Les migrants, une invention récente
Le verbe migrer n’est présent dans les dictionnaires qu’à partir du XIXe siècle mais, cela ne signifie pas qu’il n’y a pas eu de migration auparavant. L’histoire de l’humanité, depuis l’Afrique Originelle, est une longue migration, un long mélange entre des êtres d’origines différentes.
C’est sous Napoléon III que les migrants savoyards sont montrés du doigt et accusés, de prendre, notamment, le travail des nationaux ou encore de prendre leurs femmes comme le montre l’enlèvement des Sabines, thématique très présenta au XIXe... Des termes similaires à ceux usités aujourd’hui pour les Polonais, les Tchèques, les Turques…
Existe-t-il un lien entre notre attitude vis-à-vis des migrants et l’apparition du terme dans le dictionnaire ? Si cet ostracisme est probablement très ancien, la publicité qui lui est faite au niveau national est nouvelle. Cette désignation du doigt est d’ailleurs concomitante à l’industrialisation de la France. De là à imaginer que l’apparition du verbe migrer est liée à l’industrialisation.
Comme nous l’indiquions précédemment, cette absence ne signifie par que les migrants n’existaient pas. De la même manière que l’absence du mot sexualité du vocabulaire de la Rome antique ne signifie pas que les romains n’avaient pas de relation sexuelle. Par contre, cette apparition implique un changement de point de vue sur la question tout comme l’apparition du mot sexualité l’a fait pour les relations sexuelles.
Le verbe « migrer » aurait comme « racine indo-européenne *mei-l*moi [1] qui avait pour sens premier celui d’ ‘’ échanger ’’, de ‘’ muter ’’, de ‘’ transformer ’’. De là, vint le latin migrare, d’où viennent à leur tour les mots munus, ‘’ charge ’’, ‘’ don ’’ (qui donnera la municipalité) et communis, la ‘’ commune ’’. » Ces mots héritiers de l’étymologie originale sont centrés autour de l’échange et du commun, ils restent bien éloignées du migrant tel qu’il est pensé aujourd’hui. En fait, le mot migrant est entré dans les langues romanes par l’emprunt au français médiéval du mot émigrer. Ce passage de l’échange à la subtilisation du travail des primo-occupants marque bien un changement de point de vue.
Et soudainement, Andrea Marcolongo fait succéder au migrant, dans Étymologies pour survivre au chaos, la trahison ; mot dont l’étymologie, apparaît elle-même comme un discours sur les migrants.
Quand la trahison se trahit elle-même
« " De nos jours, elle a toujours triste signification et désigne le manque de fidélité à autrui, le fait de duper celui qui accorde sa confiance, un acte indicible ’’. [2]
Mais " hier ’’ encore, étymologiquement parlant la trahison signifiait ‘’ remettre ’’, ‘’ mettre dans les mains d’autrui ’’. Non dans le sens négatif de gaspiller, de perdre ce qui nous est accordé qu’une seule fois : la confiance. La trahison signifiait simplement ‘’ donner ’’ du verbe (grec) didômi (…). » [3]
Et notre comportement qui récuse l’entrée des migrants dans notre pays, tout ses migrants qui se mettent dans les mains d’autrui. N’est-ce pas là LA grande trahison ? Il est étrange comme l’évolution de ce mot résume à elle seule la situation de ces migrants. Cependant, ce n’est pas la seule trahison, dans tous les sens de ce mot que nous commettons et qui est résumée par ce mot.
En fait, la trahison fondamentale, c’est celle des fondements de toutes les sociétés humaines comme nous le rappelle Margaret Mead. En effet, quand nous travaillons à saper " tous ensemble’’ les fondements de la protection sociale, version moderne de cette eau que l’on allait chercher, autrefois, quotidiennement à la source pour l’estropié, le boiteux... Ne sommes nous pas entrain de trahir nous aussi ? Cette trahison, celle de ceux qui se remettent dans les mains d’autrui pourra-t-on l’effacer en disant : « Pardonnez leur parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils font. » ? Et cette trahison là, nous nous la transmettons depuis une trentaine d’années. Est-ce par tradition ? Car la trahison comme la tradition sont élevées à la même source celle du verbe donner.
On retiendra cependant que le mot trahison a vu son sens basculer à partir de la traduction en latin du texte de l’Évangile parlant du baiser de Judas. C’est à l’occasion de la livraison par Juda du Christ que le verbe prit ce nouveau sens. Paradoxalement, le français a repris le chemin étymologique de la trahison lorsqu’il parle de donner un complice à la police.
Ne sommes-nous pas entrain de nous trahir car interdire la migration, c’est un interdire l’un des fondamentaux de notre histoire ? Car ce qui nous constitue, c’est d’être des êtres des êtres en mouvement.
Sur le thème de la mendicité, sur ce site :
- Résidence sur les quais de Seine
- Le gisant ou la confiance aveugle
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