Donner un sujet à l’image, dans notre monde capitaliste n’est-ce pas d’abord donner une utilité à l’image ? Donner un sujet, c’est d’une certaine manière donner un objet, c’est-à-dire faire oublier qu’une image est d’abord le fruit d’un désir : celui de créer. Que ce désir soit un désir accompagné de souffrance ou de plaisir est une autre question car il n’existe pas de création sans désir, sans cette impulsion de la vie, même chez un Van-Gogh tant habité par la mort.
Si l’image est désir, qu’elle est la place du sujet, au sens matériel de ce mot et non au sens psychanalytique ? Pour ma part, le sujet n’est soit qu’un après coup, soit qu’un prétexte. Ainsi, j’ai longtemps travaillé sur la transparence et les reflets sans réaliser que l’un des sujets réel de ces images était la perte des repères en attendant d’en comprendre autre chose. Si je suis arrivé à cette compréhension, c’est parce que j’ai exposé une partie de ces photos. C’est pourquoi, il m’est important de présenter mon travail, car ce processus : la présentation, qu’elle se fasse sous forme de livre(s) ou d’exposition(s), participe du processus de création d’une image. En effet, une image c’est du lien entre un Sujet et un Objet. Or la démarche de la présentation nous oblige à sélectionner et ce choix se construit dans une confrontation des images entre elles mais aussi, dans la confrontation à un public qui lui permet de développer pleinement son sens. De fait, que ce soit lors de la sélection ou lors de la rencontre d’une création avec un public, dans les deux cas, nous créons du lien. D’autre part, c’est ce développement, au sens photographique du terme, qui autorise la clôture et le passage à autre chose quitte à continuer d’explorer ce même sujet.
Souvent, le sujet fait de l’image un objet, voir un objet de consommation. Créer une image c’est désirer transmuter le vil plomb en or, la mort en vie, désir et transmutation si puissant chez Van-Gogh, pour revenir à lui, que cette puissance l’a submergé. C’est tenter de mettre de l’ordre dans le chaos du champ de blé, tentative qui va bien au-delà de la question du sujet et, si il y a bien quelque chose que l’on peut reconnaître à Van-Gogh, c’est d’avoir réellement tenté de mettre de l’ordre dans le chaos de la vie...
Le sujet de la Dentellière est-il le désir de peindre une femme entrain de faire de la couture ? Serions nous encore intéressé par ce tableau même si la dextérité du peintre reste impressionnante si cette peinture ne nous parlait que d’une dentellière ?
En fait, le sujet est-il réellement l’objet d’une image ? Peut-être que le seul sujet de la création, si sujet il y a, est de « Donner à voir du nouveau, c’est-à-dire donner à voir à nouveau. » [1]
De quel sujet parle-t-on quand on sait que la pluralité des sens appartient au discours humain, voir le construit. Les classiques ne sont classiques que parce que leur sujet a évolué au cours du temps et peu importe que ce sens fût impossible à envisager à leur époque. L’essentiel est que leur œuvre continue de nous interpeller.
© Hervé Bernard 2009