Regard sur l’image

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- Le mot est image (10) V2

,  par Hervé BERNARD dit RVB

1 Le capteur est-il un censeur ?
 Le français désigne la surface sensible électronique par le terme capteur qui d’ailleurs pourrait aussi désigner la surface argentique dite en français, surface sensible. L’anglais, quant à lui, parle d’un senseur (terme créé à partir du mot sensor), on remarquera que tout comme en français, l’équivoque avec le terme censeur existe là aussi. De fait, le français désigne aussi certains capteurs par le terme senseur cependant, dans ce cas, il ne s’agit pas des capteurs de la photo ou de la vidéo, question de taille, peut-être ? Toujours est-il qu’en français comme en anglais, ces deux termes jouent sur les lettres c et s (censeur vs senseur et sensor vs censor).

Cependant, revenons au monde de l’image et à l’usage courant du terme capteur en français. Il évoque une action forte, une action volontaire voire prédatrice et violente tandis que le terme anglais semble plus doux, plus nuancé, plus sensible voire sensuel. Le premier serait masculin tandis que le second serait féminin dans un fantasme des genres anglais. En français, l’utilisation du terme senseur, pour des petits capteurs serait-elle alors liée à la question de la taille ? A moins que le français, inconsciemment considère l’instantanéité de la photo comme un acte violent comme le laisse entendre la sonorité du mot. Nous rejoindrions alors les croyances de certaines tribus africaines ainsi que celle de Balzac (Sur cette question voir Regard sur l’image) pour qui la photo dépouillerait progressivement les humains d’une part d’eux-mêmes.

Rappelons que le « censeur est le détenteur de l’autorité chargée d’une fonction de surveillance », ce jeu de mots entre censeur et senseur rejoindrait alors certaines utilisations de la photographie et de l’image animée notamment à travers la télésurveillance aussi appelée téléprotection. À ce propos, en français, on parle de capture de ou par l’image. Nous faisons, ici aussi, allusion à l’emploi de la photographie comme outil de surveillance notamment dans le cas des radars policiers ou des caméras de télésurveillance. La capture est d’ailleurs le sort qui attend toute personne qui enfreint la loi établie par le censeur ! Le capteur et le censeur personnage qui deviennent une seule unique personne lorsqu’il n’y a pas de séparation des pouvoirs.

2 De la mythologie
 Passons de la mythologie de la photo à la Mythologie qui est l’étude des histoires fabuleuses. Cependant si l’on se réfère à l’étymologie, le grec muthos signifie parole et le mot logos désigne quant à lui aussi la parole. Muthos — logos, c’est donc la parole dans la parole ou encore la parole de la parole. La mythologie serait donc l’exégèse de la parole. Cette exégèse comme toutes les exégèses est une parole qui enferme ou délivre (de) la parole selon l’interprétation choisie :
 intégrisme du mot à mot
 l’ouverture de la parabole et métaphore. Dans le premier cas, cette parole nous amène à l’intégrisme, dans le second cas, elle nous conduit, par exemple, à Vatican 2.

Des chiffres, des lettres et de l’écume
© Hervé Bernard 2017

La parole qui délivre de la parole qui enferme ou inversement. L’autre parole qui, dans et par la parole, ouvre sur d’autres dimensions c’est le discours inconscient et son analyse. Selon l’étymologie, la mythologie, parole de parole, parle de l’entre deux, de l’inter-texte, c’est-à-dire de l’’inter-dit au sens de l’interdit selon Lacan. Mais alors, où se situe la différence entre la mythologie et la psychanalyse qui sont tous les deux des paroles de la parole ?

3 La bobine anglaise du réel
 Revenons à l’anglais évoqué quelques lignes plus haut pour qui ces jeux d’images de la langue existent tout autant. Ainsi, bobine et réel se prononcent presque de la même manière dans la langue de Shakespaere. De là à dire que, pour les anglais, le réel (real) est une bobine (reel) qui se déroule sans fin ? Je n’entrerais pas dans une évocation du jeu de la bobine [1] qui fait image pour ne pas dire écho à cette association et qui tendrait, à mon sens, à confirmer cette hypothèse.

 De même, toujours dans cette langue, avoir faim (to be hungry) et être en colère (to be angry) sont des termes phonétiquement très proches. L’une des manifestations courante de la faim est la colère, notamment chez les hypoglycémiques. De là à croire que, pour avoir incrusté cette image dans leur langue, les anglais affamés sont plus souvent en colère que les européens je ne sais et vous laisserais franchir ce pas. On peut aussi croire que les anglais sont plus souvent hypoglycémiques que les autres peuples européens.

En anglais, être en colère serait donc une image d’avoir faim ? Cette dernière image en miroir nous rappelle que le miroir déforme, en effet, dans ce reflet, une lettre change tout comme pour le senseur et le censeur. Finalement, avoir faim est une bonne raison d’être en colère. Mais est-ce autant la fin ? Pour revenir au français, parfois, la faim est la fin de tout.

© Hervé Bernard 2009

« Reel-Unreel » Kaboul, Afghanistan 2011, Francis Alÿs