Les prémisses de la conservation
Ce roman historique narre les prémisses de la conservation des monuments, l’invention de leur restauration et de l’institution Monuments Historiques vus par Emily Dingham, une charmante, aimable anglaise pilleuse de monuments parfois un peu perfide et manipulatrice, souvent éblouissante enjouée et très bonne commerçante pourvoyeuse de ses compatriotes en pièces rares. Elle côtoie tout ce que la société française du XIXe compte comme inventeur et penseur du concept : monument historique ainsi que de sa restauration. Ce concept occidental sera ultérieurement exporté, au vingtième siècle, à travers le monde tout comme la perspective le fut précédemment.
Cette époque inventa le musée avec Cluny qui succéda au premier essai italien pour devenir avec l’invention du Louvre le musée tel qu’il fut et est encore pensé par l’Occident. Les portes de cette invention s’ouvrirent simultanément vers l’extérieur peu après l’invention de la photographie, avec la première mission photographique commandée par Prosper Mérimée.
À travers cette invention sera revisitée la définition de l’auteur comme créateur d’une œuvre. Définition qui reste malgré tout très souple au regard de l’évolution de ce concept devenu parfois trop scrupuleux dans son respect de l’œuvre si tant est que ce respect soit possible, surtout dans le domaine architectural. Les matériaux, les méthodologies évoluent... Les plans sont parfois égarés ou, encore devenus, incompréhensibles et il faut donc faire avec ce manque et parfois nous nous sentons proches de l’action de Mérimée et Viollet Le Duc. En effet, toute interprétation -et une restauration est nécessairement une interprétation- est condamnée à l’anachronisme. À la lumière de cet ouvrage, deux personnages, Mérimée et Viollet le Duc, sortent grandis.
Emily à la foi compagne de voyages de Prosper, observatrice des mœurs de la vie intellectuelle parisiennes qui se déplace parfois à Guernesey, Jersey ou encore Bruxelles au gré des exils. Emily Dingham nous révèle le rôle de l’autre inventeur des monuments historiques, Eugène Viollet-le-Duc. Viollet-le-Duc qui, à force d’escalader les monuments à restaurer, se mit à rêver à d’autres cîmes plus inaccessibles pour devenir l’un des précurseurs de l’alpinisme à moins que cela ne soit par dépit et lassitude de tous ces hommes qui trouvaient intolérables d’être dirigé par un confrère même pas sortie de l’École des Beaux-Arts, ce qui fut son premier trait de génie de cet homme car lui donna la liberté de penser autrement les monuments du Moyen-âge.
En arrière-plan de ce roman, à travers Emily et Valentine, nous assistons aux prémisses de la ’’libération’’ de la femme. Valentine, si proche et si lointaine d’Emily, femme du préfet de Paris, puissante, agissant de ses charmes ; en sous-main accompagnée par un mari aveugle de cet aveuglement consentant sachant tout le parti qu’il pourra tirer de cette chasseuse d’hommes importants. Valentine qui gratifie chacun de ses amants d’une légion d’honneur signe de leur abandon proche. Valentine que l’on se prend à imaginer, même si aucun indice ne permet de l’affirmer, être la femme qui se dissimule derrière Emily pour narrer cette histoire. Valentine transformant subitement « Une aventure Monumentale » en un roman de Salon narré par Valentine déguisée en Emily et se jouant de la mise en abîme en se dissimulant derrière cette collectionneuse avisée. Collectionneuse, elle l’était l’une et l’autre même si Valentine se contenta de collectionner les hommes qu’elle honorait du titre de membre de l’Académie en récompense de leurs loyaux services.
Emily s’amuse et joue des travers de tous ces hommes qui lui courent après et plus particulièrement de Toto, surnom affectueusement ridicule qu’elle donne à Victor Hugo. Ce qui n’exclut pas une affectueuse et compréhensive tendresse entre cette femme et les hommes qu’elle a aimé qu’ils s’appellent Hugo, Viollet-le-Duc, … et plus particulièrement Prosper Mérimée, compagnon putatif si son côté Valentine s’était développé.
Cette observation par le petit bout de la lorgnette ne lui interdit pas de nous rappeler comment Louis-Bonaparte sauva Avignon, façonna Paris, inventa aussi l’Élysée avant de devenir Napoléon III après un coup d’état qui résonne étrangement dans nos esprits contemporains. Cette homme façonna notre Paris à un point que nous n’imaginons pas bien au-delà des boulevards et des espaces publics avec le Parc des Buttes Chaumont, le Bois de Vincennes et le Bois de Boulogne. En effet, rien que pour l’Île de la Cité, il accepta la destruction d’une trentaine d’églises. Napoléon III urbaniste mais aussi paysagiste les Landes, la Sologne, la région de Biarritz...
Un parcours au galop d’une anglaise cavalière à travers les 70 années du XIXe siècle correspondant au règne de Prosper Mérimée sur les monuments et à celui de Victor Hugo sur la pensée française.Un roman à lire afin de mieux comprendre quels sont les enjeux artistiques et politiques afférant à cette invention. Ce roman contient aussi les fondations de la pensée d’André Malraux dans ce domaine et montre comment, il fut le successeur de ces hommes.
Une aventure monumentale
Olivier Dutaillis
Roman
Albin Michel 2017