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- L’ultime sensibilité de la photographie argentique

,  par Hervé BERNARD dit RVB

L’ultime sensibilité de la photographie argentique

Une découverte de l’équipe du LCP (laboratoire de chimie-physique, CNRS-Université Paris-Sud 11) a remis au premier plan la photographie argentique. Dès 1999, elle a réussi à doper les pellicules, afin de multiplier par dix leur sensibilité à la lumière. En dépit de ce bond considérable, à l’heure de la révolution de l’image numérique seules des niches spécifiques semblent devoir bénéficier de l’invention, notamment l’holographie.

Depuis son invention par Nicéphore Niepce il y a 180 ans, la photographie n’a cessé de se perfectionner : tant au niveau de l’optique de l’appareil qu’en ce qui concerne la fabrication et le développement chimique du film photographique (la pellicule à base de sels argentiques) qui font appel à des ensembles de procédés extrêmement ingénieux pour produire une image aussi fidèle et définie que possible.

© Hervé Bernard 2008-2016

Cependant, quels que soient les progrès réalisés, le principe de la photographie (littéralement « écriture de la lumière ») reste le même : il consiste à capturer d’une manière permanente sur un support sensibilisé à la lumière (photosensible) l’image d’un objet éclairé, transmise à travers l’objectif de l’appareil photographique. La recherche de matériaux plus photosensibles a été l’objet d’efforts constants afin de réduire le temps d’exposition. Aujourd’hui, le matériau de base utilisé dans les pellicules photographiques est le bromure d’argent : AgBr. Il s’agit d’un sel (Ag Br-) qui forme de minuscules cristaux ayant la propriété de noircir (par formation du métal argent) lorsqu’ils sont exposés à la lumière. Dans la pellicule, ces cristaux sont noyés le plus régulièrement possible dans une gélatine étalée sur un support transparent. Chaque petit cristal constitue un « pixel » qui sera ou non touché par la lumière. Comme ils mesurent moins d’un millième de millimètre, ils peuvent enregistrer l’image d’un objet avec une résolution extrême (plus de 100 millions de pixels dans une image 24 x 36 mm !). En conséquence, une image argentique supporte de très forts agrandissements sans perdre de sa précision (comme sur un écran de cinéma par exemple).

Malgré des progrès considérables dans la fabrication et le traitement des films, on estimait encore très récemment que 80 % de la lumière arrivant sur une pellicule classique ne conduisait pas au noircissement des petits cristaux et était donc perdu pour l’image. La cause ? Des réactions parasites qui utilisent une bonne part de l’énergie lumineuse au détriment du processus de formation de l’image. Cette perte de lumière limite énormément la sensibilité des pellicules photographiques, qui reste très loin de sa valeur optimale. Il fallait donc trouver un remède efficace à ces réactions parasites !

La photographie dopée
Pour résoudre cet épineux problème, les chercheurs de l’équipe de Jacqueline Belloni, du Laboratoire de physico-chimie des rayonnements, aujourd’hui composante du nouveau Laboratoire de chimie-physique (LCP ; CNRS-Université Paris-Sud 11), se sont attachés à comprendre les mécanismes intimes des processus mis en jeu dans l’interaction de la lumière avec les cristaux de bromure d’argent. Et ils ont pu proposer un antidote, le formiate, aux réactions parasites qui rendaient la lumière partiellement inefficace : introduit dans le film au moment de sa fabrication, il neutralise rapidement ces réactions. Ainsi, la totalité de la lumière reçue impressionne la pellicule, permettant d’atteindre enfin la sensibilité maximale… et même plus car le dopant choisi est capable de doubler les effets de la lumière ! Ce sans diminuer la résolution ni augmenter le voile, et en étant applicable à tous les types d’émulsions argentique. Sur un plan fondamental, c’est la première fois que l’énergie lumineuse absorbée par un système, quel qu’il soit, a été intégralement convertie photochimiquement.

La disparition de la pellicule I / Disappearing of the film II
© Hervé Bernard 2016

Ce fantastique bond en avant laisse attendre des performances nouvelles à la fois pour la photographie ou la cinématographie (noir et blanc ou couleur) : pellicule utilisable pour de très faibles éclairements, de très courtes poses - comme dans le ralenti au cinéma -, l’amélioration de la résolution, mais aussi dans les domaines de l’holographie (réduction des temps de pose) et de la radiographie (pour une même qualité d’image, les patients pourraient être exposés à des doses de rayons X dix fois moindres).

1 Le bromure d’argent, élément clé de la photographie argentique
Il y a 180 ans, Nicéphore Niepce inventait « l’héliographie » (procédé photographique de gravure). Pour sa première photographie, il dut attendre 3 à 4 jours de pose ! Depuis, la technique n’a cessé de se perfectionner tout en reposant toujours sur le même principe : il s’agit de former à travers l’objectif d’un appareil photo une image plane d’un objet éclairé et de capturer cette image d’une manière irréversible sur une surface photosensible (la pellicule). La photographie fait bien sûr appel à l’optique, mais tout autant à la Établissement photographique
chimie. Parallèlement à l’amélioration des optiques des appareils, des recherches ont donc été menées pour trouver des supports plus sensibles et dont le temps de réponse aux impacts lumineux soit plus rapide. Très vite, les sels d’argent s’imposèrent comme « le » matériau des pellicules photographiques.

Aujourd’hui, le matériau photosensible utilisé dans les pellicules photographiques est le bromure d’argent : AgBr. C’est un sel (Ag Br-) qui forme de minuscules cristaux. Dans la pellicule, ces cristaux sont noyés le plus régulièrement possible dans une gélatine étalée sur un support transparent. Chaque petit cristal constitue un « pixel » qui sera touché plus ou moins intensément (ou pas du tout) par la lumière, selon les plages d’ombre et d’éclairement. La formation de l’image photographique, sous forme d’un négatif, qui pourra être ensuite utilisé par transparence - comme un masque - pour réaliser un grand nombre de tirages en positif sur un papier photographique également photosensible, procède en trois temps :

- Exposition à la lumière : formation de l’image latente
certains petits cristaux de bromure d’argent sont touchés par la lumière. Cela provoque la transformation, pendant la brève ouverture de l’appareil photographique, de seulement quelques cations Ag (sur le très grand nombre, environ un milliard, de cations contenus dans un cristal) en atomes métalliques Ag. Une image est donc formée (les cristaux atteints par la lumière sont particularisés). Elle est bien trop ténue pour être visible, mais elle contient cependant en germe toutes les informations pour permettre de réaliser l’image à venir. C’est l’image latente.

© Hervé Bernard 2016

- Action du révélateur :
la différence entre les petits cristaux éclairés et non éclairés (ou trop peu) doit être considérablement amplifiée pour fabriquer une image visible que nous puissions regarder. C’est le rôle du bain de révélateur dans lequel le laboratoire de développement plonge les pellicules sorties de nos appareils. La chimie va prendre le relais du travail commencé par les premiers photons : les cristaux contenant quelques atomes d’argent de l’image latente seront complètement transformés en particules d’argent métallique noires visibles (ils seront « développés »).

- Fixage :
au cours de cette dernière étape, les cristaux trop peu éclairés - et donc non transformés en argent métallique lors de l’étape de développement - sont éliminés sélectivement par dissolution dans le bain de fixage et rinçage. Ces cristaux ne doivent pas rester sur la pellicule car ils pourraient être touchés par la lumière dès leur sortie du laboratoire de développement et noircir à leur tour.

Toutes ces étapes contribuent à l’efficacité du processus qui conduit à la capture d’une image sous la forme visible, même si la lumière n’intervient qu’au tout début et sur quelques cations seulement. Dans le négatif obtenu à la fin, les zones très éclairées sont constituées seulement de cristaux noirs, les zones d’ombre profonde sur le support transparent, et les gris sont donnés par des densités variables de cristaux tout noirs. Ce négatif servira de masque pour tirer ensuite de multiples positifs, éventuellement agrandis, sur un papier à fond blanc enduit aussi d’émulsion argentique et qui sera de même développé puis fixé.

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