorie de l’information réduction de débits et, par abus de langage, compression de données, va se faire sur des constantes et des moyennes ou des raisonnements du type : si nous voyons tel objet , alors il va se passer tel événement ou tel autre objet sera à proximité... En fait, le cerveau compare, met en relation ce qu’il voit avec la base de données constituées par notre mémoire. Alors, certaines illusions d’optique ne seraient-elles que culturelles ?

Voir une forme [En sculpture et en poterie, la forme entoure la matière afin de la mettre en forme, c’est le moule.], là où il n’y a que fatras, c’est une manière de simplifier et de réduire le débit. En effet, affirmer que cette forme est un cercle est une information beaucoup plus concise que de décrie le parcours de ce trait. « L’image que nous voyons n’est pas celle que l’œil a captée directement par son système optique, mais une image reconstruite par la perception. » [Pr Jean-Claude Hache, ophtalmologiste au CHRU de Lille, dossier de presse du colloque « Regard et Vision » dans le cadre de Lille Capitale européenne de la culture en 2004.]

Retour sur les différences entre voir et percevoir
Pour toutes ces raisons, nous considérons que la perception implique un décryptage-interprétation, contrairement à la vision qui se « contenterait » de recevoir le stimulus. Mais où se situe cette limite ? Comment la construire ? La paréidolie est une invention pour certains et un fantasme pour d’autres.

Au-delà de la paréidolie, quel est le processus qui nous permet d’affirmer d’une photo qu’elle représente un homme soulevant son chapeau ou un homme disant bonjour et ce, même si la photo ne représente pas le vis-à-vis de cet homme. Dire qu’un cornet de glace est froid simplement en le regardant, est-ce de la perception ou de la connaissance ?

Les neurones miroirs soulèvent une autre question dans cette interprétation : quelle est la part du corps dans ce phénomène de reconnaissance visuelle ?

L’abstraction narrative
Situé entre peinture abstraite et peinture figurative, les limites sont bien souvent floues. Indépendamment de la question de la peinture comme « copie » de la réalité, l’abstraction n’est pas seulement une opposition à la figuration. En effet, dans une peinture abstraite, on peut voir des objets identifiables. Dans ce cas, la peinture les tire hors de leur contexte. Et c’est cet isolement qui est le tremplin vers une histoire “poétique” que se raconte le spectateur. Ainsi, la peinture abstraite donne lieu à une pluralité de significations enfermées en peu d’éléments. Cette possibilité de raconter une histoire est présente dans de nombreuses toiles abstraites et elle est la matière de “l’abstraction narrative”.

Ainsi, les enfants, bien souvent paréidoles, expriment à leur manière –par leurs commentaires– l’imbrication du figuratif et de l’abstrait mais aussi la pluralité des histoires que chacun se raconte face à une toile « abstraite ». Ces éléments tracent des limites entre la figuration et l’abstraction.

Le travail du peintre Martin Reyna a été longtemps, un bon exemple d’abstraction narrative. Je pense notamment à la série des maisons et des arbres qui révèle la frontière ténue entre la figuration et l’abstraction.

La paréidolie serait-elle l’autre versant de la création perceptive que nous nous évertuons à créer à partir de notre perception discrète au sens mathématique de ce dernier mot et mise en avant par la grille de Nino. Cependant, cette perception discrète qui fonctionne comme un échantillonnage en transformant du continu en discontinu a un autre versant : l’interpolation lors du passage du discontinu au continu de la perception. Notre perception se construit donc sur les erreurs de l’échantillonnage mais aussi sur les erreurs de l’interpolation de sa restitution. Et pourtant, cela fonctionne ! Cela fonctionne parce que la masse d’information à analyser est telle que si notre cerveau traitait en continu les informations nous serions immobiles, incapable de prendre une décision. Tout comme dans le monde numérique, dans la nature le traitement continu est impossible, échantillonnage est une nécessité et la paréidolie est l’une des voies choisies par notre cerveau pour réduire ce débit. En fait, notre paréidolie incessante révèle plutôt la nécessité de prendre des décisions rapides que notre besoin incessant de figuratif même si cette seconde explication est profondément liée à la première. L’infini est la Limite de la Nature.


 Regard sur l’image,
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- Le musée japonais des pierres qui ressemblent à des visages