Lors de l’apparition de la photographie numérique et encore actuellement, de nombreuses personnes glosent sur les différences entre le numérique et l’argentique. Pourtant, de manière plus discrète, l’apparition des automatismes (exposition et mise au point) sur les reflex, a été une révolution bien plus silencieuse et bien plus fondamentale.
Dans cette révolution, la première différence essentielle se situe entre la mise au point manuelle, l’autofocus et l’absence de mise au point. Cette dernière est une technique aussi vieille que le premier appareil photo Kodak. Dans le premier cas, par nécessité le photographe va choisir le point net, “ il fait le point ”, c’est-à-dire le point de référence qui déterminera l’ensemble de la plage de netteté de cette image. Choisir ce point, comme on l’oubli trop souvent, ce n’est pas seulement élire un point net, c’est déterminer à l’aide du diaphragme l’ensemble de cette zone appelée profondeur de champs (définition). Travailler, avec un auto-focus, c’est dans la majorité des cas, laisser l’automatisme choisir ce point de netteté. Bien entendu, il est toujours possible de ruser lorsque l’on utilise certains reflex autofocus. En ce qui concerne l’utilisation d’un appareil sans mise au point, comme le Kodak Instamatic, c’est abandonner ce choix à l’hyperfocal que l’on soit en numérique ou en argentique.
Choisir le point nous amène au réglage de l’exposition, l’autre automatisme. La majorité des utilisateurs considère que l’automatisme d’exposition ne concerne que le réglage de la quantité de lumière qui arrive sur le capteur ou le film. C’est oublier que cet automatisme paramètre aussi la netteté de l’image. Choisir entre la priorité à la vitesse et la priorité au diaphragme, c’est dans les deux cas laisser l’appareil déterminer en partie la netteté de l’image. Dans le premier cas, il imposera la vitesse et choisira donc la netteté de la saisie du mouvement, son aspect plus ou moins " figé ". Dans le second, en choisissant le diaphragme, l’appareil déterminera la profondeur de la zone de netteté de l’image. “ Accessoirement ” choisir de surexposer ou de sous-exposer une image, c’est opter pour une mise en valeur de ses parties denses ou de ses parties claires. Simultanément, ce choix d’atténuer, de supprimer ou de mettre en valeur certaines densités de l’image fera apparaître ou disparaître des détails plus ou moins importants. L’incidence de ces choix sur le rendu de l’image est identique que l’on soit en numérique ou en argentique.
La visée
Ces éléments nous amène à affirmer que la différence entre une photo argentique et une photo numérique toutes les deux faites avec un appareil reflex est moindre que celle entre une photo au sténopé et une photo faite avec un reflex argentique ou numérique. Pourquoi ? pour les motifs évoqués précédemment et parce que la visée de l’appareil détermine le mode de cadrage. Visée ventrale, visée à la hauteur des yeux, dépoli de la chambre ou encore visée sans viseur comme avec un sténopé ou à bout de bras avec le photophone détermine bien plus la photo que le passage de l’argentique au numérique. Pour une grande part, c’est le mode de visée qui déterminera l’angle de vue : plongée, contre-plongée, les yeux dans les yeux… Ainsi, avec un réflex, on portera naturellement l’appareil à la hauteur des yeux tandis qu’avec un viseur dépoli, tout aussi naturellement, le boitier se trouvera à la hauteur de la taille.
Avec le numérique, les fondamentaux de la photographie restent identiques. Photographier signifie toujours cadrer, éclairer, adopter un point de vue, choisir une focale et un format... La différence la plus notable entre l’argentique et le numérique se situe dans le traitement ultérieur de l’image, dans le laboratoire couleur numérique, terme que je préfère à celui de post-production. De fait, ce processus de tirage ou d’étalonnage pour reprendre un terme cinématographique appartient à la production de cette image. Il se fait ultérieurement dans le temps, comme toujours pour le tirage d’une photo (à l’exception du polaroid) mais appartient bien au processus de production de cette photo. Et là, l’apport du numérique est incommensurable et indiscutable. Que cet apport intéresse ou n’intéresse pas certains est un autre débat…
En effet, le laboratoire couleur numérique nous permet de maîtriser chacune des couleurs et ainsi de corriger par exemple le vert de l’herbe afin de réduire ou de supprimer le bleu du ciel qui s’y reflète. A quoi servent de telles corrections ? rendre cette image plus fidèle à notre perception de ce vert, mieux faire correspondre ce vert à notre souvenir de ce vert… [voir le développement consacré à ce sujet dans « Regard sur l’image »] Car tirer une image et donc intervenir sur les couleurs et le contraste, c’est travailler sur et avec notre mémoire, notre souvenir d’une scène mais, c’est aussi travailler avec notre imagination. Mais avant tout, cela nous permet d’accroître l’adéquation entre l’image produite et notre propos.
Cette disparition du mode manuel au profit de l’automatisme est bien plus déterminante que le passage de l’argentique au numérique. Certes des différences comme l’absence de grain, un modelé distinct existent. Mais, les modes automatiques et les modes de visée génèrent bien plus de différence entre deux images. La preuve, l’invention, par les premiers utilisateurs de compact numérique équipé d’un écran, de la visée à bout de bras reprise à tour de bras par les utilisateurs de photophone. Elle permet de vous mettre efficacement en scène grâce au contrôle en direct sur l’écran, ce qui n’était pas possible en argentique ou un reflex numérique sans écran. Certes, avec un retardateur, nous nous mettions déjà en scène mais, avec une bien moins grande maîtrise que celle obtenue avec la visualisation en directe sur l’écran.
Mais le temps passe
S’il est une rupture marquée entre le numérique et l’argentique et là encore, cette rupture était annoncée, c’est la disparition du levier d’armement. Celui-ci marquait une coupure entre les photos, aussi brèves soit-elle, c’était une rupture. Outre le fait de déplacer la pellicule, il marquait un temps mort après chaque prise de vues. C’était un moyen de passer à autre chose... à l’image suivante. Cependant, cette disparition était annoncée par les appareils motorisés. Le numérique, là aussi, n’a fait qu’accéiére, accentuer ce phénomène.
Cette rupture a-t-elle un équivalent en numérique ? Regarder l’écran au-delà de la vérification aurait-il la même fonction de transition, de passage à autre chose ? Cette disparition pourrait être une explication de la multiplication des prises de vue. Multiplication autrefois tempérée par la conscience qu’il allait falloir changer de pellicules à un moment ou un autre et en sachant que ce changement pourrait être l’occasion de manquer une photo.
Si mystère de la photographie argentique il y a, c’est celui du bac de révélateur, l’instant de cette apparition de l’image positive. Ce miracle de l’apparition progressive de l’image saisie. Cet instant pendant lequel on a l’illusion d’une impuissance pleine de puissance de potentiels. Impuissance car l’unique action envisageable est d’arracher le tirage du bac de révélateur, le plus rapidement possible pour la plonger dans le bain d’arrêt avant de la fixer afin de recommencer un autre tirage, en variant les temps d’exposition d’une ou plusieurs zones de l’image.
Certes quand l’on ouvre le fichier on retrouve une progression dans le développement numérique. Cependant, ici, l’image apparaît immédiatement en positif, elle vous est donné, on se retrouve dans une situation de découverte similaire à celle de la diapositive, cependant, à la différence du positif, ici les possibilités d’interprétation sont complétement potentialisées contrairement au tirage d’une diapositive qu’elle soit positive ou négative même si quelques tireurs comme Roland Dufau faiseint des miracles. Reste, que les corrections, en numérique, sont-elles aussi instantanées ce qui rend le choix final encore plus critique.
Cf Distance focale à la lettre D du Dictionnaire de la photonumérique (rubrique éponyme).
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Regard sur l’image, un ouvrage sur les liens entre l’image et le réel.
350 pages, 150 illustrations, impression couleur, format : 21 x 28 cm,
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