- Les niveaux de ressemblance
Croire en une ressemblance une et uniforme, c’est croire en un mythe, la ressemblance revêt de nombreux aspects. Elle se construit à travers :
– la technique,
– la symbolique,
– le mimétisme,
– l’identité
– et la norme...
1 À travers les outils
Le rôle de l’outil qui a servi à la création d’une image dans la construction de la ressemblance est le plus évident par sa construction d’une ressemblance minimale. Ainsi, toutes les photographies noir et blanc se ressemblent à travers ce média commun.
Cependant, à un autre niveau, dans le monde photographique, une légende persistante laisse à croire que la technique serait le garant d’une ressemblance de l’image à la réalité. En novembre 2015, l’agence Reuters nous a encore fourni la preuve de la vivacité de ce mythe avec cette annonce : désormais, libre aux photographes de shooter simultanément en RAW et en JPEG. Cependant, l’agence Reuters n’acceptera plus que les fichiers directement faits en JPEG et provenant de l’appareil. C’est omettre que la technique est un biais comme l’explique Frédéric Guichard, directeur scientifique de Dxo dans un interview en deux parties que nouv avons réalisé pour TK-21 LaRevue.
Ce décret repose sur une mythologie, l’outil serait neutre et par conséquent garant de cette ressemblance entre l’image et la réalité. Or, le même appareil selon ses réglages de balance des blancs, d’espaces colorimétriques (noir et blanc, couleur saturée...) produira des images plus ou moins différentes. À ces différences, viennent s’ajouter le choix de l’objectif qu,i non seulement, par ses déformations optiques mais aussi par l’ampleur de son champs visuel transformera, par son cadrage la réalité. Ainsi, le décret de Reuters ne répond pas à la question des aberrations chromatiques et des déformations optiques : déformation en tonneau, fuyante de la plongée et de la contre-plongée, faut-il les compenser, les corriger totalement sachant que le cerveau, lui les corrige ?
À ce propos, dans le domaine de l’optique, le mythe de l’existence d’une focale équivalente à celle du regard humain est tout aussi tenace. D’une part, selon les personnes cette équivalence varie grosso-modo du 35 au 45 mm mais surtout, la photographie est une perception cyclope alors que notre vision est stéréoscopique. Certains rétorqueront que l’image stéréoscopique serait la fin de cette vision cyclope et donc le garant d’une meilleure restitution.
Il n’en est rien. En effet, l’œil, dans un mouvement incessant —au minimum trois fois à la seconde, c’est-à-dire à chaque saccade— change continuellement son point d’accommodation et sa balance des blancs afin d’explorer la profondeur de l’ensemble de la scène ; chose que la technique photographique et cinématographique sont bien incapables d’approcher même si elles tentent de simuler ces variations d’accommodations à travers la notion de profondeur de champs et l’usage du zoom et du travelling au cinéma.
1.a La retouche et le photomontage
Il existerait une photo dont la ressemblance au réel serait plus réaliste voir plus éthique. Cette photographie serait vierge de tout trucage comme l’affirme Reuters. Affirmer ceci c’est ignorer la technique du tirage photographique et les nombreux masquages effectués lors d’un tirage que ce soit pour une photographie argentique noir et blanc ou couleur. En effet, pour faire ressortir ’ou de dissimuler) certaine(s) partie(s) de l’image et ainsi mettre en avant (ou en retrait) les dits détails certaines zones de l’image vont être exposées plus longuement ou plus brièvement. D’autre part, c’est ignorer l’histoire de la photographie.
Hormis cette pratique du masquage lors du tirage et contrairement à une légende persistante, la photographie n’a ni attendu Photoshop ni le XXe siècle pour inventer la retouche et le photomontage. En effet, ils sont tous les trois nés mains dans la main. Ainsi, aux débuts de la photographie, les yeux étaient redessinées sur les images à cause la longueur du temps de pose. Quand au photomontage, LeGray, Rejlander sont là pour nous rappeler que, dès les années 1850, ces techniques étaient abondamment utilisées, afin de compenser les limites techniques de cet art même sur des paysages, comme la pratique de LeGray en témoigne,.
Quant aux trucages, selon les focales utilisées lors de la prise de vue, il est possible de faire apparaître ou disparaître un ou plusieurs des éléments d’une image. Comment ? il suffit simplement de choisir un point de mise au point différent tout en réduisant au maximum la profondeur de champs. Ces deux photos faites depuis le même endroit, l’une après l’autre sans changer aucun réglage à l’exception du point de mise au point sont le témoignage du fait qu’un appareil photo peut faire disparaître des parties d’une scène.
Illustration dynamique des liens entre la profondeur de champs, la focale et le diaphragme.
Ces différents éléments montrent que la proclamation d’une ressemblance au nom du choix d’une technique photographique plutôt qu’une autre n’est qu’une mythologie. Comme ces deux images le montrent, à ce niveau de dissemblance, même la peinture selon la perspective peut prétendre à une plus grande ressemblance avec le réel. Ces deux images sont la confirmation que l’absence de retouche n’est pas le garant d’une plus grande ressemblance avec le réel et que les dirigeants de Reuter se bercent d’illusions ou nous prennent pour des naïfs. S’il y a bien quelque chose que la technique ne garantit pas c’est bien la ressemblance.
1.b le Polaroid
Le polaroid est un autre exemple de ressemblance artificielle construite sur la technique, la mise en page sur le papier et les défauts techniques : émulsion détériorée, gros grain, couleurs peu fiables dans le temps et dans la reproduction des couleurs de la scène...
1.2 Les images spatiales américaines
Contrairement à une légende, les images prises par le satellite et tous les télescopes qui ne sont pas des télescopes optiques sont des images monochromes. Leurs couleurs ne sont là que pour rendre plus lisibles des spectres étroits comme celui du magnésium, du souffre... Elles sont déterminées par une table de correspondances entre les intensités lumineuses et des couleurs choisies aléatoirement.
En fait, ce choix est théoriquement aléatoire cependant, pour des questions d’esthétiques, de lisibilité on a recours à des palettes de couleurs qui permettent la production d’une image dont l’esthétique est similaire à celle des scènes terrestres. Ainsi, les américains ont établi une palette de couleurs standards construites à partir des œuvres des peintres de l’école de la vallée de l’Hudson.
Selon les couleurs utilisées, la planète Mars apparaîtra comme la planète rouge ou comme une planète dont le relief est similaire au relief terrestre. De même, plus classiquement, depuis l’espace, une photo de la terre prise en lumière rasante mettra en valeur la calotte glaciaire beaucoup moins visible sur les photos traditionnelles. Ainsi, la photo ci-dessous a été prise prise selon une orbite polaire spécifique afin d’obtenir cette image détaillée de la calotte.
Donc non seulement, les couleurs de ces images spatiales sont arbitraires mais leur ressemblance ou leur dissemblance aux paysages terrestre sont artificielles. Question perfide, les russes utilisent-ils la même table de couleurs (LUT) ?
2. Symbolique
La chemise du directeur d’Air France n’est qu’une chemise déchirée tant que les circonstances de son déchiquetage ne sont pas précisées. Ce n’est que parce qu’elle est restituée dans son contexte qu’elle devient un symbole qui ressemble alors à d’autres symboles des luttes syndicales. C’est à partir de cette remise en situation qu’elle ne ressemble plus à une quelconque chemise déchirée et que simultanément, elle ressemble à d’autres symboles de la lutte syndicale contre des situations jugées iniques.
La métaphore ressemble-t-elle plus à l’image que la métonymie ? Ces deux figurent de style appartenant à la symbolique cependant, elles reposent parfois sur le mimétisme physique.
2.a Symbolisme réaliste ou réalisme symbolique ?
Le " portrait " de Franco par Marinus [1], tout comme la majorité de son travail, nous démontre bien que dans la ressemblance, le symbolique tiennent une place essentielle. En effet, ici plutôt que la ressemblance physique des différents protagonistes de ce photomontage, c’est la ressemblance ou plutôt la métaphore entre le rôle d’équilibriste de cirque qui nous présente un Franco plus ou moins ridicule et son “ travail d’équilibriste ” politique qui lui fit achever sa carrière par un inattendu salto en faveur de la démocratie. Ici, ce qui nous intéresse fondamentalement, c’est la ressemblance symbolique d’autant, qu’avec le temps, nous sommes devenus incapables de reconnaître un certain nombre de protagonistes de cette image. Précisons que le « Alors ?... » est le titre donné à l’époque par Marinus et qu’il marque l’expectative de tous ces politiciens qui s’interrogent sur la pérennité de Franco que, tous, comme un seul homme, seront faire durer. On peut même dire perdurer.
Si dans la photo précédente nous nous interrogeons sur la ressemblance entre symbolisme et réalisme, dans cette photo d’Eugene Smith, nous pouvons nous interroger sur les liens sur la ressemblance entre réalisme et symbolisme. Son second titre « La Pietà de Minamata » en est l’illustration. Moi, le premier, j’ai longtemps cru que ce titre était le vrai titre de cette image. En fait, il n’en est rien. Au-delà du symbolisme et de la référence de ce titre qui nous renvoie à la Vierge et, plus largement, à la souffrance d’une mère qui accompagne son fils dans une souffrance indicible puis, dans la mort. Cependant, je viens de découvrir que l’on a tous tout faux. En fait, il s’agit du père et de sa fille. Renvoyées au paddock toutes les références à la maternité... N’empêche que de par sa composition et sa lumière, je ne peux que continuer à faire référence à la Pietà. Alors, c’est quoi le symbolisme, à quoi cela ressemble ? Faisons nous du colonialisme culturel avec cette image ? Pas certain, d’abord, parce qu’elle a été produite par un photographe occidental. Quand on fait référence à la Pietà, on ne calque pas nos symboles sur une image japonaise mais sur une image occidentale qui parle du Japon. De plus, cette image parle de la souffrance d’une figure parentale qui assiste à la mort lente de son enfant. Ce n’est donc pas un contresens. Peut-on dire qu’ici le symbole est sublimé ?
2.b Les shaddocks
Ils ne ressemblent à rien et pourtant on s’identifie à eux. Ils pompaient, chacun met derrière ce terme, sa difficulté du moment. On pompe contre la maladie, au boulot... On a tous, à un moment ou autre notre eu nos difficultés pour remplir la pompe ou pour vider le trop plein, on ne sait plus très bien. Cette ressemblance symbolique se construit probablement à travers une expression qui affirme que toutes personnes qui nous excède nous pompe l’air. Donc, ici il s’agirait d’une ressemblance symbolique par défaut, si j’ose dire.
2.c La licorne et autres chimères
Toutes ces créatures ont une ressemblance parcellaire avec d’autres créatures, car elles sont un assemblage de ressemblance qui produit un être à la fois familier et étrange comme celui retranscrit par Baudelaire dans La vie antérieure, un poème des Fleurs du Mal.
2.d Le concave et le convexe, la ressemblance en creux ou encore la ressemblance inversée
La ressemblance en creux la plus connue est celle des empreintes de pas sur le sol. Ce qui est concave chez l’un est convexe chez l’autre. On peut aussi dire que l’empreinte est le décalque de la semelle de la chaussure. L’empreinte est le décalque d’un pied qui, à défaut de ressembler à un être humain, est un signal suffisamment fort pour imaginer cet être voire commencer à en ébaucher une description qui a un début de ressemblance physique avec le détenteur du pied. Là comme ailleurs, c’est une affaire de savoir-faire. Constater une ressemblance serait-il aussi un savoir-faire ?
Robinson Crusoé et Vendredi. Vendredi et Robinson auraient-ils une ressemblance en creux, inversée, l’un est le bon sauvage, l’être pure, l’autre est un homme qui tente de former, dresser voir redresser le premier pour le plier à ses schémas de pensée. Robinson tente de décalquer la société qu’il connaît dans sa relation à Vendredi ou sur Vendredi.
Continuons de filer la métaphore de la ressemblance en creux. L’intelligence artificielle ressemblera-t-elle en creux à l’intelligence humaine ou animale. Dans ce cas-là, lequel des deux sera le concave ou le convexe de l’autre ? En espérant que ce concave et ce convexe-là ne seront pas trop conflictuels !
3 Mimétique
Nous ne reviendrons pas sur La Pietà et sa ressemblance mimétique à la mater dolorosa. Par contre, dans le cas de cette première page de Libération, on ne peut que s’interroger sur la ressemblance qui se crée entre la publicité d’une célèbre marque de cosmétique et le vocabulaire d’un non moins célèbre parti politique. Cette ressemblance analogique crée-t-elle une ressemblance mimétique ? D’une certaine manière, cette ressemblance là est une ressemblance physique dans la mesure où le terme “assimilation” est utilisé par les deux parties. Ce mimétisme là pourrait se définit comme un mimétisme de la lettre. Cependant, cette association restera dans les anales d’un des plus grandioses cafouillage de maquettiste, de directeur artistique et de directeur de rédaction.
Toujours dans le domaine de la ressemblance mimétique, on pourrait aussi aborder des films comme Transformer où l’on rencontre des robots composés d’automobiles ou de camions semblables physiquement à des êtres humains et par leur reprise des stéréotypes comportementaux des bons vieux cow-boys des westerns d’antan. Ici, on se retrouve face à une cascade de ressemblance mimétique physique et comportemental.
On pourrait aussi parler de Games of Thrones et de son mimétisme géographique. La rivalité des peuples du nord contre les peuples du sud. Le monde de la mère des dragons que l’on imagine à l’est. Ce mimétisme là est-il physique ou symbolique ? Dans le cas de Games of Thrones, il nous semble plutôt symbolique. Cependant, le mimétisme géographique n’exclut pas un mimétisme physique comme le montre la ressemblance entre certains villages andalous et cubains. Quoique cette ressemblance là étant culturelle, elle appartient finalement d’avantage à la symbolique.
Le mimétisme purement physique se situerait plutôt dans des comparaisons du style de celle-ci : traiter un jeune homme de grande taille doté de long membre de sauterelle. Mais là encore, le culturel revient à la charge. Existe-t-il un mimétisme uniquement physiologique ?
4 Ressemblance, identification et identité
2001 L’Odyssée de l’Espace, une métaphore du voyage ultime ? D’un nouveau Dieu, le Dieu ordinateur-intelligence artificielle ? Métaphore de la rencontre avec ce Dieu qui refuse que les humains prennent en main leur destin ?
4.a La ressemblance comme norme
Le Guignol (marionnette d’origine lyonnaise)
Guignol ne ressemble en rien physiquement au gendarme pas plus que le voleur ne ressemble à un voleur pour la simple et bonne raison que l’un et l’autre, quand nous les rencontrons sont des individus que nous connaissons éventuellement. Par contre, symboliquement, c’est un outil fantastique d’apprentissage des rôles pour les enfants en bas âge. Guignol est une métaphore du réel par sa symbolisation de l’ordre social.
À quoi ressemble l’image à celui qui regarde ou à ce qui est regardé ? Selon Nietzsche « Toute œuvre est une confession involontaire de son auteur », celle-ci lui ressemblerait donc. Cependant, simultanément, il est impossible de nier qu’une œuvre est aussi le reflet de celui qui la regarde. Alors à qui une image ressemble-t-elle le plus ? À son créateur ou à son spectateur ? Peut-être aux deux, à la proportion du talent de l’un et de l’autre.
Quant à la publicité, il s’agit d’une assignation à ressembler et dans ce cas, le gendarme de Guignol vous exclut si votre ressemblance aux autres n’est pas suffisante. Comme nous le disions dans un article précédent, c’est bien la différence qui contient notre espace de liberté.