Regard sur l’image

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- Valérie Knochel AbécassisEntretien à propos de La Maréchalerie

,  par Hervé BERNARD dit RVB, Jean-Louis Poitevin, philosophe, critique d’art, romancier

Entretien Jean-Louis Poitevin, image et montage Hervé Bernard
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La rencontre avec Jeanne Susplugas initiée par Max Torregrossa de la galerie Vivoequidem, a été l’occasion de la découverte d’un lieu rare, un centre d’art lié à une école d’architecture, et de sa directrice, Valérie Knochel Abécassis. Cet entretien en trois partie permet à la fois de découvrir les missions d’un centre d’art, celle de La Maréchalerie en particulier et plus globalement de comprendre comment il est possible de penser et de mettre en œuvre de nouvelles relations entre art, architecture et publics.

Missions
Les missions d’un centre d’art sont multiples puisqu’elles peuvent se déployer, comme ici à la Maréchalerie, de la production et la réalisation d’expositions, à l’édition de livres, de la médiation en général à des médiations adaptées à des publics particuliers et de l’ouverture sur le monde d’une école d’architecture à l’engagement concret de ses étudiants dans ce processus.

L’autre aspect essentiel tient à la nécessaire articulation entre les enjeux locaux, liés à la ville de Versailles où l’école d’architecture et le centre d’art se trouvent, et à ceux qui ont trait au réseau plus global de l’art contemporain en France.

Spécificités
Centre d’art, la Maréchalerie occupe une place singulière parmi les centres d’art français. En effet, le centre est sous la tutelle de l’école d’architecture dont il est une émanation. Ainsi les médiateurs des expositions sont-ils tous des étudiants de cette école. C’est aussi un lieu où la production et l’innovation ont droit de cité comme le montre le projet en cours avec et autour de la ville de Beyrouth.

Créée en 2004, la Maréchalerie a pour but d’ouvrir l’école d’architecture sur le monde et sur les autres dimensions des pratiques culturelles, l’art mais aussi la philosophie, la littérature et la musique. C’est pourquoi des philosophes, des anthropologues et des artistes peuvent se trouver associés à des projets de longue haleine.

© Emmanuel Saulnier, recherche pour l’hopital Gustave Roussy

Lieu
La Maréchalerie est aussi un lieu particulier qui n’obéit en rien à la règle dominante du white cube qui sert de modèle implicite ou explicite en ce qui concernent les lieux dédiés à l’art. Cette particularité architecturale et son lien avec l’école d’architecture a conduit à faire en sorte que pour chaque projet d’exposition, l’artiste invité ne montre pas une exposition existante mais conçoive et construise une installation spécifique.

C’est la force de ce lieu inattendu que de conduire les artistes à proposer des choses d’eux qu’ils ne montreraient pas nécessairement ailleurs.

© Kawamata, exposition à La Maréchalerie, vue sur la cour de la Maréchalerie, https://www.regard-sur-limage.com/Tadashi-Kawamata.html

Cette porosité entre prégnance architecturale et enjeux artistiques résume avec force ce qui est le cœur même de ce centre d’art : les relations entre art et architecture qui à chaque fois s’incarnent dans les relations concrètes que chaque artiste déploie avec ce lieu comme, le plus souvent, avec l’architecture en général.

Art versus architecture
Lieu dédié à la production in situ d’œuvres, La Maréchalerie occupe dans le paysage des centres d’art une place à part. En effet, c’est bien le questionnement du lieu, de l’occupation d’un lieu par des œuvres d’art et plus globalement à la relation entre art et architecture qui constitue le ressort de cette programmation.

© Orta

Mais qu’est-ce qui différencie un artiste d’un architecte ? Et y a-t-il une si profonde différence entre les positions et les actes des uns et des autres ? Valérie Knochel Abécassis déploie ici une argumentation qui tend à distinguer clairement ces deux activités créatrices en insistant sur les possibilités plus grandes que les pratiques artistiques déploient dans le mise en place de propos utopiques ou dystopiques. L’enjeu pour la directrice de La Maréchalerie étant que chaque exposition parvienne à exprimer une poésie extrême, la seule, à ses yeux, capable de nous toucher profondément.

© Caroline Sébilleau

Un panorama
Afin de rendre plus efficace sa démonstration, Valérie Knochel Abécassis revient en détail sur l’ensemble de la programmation qu’elle a mise en place depuis la création du lieu. L’écouter, c’est alors non seulement faire un voyage dans le temps mais un voyage à travers la richesse de la création, française en particulier, tant les noms d’artiste qu’elle cite, les expositions qu’elle évoque, et qui ont toutes eu lieu dans cet endroit magique, sont en effet tous porteurs de cette puissance poétique qu’elle invoque. On le comprend alors, un tel lieu est évidemment le cocon où peuvent croître des œuvres singulières, mais c’est bien parce qu’il est animé par une personnalité elle aussi singulière et puissante, attentive aux artistes et capable de les aider à offrir le meilleur d’eux-même, que ce lieu continue de briller dans le ciel de l’art, actuellement en France.

Le Baphomet
La Maréchalerie a présenté Le Baphomet, une exposition de Bertrand Lamarche, qui se concentrait sur la figure du Baphomet. Depuis ses débuts, le travail de Bertrand Lamarche est traversé par un ensemble d’évènements et de figures récurrentes diverses, comme la grande berce du Caucase, la skyline nancéenne, Kate Bush ou la météorologie qui s’incarnent dans un ensemble d’œuvres qui peuvent s’envisager comme des micro-scénarios.

Le Baphomet

Idolâtre et androgyne, le Baphomet est une figure mystique et occulte remise en lumière par le roman éponyme de Pierre Klossowki en 1965. Déjà évoqué dans certaines œuvres plus anciennes de Bertrand Lamarche comme l’installation La Réplique ou la vidéo Les Souffles, « le prince des modifications » prend ici corps dans un sujet en lévitation, autour duquel s’articulent des œuvres renvoyant à un principe de transformation et fonctionnant sur les registres du voyage initiatique, du changement d’échelle et de la mutation.

Enregistrée lors de l’exposition de Bertrand Lamarche, intitulée Le Baphomet, Valérie Knochel Abecassis, la directrice, s’exprimait dans la grande salle de La Maréchalerie dans l’ambiance rose et sous l’élément flottant qui constituaient le cœur de ce projet.

La force de cet entretien vient de ce que, l’évocation précise de cette exposition complexe, constitue une « mise en mots » d’éléments et d’événements visuels et que cela nous conduit à un acte de pensée relatif à la relation entre mots et images.

Nous appréhendons aussi la manière dont le travail se fait dans ce centre d’art, la richesse des questionnements qui y trouvent place, la puissance des évocations qui y naissent et s’y développent, et la force de ce que l’art contemporain peut véhiculer.

Car jamais le visible ne vit en nous sans être traduit en mots et jamais les mots ne se déploient sans faire germer des images. On peut éprouver toute la tension qui est au cœur du processus de réflexion et de création car, travailler, ici, c’est pour l’artiste accepter de partager un peu de son geste avec le lieu, son architecture, sa situation, et celles et ceux qui le font vivre et ainsi s’ouvrir à un au-delà de l’œuvre.