Allocution prononcée par Bernard Perrine [1], en ouverture du Colloque sur la photographie
Pour célébrer le trois cent cinquantième anniversaire de la fondation de l’Académie des sciences et le deux cent cinquantième anniversaire de la naissance de Nicéphore Niépce, Jean-François Bach, Secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences, a décidé d’organiser un colloque sur la photographie, dans une séance commune avec l’Académie des beaux-arts. Ce colloque se déroula dans la grande salle des séances le mardi 15 décembre 2015.
Après avoir rappelé, le rôle primordial que jouèrent les Académies dans la découverte et la diffusion de la photographie, Jean-François Bach exposa le programme de la journée élaboré par Gérard Berry pour l’Académie des sciences et Bernard Perrine pour l’Académie des beaux-arts.
Depuis 350 ans l’Académie des sciences a eu le privilège de révéler un nombre considérable d’inventions qui ont transformé nos modes de vie.
La gravure sur bois de Louis Figuier datée de 1869, intitulée « La photographie » et conservée par la Société française de Photographie, est censée montrer François Arago (1786-1863), physicien, secrétaire perpétuel de l’académie des sciences, homme politique, révélant et faisant don au monde de l’invention que Louis Jacques Mandé Daguerre (Cormeilles-en-Parisis 18 Novembre1787, Bry-sur-Marne 10 juillet 1851) avait modestement dénommée daguerréotype par analogie au grec « tupos » impression.
Mais, comme le disait Nadar (1820-1910), un peu méchamment, elle aurait dû s’appeler « Niepcétype ». Cependant, elle sera très vite appelée photographie, littéralement écrire ou peindre avec la lumière. Un mot dépourvu d’antonyme dont on attribue l’origine à Hercule Florence (Nice 1804 – Campinas 1879), inventeur français exilé au Brésil qui aurait baptisé son procédé négatif/positif du nom de photographie dès1833. Mais les historiens préfèrent en attribuer l’origine à Sir John Frederick William Herschel (1792-1871) qui l’employa dès 1836, tout comme les termes négatif et positif.
La communication de François Arago eut lieu lors de la séance publique de l’Académie des sciences du 19 août 1839, comme le montre la gravure de Louis Figuier, dans la salle qui accueillit ce colloque le 15 décembre 2015.
De nos jours, nous pourrions dire que cette saga du daguerréotype, dont Arago consignera la version définitive dans le tome 4 de ses « Notices scientifiques » [2], pourrait être considérée comme le premier « open source » au monde. Si nombre d’historiens retiennent cette date comme point zéro de l’histoire de la photographie, c’est parce qu’elle a l’avantage de se référer à un procédé stable, largement médiatisé et dont l’impact mondial immédiat accréditera son opportunité et sa nécessité. Le Journal des Débats daté du 20 août 1839, relatant cette fameuse séance, nota que « Artistes et savants se pressaient aux portes depuis trois heures pour entendre la révélation du secret et pour voir les trois tableaux exécutés par les procédés de Monsieur Daguerre… »
1 Des commémorations qui viennent interroger l’histoire de l’invention
En cette année de commémoration, c’est sur l’histoire ou plutôt les histoires (ce qui justifie le (s) du titre) et les interrogations qui entourent les origines de cette invention que nous nous focaliserons, car elles relèvent d’un véritable roman à suspens qu’il faut replacer dans son contexte scientifique, social, politique et culturel.
Camille Bonnefoi résume cela dans son texte « Contre l’histoire de la photographie » [3] comme une « guerre ontologique qui déchire la photographie dès ses origines, bien avant la querelle sur son statut d’œuvre artistique… » Et l’historienne et critique d’art Ennery Taramelly ne vient-elle pas de publier Le roman de Daguerre, l’artiste qui fixa le temps. Objet d’une vingtaine d’années de recherches, l’ouvrage permet de cerner la personnalité aussi complexe que mystérieuse d’un homme passionné par l’ésotérisme et les sciences occultes qui va jusqu’à coder le mystère de son invention dans ses daguerréotypes de natures mortes. La lecture de l’ouvrage nous plonge également dans ce climat si particulier des débuts de ce XIXe siècle foisonnant d’inventions, au milieu de publications d’écrivains comme Balzac, Gérard de Nerval ou Victor Hugo mais aussi d’intrigues et de crises politiques.
2 Mais aujourd’hui, nous commémorons Niépce, auriez-vous raison de dire ?
La commémoration nationale qui concerne notre année 2015 se rapporte en effet au 250e anniversaire de la naissance de Joseph Nicéphore Niépce qui, selon les registres de l’État civil, naquit le 7 mars 1765 à Chalon-sur Saône, au cœur de la Bourgogne. Manuel Bonnet, descendant de la lignée Niépce, qui a conduit depuis 1982 les investigations sur les recherches et inventions de ses lointains aïeux, vient d’ailleurs de publier, avec Jean-Louis Bruley Niepce, « une autre révolution » [4]. Il rappelle que cette commémoration vient honorer le génial inventeur qui, « À l’ombre du grand Carnot, a mis au point le premier moteur à combustion interne explicitement baptisé "pyréolophore".
« Et qu’il a aussi, en passant par la photogravure, avatar de son idée fondamentale, inventé l’héliographie, principe premium de ce qui deviendra la photographie, telle que Nicéphore Niépce l’a lui-même consigné, dans sa lettre du 16 septembre 1824 à son frère Claude.… malgré cela, j’ai la satisfaction de pouvoir t’annoncer enfin, qu’à l’aide du perfectionnement de mes procédés, je suis parvenu à obtenir un point de vue tel que je pouvais le désirer … ».
Ces intrigues et revendications concernant l’invention de la photographie sont clairement mises en lumière par les différentes commémorations qui, en dehors des rappels mémoriels, soulignent polémiques et controverses et mettent ainsi en évidence les multiples inventions de la photographie.
Tel est à la fois le paradoxe et l’intérêt de ces commémorations qui viennent éclairer l’histoire, comme l’a montré Eléonore Challine dans un article intitulé « La mémoire photographique » publiée dans la revue Études photographiques (numéro 25). Qu’on en juge ! En effet, « Selon que l’on se trouve à Paris ou à Berlin, à Londres ou à New York, le mois, le jour ou l’objet de la commémoration varie. »
C’est ainsi que le cinquantenaire de l’invention fut célébré à la Royal Society le 30 janvier 1889 pour commémorer le jour où le britannique William Henry Fox Talbot (1800-1877) présenta ses premiers résultats, tenus secrets depuis 1835, aux membres de cette même société.
Le 30 juillet de cette même année 1889, à Berlin, on célébra le Jubilé du don au monde de la découverte de Daguerre. À Paris, à la même époque le « Jubilé des premiers fidèles » réunit l’élite du monde photographique dans les salons prestigieux de l’Hôtel Continental pour la soirée de clôture de l’Exposition et du congrès international de photographie.
Ce titre de Jubilé lui a été donné par l’astronome Jules Janssen (1824-1907), directeur de l’observatoire de Meudon, qui qualifia cette fête de « Jubilé des premiers fidèles, des apôtres, de ceux qui ont reçu la première initiation et combattu pour répandre la doctrine… »
Plus tard, en 1933, on commémorera le centenaire du décès de Niépce et en 1937, le 150e anniversaire de la naissance de Daguerre. Auparavant, sous l’influence de Georges Potonniée (1862-1949), après quelques polémiques et des tergiversations politique et logistique, on célèbrera un premier centenaire de la photographie en 1925 avec la volonté de réhabiliter la mémoire de Niépce en avançant la date de l’invention à l’année 1822 [5]. Date qui sera reprise sur le panneau placé à l’entrée de St-Loup-de-Varennes, village dans lequel l’inventeur décéda en 1833.
Cette date sera contestée par Helmut Gernsheim (1913-1995) dans l’édition anglaise de son Histoire de la photographie parue en 1977. Il y impose la date de 1826 avant de se rallier en1982 [6] à celle de 1827 révélée par une note manuscrite retrouvée au dos d’une épreuve, donnée par Nicéphore Niépce, au botaniste anglais Francis Bauer. Ce ralliement atteste l’intention d’Helmut Gernsheim de mettre en avant l’invention de Niépce.
En 1939, Georges Potonniée, contraint par la pression internationale qui va célébrer le centenaire de la proclamation de l’invention aussi bien à Londres qu’à New York, invoque un choix nationaliste qui doit mettre en avant le caractère français de l’invention et c’est pourquoi il opte pour cette date. Il implique simultanément la Société française de photographie, qui organisera là sa dernière manifestation d’envergure internationale. Pour le justifier, il insiste sur le fait que, si 1925 a commémoré la découverte de la photographie, 1939 célébrera le centenaire de la divulgation, correspondant « aux débuts publics de la photographie ».
C’est dans cet esprit que cette célébration fut organisée le 7 janvier à la Sorbonne en présence de Monsieur Albert Lebrun, Président de la République, et sous la présidence de M. Jean Zay, Ministre de l’Éducation nationale. Président du Comité du Centenaire de la Photographie, Georges Potonniée retraça l’histoire des origines et justifia cette nouvelle date du 7 janvier, qui correspondait à l’annonce de la découverte du daguerréotype, faite par François Arago à l’Académie des Sciences. Paul-Louis Roubert, dans une récente publication [7] note que c’est plutôt « l’exposé des motifs et des projets de loi », présenté par Tannegui Duchâtel, Ministre de l’Intérieur, à la Chambre des Députés le 15 juin 1839 qui représenterait l’étape officielle du procédé législatif.
L’importance du discours de Paul Valéry sera là pour conforter la photographie dans l’institution. Même de commande, comme beaucoup de ces textes de circonstance, ce discours, signé par le fameux « tout le reste est de circonstance », introduit ce que François Brunet analysera plus tard dans son ouvrage La naissance de l’idée de photographie. Il introduit quoi ?
Les passages sur la réalité et l’authenticité de l’image et la conscience de ses pouvoirs ne sont d’ailleurs pas sans rappeler les « idées prophétiques de Walter Benjamin sur la puissance idéologique de la photographie et son rapport au pouvoir. » Quant à Jean Zay, son intervention réaffirmera une nouvelle fois que la photographie devait être considérée comme un art ! Ultérieurement, Helmut Gernsheim rapporte dans le premier numéro d’History of Photography que quelques « admirateurs zélés continuèrent à célébrer le cent cinquantenaire en 1972 à Chalon-sur-Saône ».
Après, la commémoration du bi-centenaire de la naissance de Daguerre [8] en 1987 par la ville de Cormeilles en Parisis, le cent cinquantenaire du don du procédé au monde amorcera une sorte de synthèse, préfigurant l’avenir du medium.
3 Le 150e anniversaire ouvre une nouvelle ère sur la recherche
Ce 150e anniversaire se déroula le 11 mai 1989, trois mois avant la date anniversaire de la déclaration d’Arago. Dans cette même salle, Monsieur Jean Auboin, Président de l’Académie des Sciences et de l’Institut de France, accueillit Monsieur Mac Irvine, doyen du College of Graphic Art and Photography de Rochester et Francis Quiers, Pdg de Kodak-Pathé qui assurait la logistique de cette réunion. Retraçant l’histoire de la découverte et du don au monde de l’invention de Daguerre, le Président Auboin rappela le travail de Bayard dédaigné par Arago « pourtant aussi important que celui de Daguerre. Que ce serait-il passé si Bayard avait été l’ami d’Arago », interrogea t-il malicieusement ? Dans le même temps, les élèves du Rochester Institute of Technology réalisaient un daguerréotype, à l’imitation de celui de 1839, qui fut transmis en temps réel par un satellite de communication et reçu Quai de Conti à 18 heures 30, (12 heures 30 à Rochester), sur une imprimante thermique XL 7700.
Symboliquement, M. Mac Irvine l’offrit à la France en remerciement tandis que M. Francis Quiers concluait de façon prémonitoire « l’invention de la photographie a ouvert la voie à une civilisation différente et le troisième millénaire sera encore plus qu’aujourd’hui celui de l’image. »
Pour clore ce chapitre des commémorations, il conviendrait d’ajouter que la France a voulu délibérément ignorer l’an dernier la célébration du 175e anniversaire du don alors que l’Allemagne en a fait l’emblème de Photokina (salon mondial des techniques photographiques). En 2016, devrait-on commémorer le bicentenaire des premières recherches de Nicéphore Niépce, en 2017 les 130 ans du décès d’Hippolyte Bayard, « un fâcheux » selon les propres termes d’Arago. Célèbrera-t-on le bicentenaire de l’invention en 2016, en 2024 ou en 2027 ?
Peu importe ! La photographie fait tellement partie de notre civilisation de l’image que ses conditions d’émergence paraissent, aujourd’hui, au plus grand nombre presque secondaires. Pourtant, encore de nos jours, un certain nombre de contradictions resurgissent parfois avec la même virulence qu’aux origines [9] comme en témoigne cet exemple : « les historiens on triché honteusement avec Hippolyte Bayard (Janvier 1801- mai 1887) ». Sans pousser leur goût naturel du faux jusqu’à escamoter son œuvre, ils placèrent Bayard en seconde ligne, comme le miteux employé du ministère des Finances qu’il fut, capable d’inventer la photographie, mais capable seulement d’obtenir une aumône de six cents francs.
En suivant les traces d’Arago, les historiens astiquèrent leur plume pour Daguerre, parlèrent de Niépce les dents serrées, comme d’un ancien trépassé, et reléguèrent Bayard au loin... avec ses « dessins photogénés », montrés le 5 février à César Despretz, futur membre de l’Institut. Chacun voyait l’autre comme un usurpateur. En 1841, dans Historique de la découverte improprement appelée daguerréotype, précédée d’une notice de son véritable inventeur Joseph-Nicéphore Niépce Isidore Niépce dénonce en quelque sorte un vol de l’invention. En 1867 Victor Fouque réitère ses attaques en le désignant comme un « escroc sans scrupule ». « Sic vos non vobis - tulit alter honores Bathylle » (Virgile).
Mais, dans le même temps d’autres auteurs certifient que sans Daguerre, il n’y aurait pas eu d’invention. C’est certainement ce qui permettait à Raymond Lécuyer d’écrire dans son Histoire de la photographie parue en 1946 : « Dans la vie, les Niépce ont besoin des Daguerre. Si le chercheur solitaire du village bourguignon n’avait pas connu le peintre du Diorama, qui sut tirer parti de ses longues recherches, sa découverte était à jamais perdue pour l’humanité et ses essais eussent été la proie des rats ».
4 Une invention, des inventeurs
Si les commémorations peuvent faire prendre conscience des multiples sources qui jalonnèrent l’invention, elles livrent en même temps les éclairages nouveaux apportés par les recherches récentes qui sont venues rectifier ou balayer d’autres histoires souvent sans fondement. Sans réinventer l’histoire de l’invention, elles essayent modestement de retracer et d’éclairer ses origines à travers les textes, l’événement ne s’avérant finalement que comme une cristallisation de structures.
Il faut souligner le fait que la fulgurance de l’invention empêche souvent de se préoccuper de son histoire. Actuellement, et toujours pour l’image photographique, avec l’explosion du numérique nous sommes témoin, d’un phénomène similaire. Il faut remarquer également que dans ces périodes d’avancées scientifiques, deux des inventions qui ont bouleversé nos modes de vie, la photographie et la micro-informatique, sont nées l’une dans la soupente d’une maison provinciale et l’autre au fond d’un garage ou d’un placard de la société IBM.
Le colloque organisé en 1988 pour le cent cinquantième anniversaire du don de la photographie a mis en exergue ce foisonnement, c’était d’ailleurs son propos et son titre : « Les multiples inventions de la photographie » [10] Dans sa contribution « Hasard ou déterminisme inéluctable », Sylvain Morand y relève quelque dix-huit personnes, dont Hercule Florence, qui auraient d’une manière ou d’une autre réussi à produire et à fixer des images, à commencer par Wegdwood et Davy en 1802 et l’auteur de ce texte pourrait même ajouter en 1799, l’intuition de James Watt (1736-1819), les recherches de l’anglais William Hyde Wollaston (1766-1828) qui travailla en 1811 sur les transformations à la lumière de la résine de gaïac mais qui ne fit pas le lien entre la photochimie et l’optique, bien qu’ayant inventé le verre ménisque pour améliorer la qualité de l’image de la chambre noire. Sans compter toutes les expériences qui furent tentées mais dont on n’a aucune trace car elles n’aboutirent pas.
Lors de ce même colloque, Paul Jay cite la conférence d’Alphonse Davanne : « Invention et applications de la photographie », prononcée le 22 novembre 1891 à la Société française de photographie. On remarquera que le mot « invention » y est écrit au singulier dans le titre, pourtant il (qui est-il ?) conclura. « Il y a donc trois premiers inventeurs de la photographie : Nicéphore Niépce qui voulut et sut fixer l’image de la chambre noire et qui a obtenu les premières photogravures. Daguerre qui découvrit l’image latente, sans laquelle, toute la photographie disparaîtrait et Fox Talbot qui, en Angleterre, inventa la photographie sur papier et le type négatif permettant la multiplication indéfinie des images. » Il voulait signifier par là que s’il n’y a eu qu’une seule invention, il y eu plusieurs inventeurs. En s’appuyant sur les écrits et les correspondances connues, Paul Jay initie une reconnaissance des travaux de Niépce, mais les travaux sérieux interviendront après ce colloque de 1891.
Tout résulte de la lecture et de la compréhension des Lettres.
Sous l’égide de la Maison Nicéphore Niépce, Manuel Bonnet et Jean-Louis Marignier publièrent le 5 décembre 2003 Niepce, Correspondance et papiers [10], deux volumes de 1600 pages rassemblant sept cents documents, inédits pour la plupart d’entre eux, couvrant la période 1761 à 1842. Une documentation unique réalisée avec le concours de Spéos et Pierre Yves Mahé qui assurèrent sa mise en ligne sous le parrainage de l’Académie des Sciences et de l’Académie des beaux-arts.
À partir de l’année 1989, intrigué par les nombreuses incertitudes et contradictions, le docteur Jean-Louis Marignier, chercheur au laboratoire de chimie physique du Cnrs, orientera ses recherches vers la redécouverte des procédés de l’invention de Niépce qu’il consigna dans un ouvrage fondateur Niépce, l’invention de la photographie, paru en 1999 [11], dont il fit communication, lors de la séance du 25 juin 2008 à l’Académie des Beaux-Arts.
Ces redécouvertes se firent après une lecture minutieuse des correspondances de Niépce échangées principalement avec son frère Claude et avec Daguerre. Correspondances dont, le professeur Mariginier dit : « il a fallu apprendre le sens de phrases à priori obscures ». Du décryptage des lettres échangées avec Daguerre, il fit renaître un procédé inconnu le Physautotype, une évolution de l’héliographie qui permit à Daguerre de mettre au point le daguerréotype.
Ces découvertes répondent aux questions que se posait déjà Monsieur Thierry en 1847, dans le préambule de son ouvrage Daguerréotypie : franches explications : « Quand on voit quels prodiges opèrent une découverte, n’est-il pas du plus grand intérêt de savoir quelle fut l’idée mère, la première idée ? Quels furent sa marche et ses développements ? »
5 « Pourquoi, l’invention de la photographie a-t-elle attendu le début du XIXe siècle pour être révélée ? »
Une interrogation qui croise celle de chercheurs contemporains.
– Pour Sylvain Morand, elle apparaît comme « une nécessité historique et doit être considérée comme le premier aboutissement d’un processus ancré dans le XVIIe siècle. »
– Pour Jean Alain Lesourd et Claude Gérard « L’invention est rarement due au hasard notent-ils dans la Nouvelle histoire économique (1976), elle répond à un besoin profond, à la fois économique et intellectuel »
– Pour d’autres, comme Peter Galassi, les origines de la photographie seraient à considérer comme un enfant légitime de la tradition picturale occidentale et non comme un bâtard de la science.
Dans l’exposition « Before photograpy » qu’il a présentée au Moma de New York en 1981, il appuie sa démonstration en présentant les prolégomènes de la photographie dans la peinture « innovative » représentée par les paysages de John Constable, Corot et leurs contemporains. Dominique de Font Réaulx développera ce point dans l’ultime communication de ce colloque « Photographie et peinture ».
Du mythe de la caverne aux descriptions de Thiphaine de la Roche en passant par la légende de la « jeune Corinthienne » (anecdote étiologique de Marcus Vitruve dans son De architetura, IV,1,9), l’histoire de l’homme a été hantée par la recherche de la possibilité de fixer les images engendrées par la lumière et plus particulièrement celle de la « figure humaine ».
Pour mémoire, nous rappellerons les origines lointaines de la Camera obscura avec ses origines grecques : le sténopé de stenos, étroit et opê, trou, dont parle Aristote quatre siècles avant notre ère (384-322 av. JC). Après les Arabes au Xe siècle, Léonard de Vinci en décrivit le fonctionnement en 1515 avant que Gerolamo lui ajoute une lentille (« de préférence convexe ») en 1550, et Daniel Barbaro un diaphragme en 1568.
Dans son ouvrage Niépce, l’invention de la photographie, Jean-Louis Marignier souligne la première controverse qui a fait du napolitain Giovanni Battista Porta l’inventeur de la chambre obscure en se basant seulement sur le fait qu’en 1604, Johannes Kepler (1571-1630) avait écrit dans Ad Vitellionem Paralipomena que « Porta lui avait appris ce qu’était la chambre obscure ». Assertions qui furent reprises par l’abbé Nollet dans ses « Leçons de physique expérimentale » en 1743, dans l’encyclopédie de Diderot et d’Alembert publiée en 1753 et par François Arago qui la reprit dans son discours d’août 1839.
C’est la « camera attica », largement utilisée par Canaletto, mais considérablement réduite et munie d’un miroir incliné à 45° que Nicéphore Niépce utilisera à son tour à Saint-Loup de Varennes. Il faudrait également mentionner le Physionotrace cité par Gisèle Freund dans la première thèse consacrée à la photographie [12]. Lequel, Physionotrace, « s’il n’a rien à voir avec la découverte technique de la photographie, devrait, selon son auteur, être considéré comme son précurseur idéologique. »
Pour comprendre la genèse de cette découverte, il convient aussi de la replacer dans ce contexte historique qui vit l’éclosion des inventions et des inventeurs. Un contexte issu de la Révolution française et des lois promulguées les 7 janvier et 25 mai 1791 qui assuraient pour la première fois la protection des inventeurs et de leurs découvertes.
Une époque durant laquelle les inventions de toutes sortes proliférèrent. Des inventions liées à la guerre car, n’oublions pas qu’en 1792, la France était attaquée de toutes parts. Mais aussi à la communication, comme le télégraphe de Claude Chappe qui va dans le sens révolutionnaire de la circulation des idées qui avant, était plutôt une affaire d’imprimeurs. Ou celle de François-Ambroise Didot qui brevette un procédé pour la fabrication de caractères typographiques. Ou encore la mise au point de la presse à papier et, outre-Rhin, la lithographie inventée en 1796 par Aloys Sennefelder. Cette technique d’impression à plat permettant des reproductions multiples sera importante pour les découvertes de Nicéphore Niépce.
6 La chimie remplace l’alchimie et chasse le « phlogistique »
Dans ce concert d’inventions, on notera que la découverte de l’héliographie donc de la photographie occupe une place à part. Contrairement aux autres inventions qui se concentrent autour d’une seule discipline elle effectue la liaison entre deux disciplines l’optique-physique et la chimie. Et, comme le relève Jean-Louis Marignier, elle occupe, à une époque où la chimie est en train de naître un domaine très particulier « où l’on ne s’occupe pas seulement de faire réagir des produits chimiques entre eux mais où l’on provoque aussi des réactions au moyen de la lumière », comme le démontraient les recherches d’Antoine Lavoisier. Une quête quasi-unique qui consistera à faire agir la lumière sur des substances pour en conserver une trace visible.
Il semble que Nicéphore Niépce ait compris que la chimie naissante prenait la place de l’alchimie et bannissait le « phlogistique » de ses champs d’enseignement. Contrairement aux théories alchimistes qui attribuaient le noircissement des sels d’argent, à l’air ou à la chaleur, comme le rappelait Arago, « les alchimistes réussirent à unir l’argent à l’acide marin, le produit de cette combinaison était un sel blanc qu’ils appelèrent lune ou argent corné ». Le chimiste allemand Johann Heinrich Schultze (1647-1744) démontra que cette réaction était due à l’effet de la lumière. Et les travaux du suédois Carl Wilhelm Scheele furent capitaux pour comprendre le fonctionnement de la lumière sur « la lune cornée » des alchimistes (le chlorure d’argent). Notamment ceux réalisés en 1777 qui préfigurent la spectroscopie en montrant que l’influence des rayons bleus et violets du spectre solaire était plus forte que celle des rayons rouges. Nicéphore Niépce les prendra en compte lors de ses premières expériences de 1816. Mais l’histoire ne retiendra pas les travaux du physicien britannique Humphrey Davy (1778-1829) qui mirent en évidence l’influence de la lumière sur l’iodure d’argent, une découverte qui sera pourtant reprise par Niépce et Daguerre.
Par contre, parce qu’il a décrit son échec dans le Journal of the Royal Institution of Great Britain, Thomas Wedgwood (1771-1805) pourrait être crédité d’avoir eu le premier l’idée de la photographie, si ce n’est que l’analyse des lettres échangées entre Nicéphore et Claude Niépce permet également de leur attribuer la première idée de la photographie.
Elle remonterait à 1797, année durant laquelle la famille Niépce se rendit en Sardaigne. Au détour d’une lettre à son frère Claude datée 1824 il écrit en effet : « Tu as eu comme moi la première idée de cette découverte à laquelle nous avons travaillé ensemble à Cagliari elle doit donc paraître sous ton nom, comme sous le mien et être utilisée en commun ».
Jean-Louis Marignier souligne combien l’année 1816 fut fondamentale pour l’histoire de la photographie car elle voit naître les premières expériences de Niépce pour fixer l’image. Dans une lettre datée du 1er avril de cette année là, on peut lire : « Les expériences que j’ai faites jusqu’ici me portent à croire que mon procédé réussira quant à l’effet principal ; mais il faut fixer la couleur. »
En 1835 Daguerre découvre l’importance de l’image latente [13] invisible sur le support mais présente. Elle sera révélée par un dopage de la réaction photo-chimique appelée couramment « développement » et sera élucidée au début des années 1990 par Madame Belloni qui en développera le fonctionnement dans la communication qui suivra celle-ci et qui a pour titre : « Le développement photographique et la chimie de l’argentique ».
- Petite histoire de la photographie sous le prisme du photomontage et de la retouche
- Conversations autour de la naissance de la photographie, Dominique de Font-Réaulx