L’essai a donc sa place entre deux domaines.
« De la science il a la forme et la méthode. De l’art, la matière . .. ./ . .. Il cherche à créer un ordre. Il ne fournit pas de personnages mais un enchaînement de pensées donc un raisonnement logique et, comme les sciences de la nature, il part de faits qu’il met en relation. Simplement, ces faits ne se prêtent pas à une observation généralisée, et leur enchaînement est lui aussi, dans nombre de cas, d’ordre singulier. Il ne fournit pas de solution globale, seulement une série de solutions particulières. Mais il témoigne et il enquête. » (Essai, Ed du Seuil, 1978., p. 335-336)
L’essai est donc le moyen par lequel Musil renverse la puissance de l’opinion consacrant l’omnipotence de l’intellect contre toutes les autres formes possihles d’expérience et de compréhension du monde et l’impuissance de l’esprit à imposer la reconnaissance de l’humain, du vivant, du sentiment dans l’ordre figé des choses, en montrant que le mur du haut duquel elle croit dominer le monde, n’est pas réel, fixe et stable, mais frontière fictive, mobile et instable. Ce mur n’est pas là de toute éternité, il est le fruit de l’histoire et d’une conception des rapports entre l’histoire et le vivant.
En d ’autres termes, l’essai est le lieu d’une triple approche centrée sur l’histoire, la subjectivité et la morale dans ses rapports avec la raison. Il va se déployer, pour la première à travers une analyse généalogique, pour la seconde à travers une analyse du Moi et pour la troisième à travers une analyse des limites de la raison en tant que modèle et fondement de la légitimité de la morale.
extrait de La cuisson de l’homme, essai sur l’oeuvre de Robert Musil de Jean-Louis Poitevin, ed José Corti
- Séoul, playstation mélancolique, par Jean-Louis Poitevin, Atelier des Cahiers, ouvrage publié dans le cadre de l’Année France-Corée