Où débuta cette illusion ? ou plutôt quand débuta-t-elle ?
Est-ce avec la photographie, le cinéma ? à moins que cette origine ne corresponde tout simplement avec celle de l’invention de l’image ?
Si cette dernière question est la bonne, on peut alors affirmer que cette assertion : « l’image est le réel » prit naissance à Lascaux. Pourtant, de par sa puissance, bien supérieure à celle de toutes les illusions d’optique, cette croyance en une équivalence image—réel est probablement la plus grande illusion produite par l’image.
Cette illusion se cantonne-t-elle à l’image ? Le concert enregistré n’est-il pas lui aussi une illusion ? Les contes et légendes ne sont-ils pas eux aussi des illusions ? L’écho, la perception, ne sont-ils pas eux aussi des illusions ? La vie humaine existe-t-elle sans cette part d’illusion ? On remarquera d’ailleurs que les ’’tueurs’’ d’images sont aussi les tueurs du plaisir, autre illusion nécessaire à la vie.
Si l’on condamne l’image pour sa part d’illusion pourquoi ne condamne-t-on pas aussi le reste pour cette part respective d’illusion ? Après tout, lorsque le général de Gaulle lance l’appel du 18 juin, la France Libre n’est qu’une douce illusion. De même lorsque les frères Wright ou Clément Ader désirent voler, c’est une aussi douce illusion. Certains ont même affirmé que cette illusion était de la folie douce qui dérangerait l’ordre divin. En quoi ces illusions seraient-elles meilleures ou moins dangereuses que celle(s) de l’image ? Elles sont à priori tout aussi mensongères ou trompeuses tant qu’elles ne se sont pas concrétisées. Donc l’illusion est ou serait motrice, même si elle s’avère dangereuse, une fois matérialisée.
Tromperie, fiction ou illusion, là est la question...
Selon Virginia Wolf, Il n’y a pas de matière propre à la fiction. N’importe quoi ou tout peut lui servir de matériel. Tout comme la fiction, l’image se construit avec n’importe quel matériel [1]. C’est aussi cela qui fait de l’image une fiction du réel.
Pourtant, je n’emboiterais pas les pas de Flaubert pour affirmer que l’image n’a pas de sujet, que tout est dans le point de vue du style. Son sujet est justement cette fiction du réel. Une fiction suffisamment puissante pour nous laisser accroire que cette fiction est le réel.
L’image n’est pas le réel, elle n’est ni une bonne ni une mauvaise copie du réel, pas plus eikon qu’eidolon. Comme toutes les fictions, l’image est une invention du réel . Comme toutes les fictions, elle est une invention du réel parce qu’elle est un appeau à réel. Pas plus que le verbe elle n’est une copie du réel, tout comme le verbe, elle est un outil pour saisir le réel et pour le comprendre.
Une image du réel certes, mais un réel qui s’inscrit dans la fiction d’une culture. Et c’est le réel de cette fiction qui nous fait vivre. Hors de la tromperie, de la fiction et de l’illusion, l’Image est, tout comme le Verbe est.