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Regard sur l’image

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- Les sondages et les statistiques sont-ils une image ? À propos de l’absolument relatif 1/2 V3

,  par Hervé BERNARD dit RVB

« la statistique, madame, est une science moderne et positive" déclare l’un de ses personnages, secrétaire d’une hypothétique Société de statistique de Vierzon. "Elle met en lumière les faits les plus obscurs. Ainsi, dernièrement, grâce à des recherches laborieuses, nous sommes arrivés à connaître le nombre exact de veuves qui ont passé sur le Pont Neuf pendant le cours de l’année 1860. »
Eugène Labiche

« Je dis tour Eiffel, il dit nombre de ses marches. »
Seyhmus Dagtekin dans À l’ouest des ombres, recueil de poésie

- Les sondages et les statistiques sont-ils une image ? À propos de l’absolument relatif

Le sondage comme la statistique sont des techniques d’évaluation de l’opinion au sens large de ces deux termes. Comme nous l’ont appris les spécialistes du marketing, préférer les carottes aux pommes de terre et être indifférent à la betterave rouge, c’est avoir une opinion à propos des racines comestibles ou encore des légumes, question de méthodologie. Autrement dit, la question de la pertinence n’est pas une question pertinente. Pour un statisticien, toute question mérite d’être posée à l’exception de la pertinence de la dite question.

Pendant longtemps on a considéré que changer d’opinion comme de chemises était, au mieux, un manque de constance et au pire un défaut voire, une tare. Avec la multiplication des sondages, l’opinion est devenue quelque chose de plus en plus fluctuante, fortement sensible aux variations du sens (et) du vent. Avec la multiplication des statistiques le mot opinion a largement changé de sens et on constate que l’opinion a transité du domaine personnel au domaine collectif pour passer simultanément de la sphère privée à la sphère public voire être même proclamée par monts et par vaux.

Rappelons que les statistiques et les sondages servent à exprimer des rapports entre les choses tout en permettent d’évacuer le complexe. N’omettons pas que ces deux techniques d’évaluation ont la prétention, puisqu’elles appartiennent au monde de la mathématique, d’être garantes de l’objectivité et d’être parfaitement neutres et, l’on sait combien dans le domaine de la politique, cette prétendue objectivité, voire cette neutralité tout aussi prétendue est fondamentale, nombreux commentateurs l’ont démontré en se laissant museler par leurs interlocuteurs de peur d’un procès.

1 Des techniques prétendument objectives
Les statistiques comme les sondages sont des outils et l’un comme l’autre, ils sont applicables dans deux domaines numériques, celui de l’absolu et du relatif. En effet, il existe deux manières de voir les chiffres :
 le relatif, c’est-à-dire le monde du pourcentage ;
 et l’absolu, c’est-à-dire le monde du chiffre brut dans sa prétendue absence de nuances. Cependant, il semble que cette prétendue brutalité permette parfois de nuancer le propos.

Et, comme toute manière de voir, ces deux méthodes ont chacune leur biais. D’ailleurs, Heisenberg l’a clairement formulé avec son fameux principe : «  Étant donné que l’appareil de mesure a été construit par l’observateur... Nous devons nous souvenir que ce que nous observons n’est pas la nature elle-même mais la nature exposée à notre principe de questionnement. » Par conséquent, une information adopte donc toujours un point de vue, ne serait-ce que celui de la technique utilisée pour la collecter. » (Regard sur l’image p 17).

2 Sondage et image
La question des sondages et des statistiques comme image peut s’entendre de deux manières :
 Première interprétation : ces deux techniques d’évaluation de l’opinion d’un groupe sont à l’image de l’opinion de ce groupe ; c’est-à-dire que le sondage et la statistique en sont le reflet. Ainsi, certains groupes préféreront utiliser des résultats relatifs, par conséquent exprimés en pourcentage tandis que d’autres préféreront des résultats absolus selon que l’une ou l’autre de ces méthodes d’affichage les valorise plus ou moins. La première méthode étant généralement employée par les dominants car elle exprime clairement leur dominance.

 La seconde méthode, celle du nombre absolu étant utilisée par les outsiders ou les derniers de classe, car, bien souvent, elle révèle mieux leur ascension. Passer de 0,5 à 1 % ne semble pas significatif, par contre gagner 10 000 voix peut donner le change quand votre précédent score s’élevait à 5 000 voix. « Le rapport que l’opinion entretient avec le monde est basé sur celui qu’elle entretient avec elle-même. Celui-ci est fondamentalement tautologique, en ce sens que l’opinion ne connaît et ne peut accepter que des choses devenues moyennes et impersonnelles, vidées de tout contenu expérimental et vécu, mais pour cela, il faut néanmoins transformer ces choses, ces expériences en quelque chose d’acceptable par elle-même. La tautologie, ici est le résultat d’un processus d’évidement de la signification au profit de la dénotation et de l’insignifiance. » [1]

Et c’est là que nous arrivons à l’un des autres rôles de ces machines à décrire l’opinion : nous faire accepter l’inacceptable à force de nous bombarder de chiffes annonciateur d’évolutions aléatoires. Ainsi, prétendre nous informer hebdomadairement de l’évolution du goût des français pour les carottes et les pommes de terre, c’est, simultanément oublier de préciser qu’il y a une saison pour les carottes et une autre pour les pommes de terre. Certes, ces saisons se chevauchent et dans nos contrées, l’on trouve ces racines quasi tout au long de l’année. Cependant leur goût et les habitudes de nos compatriotes varient au cours de ces périodes de disponibilité. Variations qui influenceront l’opinion de ces derniers à l’égard de ces deux racines.

C’est aussi nous laisser, non ! nous faire croire que tout est joué avant que l’enjeu n’est eu lieu. Ainsi, la publication intensive des sondages et statistiques nous convainc de l’inutilité du vote puisque le résultat, grâce aux capacités de prédiction des dits sondages, nous serait déjà connu avant même que l’événement ne se soit produit. D’où la conclusion de nombre d’entre nous, à quoi cela peut-il bien servir de se déplacer pour un événement dont on connait déjà l’issue si les dés sont jetés depuis bien longtemps et le résultat sans surprise.

Le vote devient ainsi un acte en pensée et par action, insignifiant. Cette insignifiance provient de l’exclusion d’une hypothèse : notre vote pourrait avoir une réelle efficacité et, surtout, contrairement aux sondages, nous, nous pouvons changer d’avis jusqu’à la dernière minute. Cette insignifiance est aussi le fruit de cette accumulation de « résultats » de l’élection avant l’élection. Cette accumulation provoque un évidemment, une désacralisation de cette opération en nous faisant croire à la disparition de l’aléatoire que chacun d’entre nous représente. Ce fameux potentiel grain de sable dans l’engrenage (au bon sens du terme) que nous nous devons d’être. Par conséquent, ces sondages et statistiques nous font croire que le vote de chacun d’entre nous n’a pas le pouvoir de changer le cours des choses. Or cet acte a tout à fait un pouvoir transformateur si, chacun d’entre nous prend la peine de voter en son âme et conscience. 1+1 n’est pas égal à 2 comme nous l’explique la physique à l’encontre des mathématiques. Ainsi, la force de traits de deux chevaux attelés simultanément à une carriole est supérieure à celle de deux chevaux tirant chacun sa carriole. Il en est de même pour le vote.

D’autre part, pour admettre que ces techniques sont des miroirs de l’opinion, il nous faut oublier quelques centièmes de secondes que le miroir, quelque soit sa qualité optique, gauchit toujours la réalité, ne serait-ce que parce qu’il inverse la gauche et la droite. Cet oubli devenu réalité, nous pourrions comparer “ les sondages à des miroirs ” qui nous fourniraient “ un baromètre de l’opinion ”. Or l’association du terme miroir et baromètre est extrêmement intéressante. Le premier par les lois de l’optique a une prétention à l’exactitude bien qu’il inverse la droite et la gauche. Quant au second, il a une prétention à mesurer le climat et à le prévoir malgré son inconstance grâce à la mesure de la variation de la pression atmosphérique. Ainsi, l’un serait le reflet de cette opinion ou de l’évolution de ses choix, tandis que l’autre aurait la prétention à mesurer ce reflet ou cette évolution quelque soit ses caprices.

3 Des techniques d’amélioration de l’image
 Seconde interprétation : les sondages et les statistiques sont de l’image car ils appartiennent aux techniques au service de l’amélioration de l’image du mandataire, le gouvernement, l’entreprise... En ce sens, on fait référence à l’image en tant qu’objet secondaire de la communication. Ici, il s’agit de l’image au même titre que l’uniforme du bikker est son image.

Deux sondages publiés en 2009 mettent bien en image cette question. Comme vous allez le constater, selon la source, le résultat est présenté en relatif ou en absolu ce qui donne incontestablement un résultat très différent dans l’évolution des effets de la politique sécuritaire. Ce résultat est d’autant plus différent qu’il est associé à un vocabulaire qui vient accentuer cette différence.

« Le nombre de garde à vue concernant les délits routiers à Paris est en hausse de 40% pour les neuf premiers mois de l’année par rapport à la période correspondante de 2008. » Libération

« une augmentation du nombre d’infractions de conduite avec 312 infractions relevées pour les neuf premiers mois de 2009 contre 79 pour la même période de 2008 (+ 294%) » Direct-Matin

Dans la première version, on peut supposer que la police a augmenté le nombre d’interpellations sans que nécessairement les infractions aient augmentées. Cette amélioration des résultats est potentiellement dues à une amélioration de l’efficacité des services de police (moins de laxisme, augmentation des effectifs affectés à la sécurité routière....). Dans la seconde version, il est clairement annoncé que les infractions ont augmentées. Pourtant, ces deux annonces commentent les mêmes chiffres publiés par la même préfecture, celle de Paris.

Le résultat des élections européennes de 2014 est une autre illustration du biais relatif–absolu pour exprimer ici, les conséquences d’une votation. Selon que l’on opte pour une expression en absolu ou en relatif, le front national a gagné des électeurs ou en a perdu. Ce résultat est aussi une question de point de référence (En fait, le front national a eu plus d’électeurs qu’en 2007 et moins qu’en 2012, 2007 étant son plus faible score depuis 1988). Au-delà de cette question, il sera intéressant de noter que ce même parti longtemps partisan des résultats exprimés en absolu a, depuis plusieurs années, glissé progressivement vers une expression relative. Et ce basculement correspond à son installation dans le paysage politique français.

4 Le rôle de la sémantique
Il est important de remarquer que dans les deux cas, les différences d’interprétations ne proviennent pas de méthodologie d’enquête mais essentiellement du choix entre une expression relative ou absolu d’un nombre correspondant dans le premier exemple à des opérations de polices et dans le second cas, à des votes. « La valeur épistémologique de la théorie des probabilités est fondée sur le fait que les phénomènes aléatoires engendrent à une grande échelle une régularité stricte, où l’aléatoire a d’une certaine façon disparu.  » [2] mais pour que ce phénomène puisse se produire, « ces éléments auront été auparavant isolés, c’est-à-dire séparés du champ d’expérience auquel ils sont rattachés, et donc transformés en un signe pouvant être utilisé dans n’importe quelle comparaison, pour être transportés dans n’importe quelle autre domaine que leur seule présence servira à légitimer.[...] Simplement, pour pouvoir servir, chaque élément, qu’il soit mot, concept ou idée, expérience ou connaissance, théorème ou élan de l’âme, doit, en quelque sorte, pour être transformé en signe échangeable, être évidé de la part d’expérience vécue, qui est, elle, communicable mais irrépettable, qu’il pourrait contenir. » [3] Cette expérience d’évidemment et le semblant d’intérêt pour l’opinion exprimée est très bien illustrée par Philip K.Dick dans sa nouvelle Nick et le Glimmung (voir le PS), les sondages sont un semblant d’intérêt pour notre opinion, pour reprendre un mot à la mode, ils appartiennent, dans ce cas là, au registre du ’’care’’. Comme le montre la nouvelle de Phillip K.Dick, la maîtresse d’école peut toujours réduire à néant tous les votes ne correspondant pas à son opinion.

5 L’autre biais des sondages
Comme la sémantique nous le montre, la manière dont la question est posée joue un rôle essentiel dans la réponse apportée aux dits sondages. Cependant, elle n’est pas la seule. Ainsi, notre lecture d’un sondage va varier selon la source : organisme public, syndicat professionnel ou non, presse quotidienne et appartenance supposée de cette presse à une tendance, une orientation politique donnée... Notre entourage, selon qu’il nous alerte ou pas sur un sondage va contribuer plus ou prou à une distorsion de sa lecture et par conséquent de son interprétation.

Un autre élément, totalement subjectif va lui aussi jouer son rôle dans cette interprétation. Si ce sondage est en accord avec notre opinion, nous aurons une propension à surévaluer son résultat que celui-ci soit négatif ou positif importe peu. Et cette part subjective sera proportionnellement surévaluée à l’intensité émotionnelle générée. Toujours dans ce domaine à la frontière du subjectif et du rationnel, notre implication dans la question posée. Ainsi, si l’on nous interroge sur notre prudence au volant, notre réponse ne sera pas du même tonneau que si l’on nous pose une question générale concernant la dangerosité des conducteurs circulant sur les routes françaises.

Enfin, la condition du sondage est un découpage parcellaire de la réalité. Le sondage ne peut analyser que des faits réduits en les décontextualisant. Et, c’est cette décontextualisation, ce refus du complexe, qui provoque une simplification ravageuse. ET, c’est cette simplification qui faisait rire Shannon, l’inventeur de la théorie de l’échantillonnage à la base des statistiques, quand on lui parlait d’appliquer sa théorie aux sciences sociales.

Comme les deux schémas inclus dans cet article présentant le résultat des européennes de 2014 le montrent. Cette question absolu–relatif dans la présentation des statistiques est fondamentalement liées aux questions de sémantiques. Finalement, il se pourrait bien que sous-couvert d’être des techniques d’évaluation de l’opinion ces techniques soient en fait des techniques de manipulation de la dite opinion.

Pour lire la suite.
- Les sondages et les statistiques sont-ils une image ? À propos de l’absolument relatif 2

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France Métropolitaine : prix net 47,50 € TTC frais d’expédition inclus,
Tarif pour la CEE et la Suisse 52,00 € , dont frais d’expédition 6,98 €,
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voir aussi - Ne confondons pas échantillonnage et marchandage ! (1) ou les enjeux de la statistique dans la fabrication d’une image.

- La statistique, une forme de cadre, d’image