Difficile de parler d’un inventaire, surtout s’il est à la Prévert car c’est un inventaire d’images qui tient du kaléidoscope, images à multiples facettes ; révélateur de la multiplicité des points de vue sur l’image diversité qui en fait un livre contre l’oubli de Michel Seurat ou encore du typographe Gérard Blanchard...
Nous nous attarderons donc plus particulièrement sur les textes de Claude Carrez, manière d’adopter un point de vue sur ce Congrès de Gens d’Images (2004) dont il fut l’une des chevilles ouvrières, manière aussi de révéler son travail plutôt méconnu au sein de l’association car Claude Carrez a porté seul cet ouvrage.
Débutons par ce portrait de Chris Marker, cet ancêtre, certains diront, ce père de ce que l’on appelle aujourd’hui, le multimédia ou plus exactement la convergence numérique baptisé par Patrick Bazin, « continuum numérique » expression qui retranscrit beaucoup mieux les expériences que nous traversons.
Ensuite, vient le texte de Michel Melot qui, tout au long de sa carrière, a su associer texte et image notamment à travers la notion de patrimoine, sujet de son intervention. C’est par un retour à l’étymologie qu’il nous rappela l’absurdité de breveter le patrimoine génétique de l’humanité. En effet, comme il se plait à nous le redire, le patrimoine est le bien d’une collectivité, ici, l’humanité, et ce qui permet à cette humanité d’exister collectivement. En ce qui concerne ce patrimoine, ce n’est pas peu de le dire car celui-ci est le support de la biodiversité. C’est par ce lien entre patrimoine et collectivité que Michel Melot nous redit les liens entre patrimoine et personne morale. Cette dernière étant par essence une collectivité. Ce texte sur le patrimoine culturel reste d’une actualité cuisante en cette période de démantèlement des services culturels de l’état mais aussi de l’éducation et de la santé... Au passage, il abordera une question essentielle : « Notre image appartient-elle à notre patrimoine ? ». Question essentielle à la compréhension de l’image, tellement essentielle qu’il reviendra, ultérieurement, sur cette question à la Maison Européenne de la Photographie.
Enfin, ce texte, d’une qualité exceptionnelle, à travers la notion de patrimoine revisite aussi l’évolution de l’Art contemporain à tel point que, naturellement, le patrimoine devient une clé de lecture de l’Histoire de l’Art du 20e siècle. Pour clore cette rapide présentation de cette intervention, une remarque de Michel Melot qui nous signale que la patrie des arts parle de patrimoine culturel terme qui contient, de fait, une connotation économique tandis que nos voisins britanniques parlent d’héritage culturel...
Le temps matière de l’image, aborder ce sujet, c’est aussi parler de ces images exceptionnelles et exceptionnellement ramenées des camps de concentration. C’est écouter Jorge Semprun évoquer sa découverte des photographies réalisées à Buchenwald et avouer qu’il reconnait ses photographies sans pouvoir les identifier, c’est-à-dire pour reprendre ses termes : sans « avoir la certitude de les avoir vues moi-mêmes. Je les avais vues, pourtant ou, plutôt : je les avais vécues. C’était la différence entre le vu et le vécu qui était troublante(...) »
Image et souvenir ou plutôt ici, image et mémoire, l’image et le temps, qu’elle soit peinture, dessin, photographie ou film, le souvenir est l’une des composantes essentielles de l’image soit à travers le souvenir de ce qu’elle nous re-présente quand nous avons vécu les évènements retracés par ces images ou soit à travers les souvenirs que nous laisse une image qui nous arrête, nous surprend.
Vient ensuite un texte extrait d’une conversation entre Jean-Luc Godard et Jacques Lanzmann lors d’une interview réalisée par Claude Carrez. Ce texte aborde le tourbillon du temps et ses liens avec le montage cinématographique. Le tourbillon du temps ; titre évocateur pour un travail qui se doit de démêler pour construire une narration. Comment éviter que les images d’archives se pétrifient alors que les images pétrifient elles-mêmes le temps, comment éviter que cette volonté de rendre compte fige bien souvent l’imagination ? C’est-à-dire comment être fidèle sans tomber dans l’annonement, le mot à mot.
Parler du temps, c’est aussi évoquer l’image de la Nation et Claude Carrez aborde alors une exposition de photographies réalisées par Germaine Tillon. Exposition qui nous amène à nous interroger sur la question de la conservation des archives. Dans quelle mesure la restauration et la retouche sont antinomiques. Question qui traverse le monde de la restauration depuis des années aussi bien pour la peinture que pour la photographie mais, ici, cette question vient se complexifier par le fait que ces images ont une valeur historique cruciale. Serait-il impossible de restaurer une photographie historique ? Autre manière d’aborder le droit moral de l’auteur mais aussi des personnes figurant sur ces photographies. Certes a aucun moment, Germaine Tillon n’a eu pour but de faire œuvre d’art, elle était animée par un désir de témoigner en tant qu’ethnographe et aussi de témoigner de son vécu de résistante et de déportée. Vient ensuite, toujours au CHRD, l’évocation d’une exposition sur le génocide rwandais et une autre interrogation sur les images d’archives : « A-t-on le droit de faire beau sur un tel sujet ? »
Cet article s’achève par une évocation du camp de Therensienmstadt, camp destiné à la propagande nazie où les juifs pouvaient vivre leur culture. Évocation particulièrement essentielle. Impossible d’évoquer Lyon, le temps comme matière de l’image et la seconde guerre mondiale sans évoquer l’arrestation de Jean Moulin.
Nous ne chercherons pas à être exhaustif, plus de 600 pages ne se résument pas sur un blog mais afin de vous mettre en appétit pour la suite vous y retrouverez Georges Bataille, Anna Ahrendt, René Char et Hiroshima mon Amour mais aussi Denis Roche.
Ce livre, au-delà du Congrès de l’association Gens d’Images est un compte-rendu de l’activité de la cité qui vit naître l’image argentique moderne à travers des compte-rendus d’expositions, de l’activité des musées lyonnais. Vous y retrouverez aussi l’évocation de la série Contact diffusée sur Arte avec une intervention de son créateur JP Krief, la question de l’enseignement de l’image avec un débat sur l’école d’Arles qui fêtait ses 20 ans ou encore l’œuvre de Romain Opalka (...) mais aussi, Philippe Quéau, fondateur d’Imagina, à travers le compte-rendu de l’un de ses livres....