Le contrôle par le crucifix et l’image
Le numéro 8 de la revue le Nouvel Âne [1] éditée par l’ECF, École de la Cause Freudienne (Lacanien), signale une expérience édifiante pratiquée au Royaume-Uni par des chercheurs en biologie et en psychologie (Université de Newcasttle, Mélissa Bateson, Daniel Nettle, Gilbert Roberts). Il s’agit d’observer le comportement moral d’une cinquantaine de personnes face à une image changeant toutes les semaines.
De quel comportement s’agit-il pour justifier une telle observation ? On peut penser qu’une telle recherche s’intéresse au moins à la criminalité. Que nenni, il s’agit du payement du café et du thé dans une salle de l’Université où se réunissent une cinquantaine de collaborateurs, observation faite dans le plus grand secret. Précisions : dans cette salle, le payement se fait dans une boite surmontée d’une photo ; personne n’est là pour contrôler la somme déposée, autrement dit le produit est vendu sans vendeur et la boite où déposer son règlement est dénommée par les chercheurs « boite d’honnêteté » (sic) tout un programme…
Les photos placées au-dessus de la boite sont changées toutes les semaines. Selon les photos installées, les résultats de cette expérience montrent que le payement de ces boissons varie dans un rapport de un à 2,76.
– La première photo est une fleur,
– la seconde est un regard non identifiable, en fait, une paire d’yeux.
Pendant dix semaines, ces photos ont été changées, mais celles-ci ne représentaient toujours que des fleurs ou des regards.
Outre le fait que l’on remarquera plusieurs failles dans cette étude : chaque photo n’a pas été laissée plus d’une semaine, le portrait de la Reine ou celui de Sherlock Holmes n’ont pas été testés… L’influence du degré de moralité supposé, de son autorité,… du détenteur des yeux n’a donc pas pu être évaluée. Par ailleurs, l’influence de l’accoutumance n’a pas plus été estimée, une semaine est un délai trop bref, cela fait beaucoup de biais sans oublier le nomr de la boite publiquement affichée qui à soit tout seul est un appel à contribution.
Outre le fait que cette étude ne révèle pas grand-chose. Certes, le public testé paye plus cher sa boisson si, au-dessus de la boite, il y a une paire d’yeux. Il faudrait rappeler que cette influence du regard est l’une des explications de la présence, si longue (depuis le Moyen-âge au XXIe siècle), des crucifix, des vierges et autres saintes personnes dans les chaumières. Parfois, ce Christ a même été remplacé par le portrait de Franco ou encore celui du Che Guevara au demeurant très christique dans son iconographie.
Plus essentiellement, réduire la morale au payement d’un thé ou d’un café est une vue bien étroite de ce que l’on pourrait appeler la morale sans même faire intervenir la question de l’éthique. Ce choix est le reflet des ravages d’un capitalisme débridé qui va loger la morale dans le payement d’une simple boisson. Tout cela est bien réducteur et donne une bien belle image de notre société.
Quant à appliquer cette « découverte » dans le traitement de comportements anti-sociaux, cela semble pousser la simplification du comportement humain un peu loin. Pour mémoire, l’Espagne franquiste, pour prendre un exemple, n’était pas exempte de criminels pas plus que la France de Pétain. N’était-ce pas la douce époque où les femmes goys dénonçaient leur mari aux autorités parce qu’il était juif ou inversement d’ailleurs… Pourtant, les portraits de ces deux chefs d’état étaient affichés dans la majorité des chaumières de l’époque et même bien au-delà de leur règne. Certes, leur moral n’était pas exemplaire...
Enfin, oublier pendant des années de signaler à des personnes qu’elles font l’objet d’une observation est déjà particulièrement grossier et immoral et on atteint des sommets quand il s’agit de collègues universitaires, panel peut représentatif de la société anglaise, autre trucage. Finalement tout cela révèle une bien piètre idée de l’image et des rapports sociaux.