« Le désir de photographier est le contraire du désir de signifier à tout prix ; de témoigner ou d’informer. Il est de l’ordre de la sidération et de l’illusion. De l’ordre de la disparition aussi, car si quelque chose veut devenir image, ce n’est pas pour durer, c’est pour mieux disparaître. ».
Jean Baudrillard
« Bien que l’appareil photo soit un poste d’observation, il y a dans l’acte photographique plus que de l’observation passive. Comme le voyeurisme érotique, c’est une façon d’encourager, au moins tacitement, souvent ouvertement, tout ce qui se produit à continuer de se produire. »
Susan Sontag
Comment ou pourquoi associer ces deux citations
Je suis très étonné de trouver ces deux citations présentées côte à côte sur le site d’un photographe et je suis encore plus surpris de l’absence de tout commentaire. Pourtant, finalement, ce qui me déconcerte le plus c’est leur présence sur ce site.
Pourquoi ?
L’attitude évoquée par Jean Baudrillard est à l’opposé de celle du photographe. Le propre des photographes qui se respectent, est, justement de savoir s’arrêter de photographier, de ne pas photographier n’importe comment, n’importe où et à tout bout de champs. Le mythe du photographe qui utilise le moteur et ainsi réussit sa photo est un mensonge. Un bon photographe n’est ni un drogué de la photographie ni une mitraillette. Si je devais définir le savoir photographier autant que cela puisse se définir, je le définirais par l’art de l’abstinence : l’art de ne pas déclencher.
Le comportement décrit par Jean Baudrillard est celui d’une addiction à la photographie. Il évoque avant l’heure cette manie des utilisateurs de photophone (faut-il les appeler les photophonistes ? [1] de tout photographier à tout instant sans discriminer et sans s’arrêter de ne pas regarder. Ce comportement décrit une addiction qui, comme toutes les addictions, détruit son objet. L’alcoolique, le drogué, l’acheteur compulsif n’ont plus de plaisir à consommer l’objet de leur addiction, ils ne connaissent plus que deux états : la satisfaction ou le manque. Ce dernier les occupants la majeure partie de leur temps, tous les états intermédiaires comme le plaisir de l’attente, du désir, de la découverte, de la redécouverte, de la saveur sont perdus à jamais. Le drogué voudrait disparaître dans l’objet de son addiction et ne faire plus qu’un, il est, ou plutôt, il recherche un état fusionnel qu’il ne trouvera jamais car plus sa consommation sera régulière plus son plaisir perdra en intensité. Paradoxalement, assouvir son manque augmentera le manque.
Pour ce qui concerne la citation de Susan Sontag, si je peux adhérer à la première partie : la photographie est réellement un observatoire du monde, un point de vue sur le monde. Je ne peux m’empêcher d’ajouter que cette position est loin d’être particulière à la photographie. Écrire, peindre, danser, manger, courir, conduire,.. toutes les activités humaines sont un point de vue sur le monde. C’est-à-dire un biais pour le découvrir.
Quant à accuser la photographie de passivité ou d’être un encouragement pour « ce qui se produit à continuer de se produire. », cette accusation est tout aussi valables pour les autres activités humaines. Ainsi, manger peut-être considéré comme un encouragement actif à la famine dans le monde… Mais, finalement, en tant que photographe, ce qui est le plus grave à mon sens, c’est que Susan Sontag met tous les photographes dans le même sac, elle leur dénie le droit d’avoir un point de vue individuel.
Par là, elle dénie aussi l’un des fondements de la photographie : le point de vue dans sons sens physique : faire une photo, c’est avant tout une prise de position physique. Et elle leur dénie aussi ce droit, dans son sens intellectuel.
Ces deux citations sont aussi une illustration de l’idéologie du désenchantement qui, sous couvert du détachement, justifie toutes les impuissances. En fait, ces deux phrases trahissent une incompréhension ou une ignorance du processus photographique.
En guise d’épilogue
« Le photographe n’est pas objectif, puisqu’il photographie ce qu’il veut montrer. Le choix, le cadre créent la subjectivité. » [2]