Regard sur l’image

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- Image et ressemblance (8) V2

,  par Hervé BERNARD dit RVB

1 Préliminaires
L’histoire de l’humanité, le montre clairement, l’homme a toujours joué avec l’image de son corps depuis les tatouages et les scarifications en passant par la chirurgie esthétique et les déformations de la boite crânienne. Les nobles chinoises aux pieds comprimées, les femmes Padongs (Birmaniie) au cou maintenu par des anneaux, les femmes saras-djingés aux plateaux labiales (Tchad), ornement que l’on retrouve chez les Vestales de la tribu des Nagarnooks (Australie), chez les femmes Mursi (Éthiopie) ou encore chez certains indigènes du Brésil (…) ; tous ces exemples sont là pour nous le rappeler.

Cependant, il est nécessaire de préciser que la question de l’anorexie est d’abord une question de société. En effet, cette maladie est apparue dans la en Occident et semblerait-il au XIXe siècle - à moins de n’appeler les femmes phtisiques (tuberculose pulmonaire) peintes par Lucas Cranach (fin du XVe), anorexiques- . Ensuite, cette maladie (mentale selon certains) débute bien avant la capacité de feuilleter l’une des revues incriminées pour la publication de photos de mannequins faméliques. La plupart du temps, les premiers symptômes de l’anorexie se manifestent au cours de la première année de la vie d’un enfant atteint par cette maladie.

2 L’image de la femme
Certes, il est fort probable que de jeunes adolescentes en mal de modèles s’identifient aux images de la mode et s’infligent un régime draconien. Cependant, plus largement comment se fait-il que notre société occidentale et plus particulièrement la société française aient inventé cette image de la femme anorexique ? Pour mémoire, la garçonne est une invention de la France des années 1920. Par ailleurs, comme le montre les exemples précédents, cette mode s’impose d’elle-même. Certes aujourd’hui, la puissance de ce diktat renforcée par le marketing est probablement supérieure à celle de la religion qui, la plupart du temps, cautionnait les transformations des corps.

Au passage, on remarquera qu’aucune femme présente aux concours de miss retouchées (par la chirurgie esthétique) en Hongrie (octobre 2009) n’est anorexique mais a, bien au contraire, des formes pleines [1]. Me vient alors une question : et si tous ces hommes qui nous dictent la mode n’aimaient pas la féminité contrairement à ce qu’ils affirment ?

Le 15 septembre 2009, un certain nombre de députés (cf la liste au bas de cet article) ont fait une proposition de loi relative aux photographies d’images corporelles retouchées. Au-delà ou en deçà de la question de notre rapport à la féminité, cette loi pose la question de notre rapport à l’image. En effet, le problème de cette loi, n’est pas dans une éventuelle atteinte aux droits des publicitaires ou encore à la liberté individuelle des créateurs et donc plus globalement à la liberté d’expression. Il réside dans le fait qu’elle laisse croire qu’il existerait des images ressemblant à la réalité. Cette question du mimétisme de l’image est vieille comme l’invention de la perspective et, c’est bien entendu, renforcée avec l’invention de la photographie et du cinéma.

Cependant, contrairement à ce que pourrait laisser croire une réflexion hâtive, elle concerne aussi le dessin et nous ramène à la question des caricatures de Mahomet ou de tout autre Dieu. En effet, croire qu’il existerait des images qui sont une copie fidèle de la réalité, car c’est ce que sous-entend la mention image retouchée, revient à croire qu’une caricature de Mahomet, du Christ ou de Yahvé est une offense à ses personnages religieux parce qu’elle les représenterait réellement.

De fait, cette mention oublie que photographier, c’est déjà retoucher. Le cadrage est une opération de suppression ou de sélection, mais aussi une opération de mise en scène car, attendre que le personnage qui passe dans le cadre se place au bon endroit de l’image (l’instant décisif de Henri Cartier-Bresson), c’est déjà mettre en scène. Le choix de sous ou sur-exposer est lui aussi une manière de supprimer et de mettre en valeur simultanément des éléments de l’image. Donc, la retouche commence dès la prise de vue. Choisir de photographier une femme en contre plongée avec une focale comme le 35 ou le 28 mm, c’est déjà choisir de lui allonger les jambes. De même, photographier un homme trapus, en plongée avec ces mêmes focales, c’est aussi accentuer cet aspect de son physique et donc le retoucher au sens du législateur puisque l’on transforme son aspect. L’image et, plus particulièrement la photographie, relate la réalité mais n’est, en aucun cas, une copie de la réalité. Arrêtons de vouloir faire croire qu’il y aurait une image vertueuse qui serait la copie de la réalité ce qui ferait d’elle une image honnête : celle du reportage au sens large par opposition à une image retouchée qui serait malhonnête voire perverse... La photographie et la retouche sont nées main dans la main et l’on a pas attendu Photoshop pour faire de la retouche. Les yeux des premiers portraits photographiques étaient retouchés car ils étaient flous suite à des temps de pose trop longs. Pendant des années, les photographes faisaient des descentes au ferricyanure pour adoucir le contraste d’une zone ou de la totalité de l’image et ainsi atténuer le grain de peau.

Par ailleurs, on ne pourra jamais empêcher un être humain qui le souhaites de confondre désir et réalité c’est-à-dire de confondre image et réel comme nous l’explique Blanche-Neige qu’il faudra aussi censurer car c’est l’histoire d’une femme qui prend son image et l’image d’une jeune fille pour le réel (notre reflet est l’une des premières images que nous rencontrons). Au fait, n’oublions pas non plus de condamner Narcisse qui ne nous a pas attendu pour se condamner lui-même. De fait, il s’est noyé en voulant saisir son reflet.

3 De ces deux images, laquelle est la moins truquée ?
Pourtant, aucune des deux images n’est passée dans Photoshop, seule la profondeur de champs varie en fonction du diaphragme sélectionnée. Diaphragme qui fait légèrement varier le contraste de l’image.

Faible profondeur de champs
Le diaphragme est ouvert au maximum. Cette ouverture maximum correspond à la plus petite valeur numérique (1,4 - 1,8 - 2 par exemple).
Forte profondeur de champs
Le diaphragme est fermé au maximum

Illustration dynamique des liens entre la profondeur de champs, la focale et le diaphragme.

4 Épilogue au 05/05/2017
Un décret précise l’obligation de mentionner « photographies retouchées » lorsque la silhouette des mannequins est affinée ou épaissie

Pris en application de l’article L. 2133-2 du code de la santé publique, introduit par l’article 19 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, le décret n° 2017-738 du 4 mai 2017 fixe les modalités d’application et de contrôle de l’obligation d’accompagner les photographies à usage commercial des mannequins dont l’apparence corporelle a été modifiée (pour affiner ou épaissir leur silhouette) de la mention « photographies retouchées ».

Le texte identifie les types et supports de communication visés par cette obligation, qui entrera en vigueur le 1er octobre 2017 : par voie d’affichage, par voie de communication au public en ligne, dans les publications de presse au sens de l’article 1er de la loi n° 86-897 du 1er août 1986 , dans la correspondance publicitaire destinée aux particuliers et dans les imprimés publicitaires destinés au public. Le décret définit également les modalités de présentation de la mention « photographie retouchée » et précise les responsabilités des acteurs. Ainsi, la mention doit être apposée "de façon accessible, aisément lisible et clairement différenciée du message publicitaire ou promotionnel". La présentation des messages doit en outre "respecter les règles et usages de bonnes pratiques définis par la profession, notamment par l’autorité de régulation professionnelle de la publicité".

L’annonceur doit veiller au respect de ces obligations. A cette fin, il "s’assure que les photographies à usage commercial qu’il achète en direct ou par l’intermédiaire de différents prestataires ont fait l’objet ou pas d’une modification par un logiciel de traitement d’image afin d’affiner ou d’épaissir la silhouette du mannequin".
5 mai 2017 - Légipresse N°349

PS
Au passage, vous remarquerez le petit c du copyright précédé du mot Assemblée Nationale à la fin du texte de loi publié dans son intégralité ci-dessous. Cette mention étrange indique que le législateur ne connait pas toujours bien la loi qu’il vote, en l’occurrence, ici celle sur le droit d’auteur.

Interview sur RFI