Hervé Bernard nous propose un ouvrage pour comprendre l’image et le fonctionnement de notre regard. Une bible pour aimer l’image
Hervé Bernard est créateur photographe, journaliste technique et enseignant. Hervé est un de nos experts en image, provocateur, bouillonnant d’idées et perpétuellement en quête d’échanges. Il s’interroge depuis longtemps sur les processus de création visuelle et propose ici une lecture de photographe tant sur l’œuvre d’art traditionnelle que sur l’image photographique fixe et animée. Il s’interroge sur la réception et la transformation de cette image, sur le plan technique, aux différentes étapes de sa reproduction/publication et sur le plan intellectuel, au niveau de la lecture et de la compréhension du récepteur.
La cible privilégiée d’Hervé Bernard est l’ « honnête homme » de l’image, spectateur ou créateur qui souhaite comprendre les processus de lecture et de transformation. Partant du principe qu’un photographe averti en vaut deux, il montre la subjectivité incontournable du processus de représentation du réel et dénonce la théorie la plus répandue de la prétendue objectivité du photographe de reportage. Le choix d’une focale et les conditions de captation étant des facteurs amenant une interprétation. A partir de ce constat, Hervé nous montre que nous pouvons jouer de ces transformations en les intégrant dans notre processus de création. Son souhait le plus cher, c’est que cet « honnête homme » dans ce monde foisonnant passe désormais non plus trente secondes mais dix minutes devant une image. C’est un ouvrage que nous lirons avec avidité. C’est une prise de conscience, un parcours qui suscite une interrogation permanente. C’est un gisement d’idées et d’exemples susceptibles de régénérer notre potentiel créatif de faiseur d’images.
Avant de parler de l’ouvrage que tu viens d’éditer « Regard sur l’image », dit-nous quelle formation t’a amené à être l’expert et le créateur d’images que l’on connaît ?
J’ai suivi l’enseignement de l’école d’art de Saint-Luc, en Belgique. J’y ai fait des études de photographie et de communication visuelle ; j’ai travaillé la mise en page et les techniques d’impression, enrichie de cours de sémiologie, de psychologie et d’histoire de l’art. La conception et la réalisation de ce livre n’est pas le fruit du hasard ; ces connaissances ont toutes été sollicitées.
Cet enseignement riche a-t-il abouti à la seule activité de photographe ?
Non, j’ai très tôt voulu mener plusieurs activités de front. Avant de débuter mes études, j’ai travaillé dans un studio photo ; les responsables cherchaient à comprendre les exigences des maquettistes et les problèmes de techniques d’impression. J’ai donc été amené à approfondir mes connaissances dans ces métiers à la fois théoriques et pratiques. Une première expérience en France m’a conduit à travailler sur des interfaces Minitel, avec ces limites bien sûr, mais c’était déjà une première recherche dans le domaine de l’interactivité et de l’ergonomie. Mes exigences de photographe n’étaient pas satisfait évidemment des 8 couleurs disponibles, j’ai donc travaillé ensuite sur des systèmes graphiques plus évolués comme les Graph8 puis 9 d’XCom, avec jusqu’à 256 couleurs !
Ensuite, devant l’absence de marché, je me suis orienté vers le journalisme technique dans des revues comme MicroSystème, Pixel Création numérique, Le Photographe ou Vidéo Broadcast… Toujours en développant en parallèle mon activité de photographe, ce qui m’a amené à bénéficier de plusieurs acquisitions par plusieurs institutions.
Tout au long de mon parcours, j’ai travaillé sur la perception de l’image et de sa transformation au gré de son exploitation. Je me suis aperçu de l’interaction du culturel sur le ressenti ce qui pouvait être expliqué en autre par les lois de l’optique. J’ai cherché à approfondir ce phénomène.
Parle-nous de ton travail d’auteur
J’ai déjà réalisé deux ouvrages, l’un Editions VM et l’autre chez Eyrolles ; ces deux expériences m’ont aidé à renforcer mon écriture et à élaborer le projet actuel. Plusieurs éditeurs se sont montré intéressés mais exigeaient une mise aux normes du projet et remettaient sans cesse. En voyant le temps passé et surtout en voyant paraitre plusieurs ouvrages en rapport avec mon travail, j’ai pris la décision de financer ce projet et d’être mon propre éditeur, tout en travaillant dans un cadre professionnel avec une équipe compétente.
A qui est destiné cet ouvrage ?
A tout « honnête homme » désireux de mieux comprendre le fonctionnement de l’image. Mon ambition est d’expliquer la photographie, sa constitution et son fonctionnement à tout spectateur d’images possédant un esprit curieux et une démarche transversale.
Par exemple, en montrant les expériences réalisées à l’aide d’outils comme la grille de Ninio ou les instrument d’analyse comme l’eye tracking, je montre le processus de lecture et de compréhension d’une image. En tant que photographe, je propose une lecture de l’image traditionnelle comme la peinture et la gravure. Ce qui aboutit au questionnement de la représentation du réel par l’image.
La première partie de l’ouvrage est naturellement consacrée aux caractéristiques de la photographie, saturation, contraste, luminance, etc., car toute image, quelle soit projetée ou imprimée, passe par la technique photographique.
La deuxième traite de la perception visuelle. L’œil ne voit pas tout, parfois, il se trompe ; je tente d’expliquer ces phénomènes.
La dernière partie traite de la perception culturelle de l’image. L’importance des religions du Livre y est démontrée. L’importance de la perception et de la création de l’image en Occident et ailleurs y sont aussi montrées. On a souvent confondu figuration et représentation, certaines images représentent mais de figurent rien.
Pour provoquer un peu, je dirais que de la Renaissance à la photographie, on utilise le même schéma de figuration et la même technique, la chambre noire ; on a juste changé de capteur, de la main à l’émulsion, puis au capteur numérique. Par exemple, pour mettre en avant les phénomènes de transformation de l’image et de la subjectivité de la représentation, je fais un parallèle entre le noir et blanc et le dessin traditionnel, les deux techniques provoquent une compression de l’information. Cette compression devient problématique seulement quand le sujet devient non identifiable. Donc tout cela pour dire que les limites de la destruction de l’information est liée au message que l’on veut transmettre. L’analyse de la destruction de l’information ne peut se limiter à l’analyse mathématique des algorithmes.
Cela introduit la notion de la subjectivité du créateur ?
Oui tout à fait. Pour un photographe, cela se traduit par le fait qu’une photo ne reproduit jamais le réel. Le morceau de verre que l’on met devant le boîtier, l’objectif, est tout sauf objectif, car le choix même de la focale induit le choix d’un angle, un angle de vision, un certain type de profondeur de champ, voir pour les initiés un certain type de contraste et de rendu colorimétrique. Donc un certain nombre de choix subjectifs. On peut même parler d’actes subjectifs. La photographie ne se fait pas au déclenchement de l’appareil puisque tous ces paramètres ont été sélectionnés avant même la prise de vue. Travailler toute sa vie avec un 35mm avec un film noir & blanc HP5 ou TriX ou avec un boitier numérique paramétré en noir et blanc, etc. Tout participe à un choix subjectif de création. On voit bien que la photographie ne représente pas tout à fait le réel… surtout lorsque l’on s’appelle Cartier-Bresson et que l’on fait du noir et blanc ! Donc, Messieurs les photographes, arrêtez de dire que la photographie est objective. En plus, je suis persuadé que ce positionnement est aujourd’hui nuisible économiquement.
Peut-on parler de pré-choix de l’image ?
Peter Knapp parle de pré-production, en studio et même dans une moindre mesure en reportage : choix de boîtiers, d’objectifs, etc. Ensuite, la post-production de l’image dépend également d’une série de choix subjectifs. En tirage argentique, le choix du support, le masquage et encore plus le procédé de tirage – Fresson par exemple – sont des éléments déterminants. La chaîne de post-production numérique renforce encore l’influence des paramètres de fabrication.
Revenons à l’écriture de ton livre, c’est le fruit d’une longue gestation ? Le numérique a-t-il bouleversé ta vision des choses ?
Oui, ce livre s’est construit à travers mes interventions de conférencier, d’enseignant et de journaliste. Le numérique m’a apporté deux choses, il a rouvert mon appétit de créateur d’images en couleur car je n’avais ni la patience ni la rigueur en argentique pour réaliser moi-même mes tirages et il m’a offert des moyens incroyables au niveau de l’ interprétation grâce au montage. Je parle dans le livre de réalisme subjectif et j’essaie de faire comprendre aux photographes que puisqu’ils sont dans la subjectivité contrainte et forcée, autant l’assumer.
L’arrivée du numérique, l’explosion de la production et la démocratisation du statut de photographe sont des phénomènes nouveaux, te gênent-ils ? Les intègres-tu dans ton analyse ?
Oui, j’affirme que nous sommes dans une civilisation iconoclaste, A la manière d’un alcoolique, nous consommons tellement d’images, que nous ne les apprécions plus. Leur réelle valeur n’est plus appréciée. L’image a perdu son caractère sacré. Ce sentiment a été déclencheur dans ma démarche d’auteur. J’ai voulu faire prendre conscience que l’image n’est pas n’importe quoi. On confond sans cesse deux termes, l’imagerie et l’imagier. Le premier concerne le catalogue de La Redoute, le second, l’œuvre d’un photographe créateur. Par exemple, le producteur effréné d’images en vacances va être plus occupé à faire l’image et à la transmettre dans l’espoir de la partager, sans ressentir l’émotion d’un instant. En fait, il ne sent rien et ne partage rien ! Bon, c’est un peu provocateur, mais je vois souvent dans ces nouveaux comportements, des gestes non réfléchis où préside la précipitation au détriment de la création.
Civilisation iconoclaste, l’image est-elle morte ?
D’une certaine manière, oui. Mais ce n’est pas une cause désespérée, la technologie a montré qu’une perte est toujours compensée par un gain et les choses évoluent et s’équilibrent. La retouche par exemple, elle accompagne la photographie depuis le début de son histoire, on « descendait » l’image au ferricyanure car les négatifs étaient trop contrastés. En 1850, Gustave Le Gray, pour faire un paysage, réalise deux expositions et insole deux supports, l’un pour le sol, l’autre pour le ciel et assemble les deux négatifs pour faire un tirage.
Donc, la question n’est pas de dire si c’est une cause désespérée, il faut juste prendre conscience de certaines mythologies.
Nous nous sommes retrouvés au jardin des Tuileries, ce n’est pas un hasard, parle-nous de ton travail sur ce lieu fait d’histoire.
Au départ, c’est un projet de fin d’étude, un sujet libre, qui m’a permis de travailler sur ce lieu. Un peu par réaction aux sujets de reportages retenus par tous mes collègues, j’ai proposé un projet sur les statues !
De retour à Paris, j’ai poursuivi ce travail, en abordant les thèmes des reflets et de la transparence. J’ai construit cette réflexion sur l’image notamment à travers cette exploration du jardin des Tuileries. Particulièrement la notion de point de vue, car lorsque tu traites de sujets immobiles, ton attention se porte plus facilement sur les conditions de prise de vue, angle, focale utilisée, etc.
La statue de Médée et de ses enfants est en quelque sorte un exemple symbole de mon discours. Le premier des enfants, suivant l’angle d’observation, est soit jeté ou rattrapé, le second, au sol, est soit écrasé ou bien évité par sa mère ; la compréhension de l’œuvre est modifiée par la position du regard.
Dans le livre, je ramène ce phénomène à la photographie de reportage, je m’interroge sur le comportement du photographe et du rapport à l’objectivité de l’événement fixé.