Les romans de Günter Grass ressemblent à des mythologies. L’Agfa Box ne dément pas cette coutume. Les mythologies sont des souvenirs d’histoires anciennes autre point commun avec les romans de Günther Grass. Comme la majorité des livres de cet auteur, l’Agfa Box interroge à la fois la fabrication des souvenirs mais aussi leur reconstruction. Cependant, pour la première fois, Günther Grass utilise une technologie comme révélateur de ce processus : l’appareil photographique. Certes, cette technique est simple puisqu’il s’agit de l’un de ces appareils sans réglage, qui illustrent si bien le slogan d’une marque concurrente : « appuyez et nous ferons le reste ».
Die Box, pour reprendre son titre allemand : la « boîte » qui aurait pu tout aussi bien être le titre français, en prenant comme modèle, un de ces appareils les plus simples, interroge cette quête du processus commémoratif qui repose, elle-aussi, sur une mythologie : celle de la photographie capable de transpercer les apparences pour nous révéler la réalité de nos souvenirs.
L’auteur transpose la question du point de vue (centrale dans la photographie) dans la création de ce processus commémoratif, en éclairant sa biographie d’un point de vue qui semble être celui de ses enfants.
Ce récit, comme nombre de récits de l’auteur du Tambour, est un montage, dans le sens photographique mais aussi cinématographique de souvenirs. Montage photographique car il superpose les souvenirs de chacun afin de décrire un instant oublié mais aussi montage cinématographique car, comme à l’accoutumé chez Günter Grass, la chronologie est une chose complexe dans ce désir de retracer le processus de construction du souvenir ainsi que dans son désir de comprendre la reconstruction du souvenir au sein d’un groupe. « Mon Agfa Box, c’est comme le bon Dieu : il voit tout ce qui est, ce qui a été et ce qui sera. Personne ne peut le couilloner. Son oeil perce à coeur. » [1] Ainsi, cet appareil photographique remonte jusqu’au XVIIe c’est-à-dire peu de temps après l’invention de la caméra obscura. Cette boîte diffuse une sorcellerie ambiante, rampante par ses talents de voyant plutôt de voyeur. « Il est omnivoyant mon Agfa Box. C’est dans l’incendie que ça a dû le prendre. » [2]
L’Agfa Box ne parle pas de la photographie dans le sens où aucune photographie prise par la nounou des enfants Grass ne sont décrites ou même présentées. Au mieux, certaines sont à peine évoquées et laissent imaginer qu’elles sont peut-être des photomontages réalisés dans la chambre noire ou ultérieurement avec une paire de ciseaux. Pourtant, ce livre, à longueur de pages, interroge le processus photographique en un concert à voix multiples. Concert qui construit la narration et permet aussi une évocation de nombre des livres de Günter Grass. Chacun d’entre eux étant un personnage peuplant cette histoire étrange.
Die Box nous amène à nous interroger plus globalement sur l’œuvre de Günter Grass. Celle-ci serait-elle inspirée par l’image verbale et picturale ? La question centrale de ce roman est celle de l’identité de cet appareil photographique. C’est-à-dire la question de l’identité de nos souvenirs.
Sa lecture achevée, une question demeure. Ce portrait en creux de l’auteur comment s’est-il construit ? ses enfants se sont-ils réunis entre eux pour tracer ou dessiner ce portrait ? A moins que l’auteur n’est imaginé ce dialogue notamment en s’inspirant des conversations passées et des présuposées opinions qu’ils sont susceptibles d’avoir à son propos.