Jardin des Tuileries et urbanisme.
Un ancêtre du Grand-Paris
L’urbanisme est une évolution naturelle du découpage des parcelles agricoles dans une association des sciences du territoire et de l’esthétique. En cela, la conception d’un lieu tel que le Jardin des Tuileries, au-delà du désir de Louis XIV d’ouvrir Paris à l’ouest, reste une référence pour notre pensée de l’urbanisme.
Comme le montrent la chronologie du Jardin des Tuileries et ces photographies, ce Jardin est la matrice de tous les jardins de Le Nôtre. C’est aussi un lieu beaucoup moins ordonné qu’il n’y paraît. Un lieu qui se permet, en s’appuyant sur cet ordre structurant, de donner naissance à un désordre tout aussi structurant mais, quant à lui seulement apparent. En effet, dès que l’on pratique une lecture moins codifiée des Tuileries, en utilisant pour cela d’autres axes, différents des axes qui semblent imposés au premier abord par Le Nôtre. On découvre alors un jardin dont l’ordonnancement apparaît proche des jardins à l’anglaise.
La perspective
La perspective, c’est découvrir un regard de travers et de traverse qui fait subitement surgir un empereur romain émergeant des branchages comme s’il croissait telle une plante mise en terre, il y a quelques siècles, par un jardinier plein d’espoir en son potentiel de développement. C’est découvrir ces axes discrètement proposés par Le Nôtre. Ainsi, c’est en abordant le Jardin par la rue de Rivoli, depuis la place du Palais-Royal, que l’on découvre un Retour de chasse levant un poing rageur au-delà d’une haie subitement transformée en une barricade symbolique. Mutation qui fait de ce Retour de chasse un personnage à la Gavroche tant célébré par Victor Hugo et accompagné par un majestueux Jules Ferry qui surveille au loin Waldeck-Rousseau ardant défenseur de Dreyfus et promulgateur de la loi légalisant les syndicats professionnels ouvriers et patronaux .
Aujourd’hui, parcourir ce jardin, c’est bien entendu découvrir cette perspective, moteur de la Renaissance et en même temps symbolisation matérielle de cette quête de l’infini ; de la découverte d’autres horizons matériels et immatériels issus de cette croyance en un monde en perpétuel mouvement, dans l’axe d’un avenir potentiellement radieux. C’est ce regard qui nous propulse en avant, vers cet infini toujours nouveau comme, ultérieurement, Charles Baudelaire aimera à le proclamer.
Un point focal
Se promener dans Le Jardin des Tuileries, c’est aussi découvrir un endroit unique où la perspective, grâce aux deux arcs napoléoniens, fonctionne dans une symétrie parfaite dont le point focal est l’obélisque de la place de la Concorde et où se répondent espace vert et ville dans une alternance sans rupture. C’est cette absorption naturelle de cet espace à l’origine impossible à intégrer puisque clos par le quatrième côté du Palais du Louvre qui fait ce miracle, non seulement de l’intégration sans coup férir de ces deux arches mais aussi du Jardin du Carrousel dans l’espace du Jardin des Tuileries.
Pas plus que la perspective, le Jardin des Tuileries n’est un espace figé. C’est un jardin qui ne peut exister sans l’espace qui deviendra les Champs-Élysées. Ce jardin est le fruit d’une vision urbaniste fondée sur la pensée de Le Nôtre et du Roi, mais repensée bien au-delà et notamment par les personnes en charge du développement de Paris au XIXe siècle. En cela, Louis XIV a gagné son pari bien au-delà de toutes ses espérances : Paris s’est bien développé à l’Ouest et bien au-delà de ses aspirations, puisque cet Ouest s’étend aujourd’hui jusqu’à La Défense. C’est là l’autre miracle des Tuileries : cette capacité d’intégration. Le jardin des Tuileries, lieu, où Nature et Culture ne s’opposent pas mais se prolongent et s’enrichissent dans un cosmos, où tout s’ordonne à la mesure de l’humanité.
Le Jardin des Tuileries est un modèle repris dans de nombreux lieux et bien au-delà du XVIIe siècle ; mais cependant dans une intégration ville-nature bien souvent moins réussie. Comment, ce modèle, dans cette période de développement du Grand Paris et, plus largement, d’élaboration d’un nouveau maillage urbain intégrant espace humain et espace vert, voire espace cultivé, peut-il être un des points d’appui d’une refondation de cet espace urbain qui caractérise notre humanité ?
Hervé Bernard Rvb 2014-2015