Regard sur l’image

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- De l’invention de l’autoportraitSalman Rushdie

,  par Hervé BERNARD dit RVB

« De la même façon que nous possédons tous un moi souverain individuel, c’est du moins ce que la Renaissance nous a appris, ainsi notre visage possède-t-il une souveraine individualité. Nous avons tous en nous des autorportraits qui sont, pour la plupart, des portraits de notre visage, mais il doit y avoir, il a des cas où noud, certains d’entre nous, nous voyons dans d’autres parties de notre corps ; l’image de soi d’un culturiste pourrait bien être celle d’un biceps, une danseuse put estimer que la partie d’elle-même où elle existe le plus ce sont ses pieds, un gigolo ses parties génitales, ou un pianiste ses mains. Mais la plupart du temps, c’est dans notre visage que nous nous reconnaissons, et à cet égard, l’invention du miroir est un évènement plutôt important, il a rendu possible l’étude quotidienne prolongée du moi d’où peut naître ce nouveau reflet, l’autoportrait. Ne surestimons pas toutefois l’importance de cet épisode car avant le miroir existaient des proto-miroirs ; les Incas disposaient de sortes de miroirs dont ils ne pouvaient se passer même s’ils n’ont jamais découvert le secret de la roue. En Grèce et à Rome existaient des écrans polis comme ceux dans lesquels il était prudent de regarder la Gorgone et des eaux miroitantes comme celle grâce auxquelles Narcisse, le premier auteur d’un autoportrait, est tombé dans la contemplation éternelle de sa beauté.

2001 L’odiyssée de l’autoroute
© Hervé Bernard 2022

Et il n’est pas indispensable de disposer d’un reflet. Nous nous connaissons nous -mêmes, que nous ayons un miroir ou pas. “L’homme ne peut comprendre sans images”, dit saint Thomas d’Aquin et notre esprit est progammé pour construire ces images même sans le secours de nos yeux. La conséquence de ce don de la conscience de soi. Des aveugles ont peint des autoportraits et des sculpteurs qui n’avaient jamais vu leur visage l’ont pourtant sculpté dans la pierre. Il y a près de trois mille cinq cent anss, Balk, le sculpteur en chef du pharaon Akahematon, a sculpté dans la pierre des autoportraits de lui-même et de sa femme, Taheret ou Taheri. À l’époque les portraits étaient un art de commande et ce pendant Bak a éprouvé le besoin , sans espoir de rétribution financière, de réaliser son portrait et celui de la femme qu’il aimait . Phidias, dit-on, fut emprisonné pour avoir commis le blasphème de graver l’image de son propre visage sur le bouclier d’Arthéna au Parthénon. Il devait être conscient du tabou qu’il enfreignait et pourtant il passa outre, cédant au besoin ancien et impérieux d’être vu par les autres tel qu’il se voyait lui-même.
[...]

Autoportrait cinétique I
© Hervé Bernard 2021

Pour créer une oeuvre d’art, on doit recourir à une forme de double vision, en regardant simultanément vers l’extérieur et vers l’intérieur, mettre à nu ce qui est vêtu, dire ce qui est secret et révéler de quel manière le monde intérieur de la sensibilité, de la mémoire et de la peur est lié à ce qui est crié haut et fort et étalé sous nos yeux dans le monde qui nous entoure, ce monde si brillamment illuminé qui n’en demeure pas moins opaque jusqu’à ce que la nudité de l’artiste fournisse la clef qui en dévoile le mystère. C’est ce que nous voulons dire lorsque nous affirmons que l’art est un acte de courage et c’est pourquoi la réussite d’un grand autoportrait paraît une action quasi héroïque parce que c’est la forme qui constitue peut-être le locus classicus de la rencontre entre le monde intérieur et le monde extérieur ; les autoportraits ratés, les réticences mélées d’affectation que l’on rencontre trop souvent, sont des preuves d’une certaine lâcheté. »

Être Francesco Clemente : autoportraits dans Langages de vérité, Essais 2003-2020, Salman Rushdie, Actes Sud p 348

- Autoportrait gémellaire / Gemellary self portrait

- Autoportrait à la grille / Self portrait with bars